Côte à côte. Pour la clôture du campus des jeunes LR, ce dimanche, à Angers, Bruno Retailleau et Eric Ciotti, les deux favoris de la campagne interne pour la présidence des LR, posent pour les photographes, tout sourire. Mais c’est bien une guerre feutrée qui a commencé. Si le sénateur et le député pensent beaucoup de choses en commun sur l’immigration ou la sécurité, une différence de style et d’incarnation séparent les deux hommes.
Bruno Retailleau promet aux militants « une démocratie directe »
Samedi, les deux candidats, ainsi que le troisième larron, Aurélien Pradié, pas encore officiellement déclaré, ont testé leur popularité auprès des jeunes du parti. Eric Ciotti a la cote, mais la candidature Retailleau reçoit un accueil très favorable. L’arrivée du président du groupe LR du Sénat dans la bataille bouleverse le plan sans accroc qui devait amener Eric Ciotti à la tête du parti Les Républicains. Beaucoup, à commencer par les sénateurs LR, pointent l’aspect clivant du finaliste de la primaire de l’an dernier. Le centriste Hervé Morin, allié du parti de droite, en rajoute une couche, ce dimanche, dans le JDD, qui affiche à sa Une le député des Alpes-Maritimes. Pour le responsable centriste, l’élection d’Eric Ciotti serait « une ligne rouge ». Il menace de rompre avec les LR s’il est élu.
Pour sa prise de parole, ce matin, aux Greniers Saint-Jean, Bruno Retailleau renvoie au « mot d’ordre qui était celui de Laurent Wauquiez », lors son élection à la tête du parti en 2017 : « Rassembler sans se renier ». Rassembler et évoluer aussi. S’il l’emporte, le sénateur de Vendée entend « changer de fond en comble » son parti. Il promet « une démocratie directe » aux militants, qui seront appelés à se prononcer sur les grands sujets. « Un militant ce n’est pas un distributeur de tracts, un remplisseur de salle », lance-t-il. Bruno Retailleau n’oublie pas que ce sont les 55.000 adhérents qui éliront leur président.
« Je n’ai jamais eu honte d’aucun de mes votes »
Bruno Retailleau entend être le porteur d’« une vraie droite », « car le macronisme est une fausse droite, le lepenisme est une fausse droite ». Il ne faut pas « être une droite qui se défausse, […] une droite à mi-temps », « on est complètement de droite ». « Pour moi, la droite, c’est un tout », souligne Bruno Retailleau. Autrement dit, qui ne se limite pas au régalien ou à l’économie, mais aborde des « champs nouveaux », à commencer par la question écologique, à sa manière. « Je n’ai rien contre les gens qui mangent du tofu, mais au moins, qu’on me laisse encore faire des barbecues ! » lance le patron des sénateurs LR. Succès dans la salle. Le « Vendéen », qui « le revendique », n’oublie pas pour autant ses fondamentaux, à commencer par « l’identité française », « une sève qui nous permet de faire monter nos fondations jusqu’au ciel ».
Bruno Retailleau veut « avoir le courage de dire la vérité ». Des paroles qui rappellent celle de son « ami » François Fillon, qui lui a adressé son soutien la veille. S’adressant aux jeunes LR et à la « flamme » de leurs « convictions », il dit : « Je n’ai jamais eu honte d’aucun de mes votes, d’aucune de mes convictions. Car j’ai toujours considéré que la politique, ce sont des convictions ». Pour rappel, le sénateur s’était opposé au mariage pour tous et à la PMA pour toutes. Les idées de Bruno Retailleau, qui mêlent conservatisme, autorité et libéralisme, sont souvent très à droite. Que cet ancien proche de Philippe de Villiers puisse aujourd’hui se situer à une forme de point d’équilibre dans son parti, pouvant rassembler des centristes aux souverainistes, montre le glissement à droite du mouvement et de ses militants.
« Dans les moments de grands traumatismes, on est tenté par le déni »
Chez les jeunes LR, son discours plaît, visiblement. Ses soutiens font la claque. « Bruno Président ! Bruno Président ! » scandent ses supporteurs, qui se font entendre. « Ciotti Président ! » leur répondent au terme de la matinée les soutiens du camp adverse. Le match est lancé.
Un peu avant, Olivier Marleix, à la tête du groupe des députés LR, s’est d’abord montré moins enthousiasme. « Dans les moments de grands traumatismes, on est tenté par le déni. […] Je vous rappelle qu’à l’élection présidentielle, nous avons obtenu 4,78 %. Je ne parle pas du score des écologistes ou du parti de Nicolas Dupont-Aignan »… Mais malgré tout, il croit « que tout est possible pour 2027 ». A condition, pour la droite, de « rassembler toutes ses sensibilités ».
Crise existentielle
Mais la droite jusqu’où ? C’est un peu la question pour les LR, en pleine crise existentielle. En ouverture de la matinée, une table ronde pose la question : « Comment reconquérir l’électorat urbain ? » Pour y répondre, Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, et Daniel Fasquelle, maire du Touquet et toujours trésorier du parti. Deux maires Macron compatibles. Peut-être un début de réponse… L’édile de la ville rose assume de parler marketing électoral, de la nécessité de s’adresser au-delà de son camp, y compris aux « communautés étrangères intégrées ». Pas sûr qu’Eric Ciotti et Bruno Retailleau, assis au premier rang, partagent la stratégie. L’avocat Charles Consigny, candidat LR défait aux législatives, joue les trublions. Il dénonce « un fascisme vert qui est en train de se développer », et lance, provocateur :
Profitez de tout ça avant que ce soit interdit. Achetez un 4X4, construisez une piscine !
Il appelle aussi les LR à épouser davantage la « modernité », et doute que l’opposition au mariage pour tous ait été une bonne idée. Quelques minutes plus tard, l’eurodéputé LR, François Xavier Bellamy, qui a apporté son soutien à Bruno Retailleau, n’entend pas lâcher sur ces questions, bien au contraire : « Ceux qui nous expliquaient qu’il suffisait de dire que les hommes ont droit au mariage, sont les mêmes qui disent aujourd’hui que les hommes ont le droit d’être enceinte. […] Moi je vous dis que ce monde est fou ». A droite, entre les « 50 nuances de LR », comme disait la veille le sénateur Stéphane Piednoir, il y a encore du boulot pour parler d’une même voix.