Dix ans plus tard, après les commémorations et les vœux pieux, où en est la lutte contre le terrorisme ? « Rien n’a changé » répond Marc Trévidic, avec le franc-parler qui le caractérise. « Regardez l’affaire Paty, on est au même niveau qu’il y a dix ans. On est dans un pays de liberté mais on prend des risques à l’exercer. Il y a des gens qui ne sont pas libres de faire leur boulot normalement. Les profs par exemple. Je trouve qu’aujourd’hui on a reculé. Il y a des sujets auxquels il ne faut pas toucher », regrette le juge.
La menace a changé de nature
Si la menace reste élevée, c’est peut-être parce qu’elle a changé de nature. Plus insaisissable, elle ne vient plus de l’extérieur, mais de l’intérieur, elle est endogène, et se niche chez des individus de plus en plus jeunes, selon le magistrat. « Ce qui m’inquiète c’est l’âge. Moi, j’ai commencé en 2000 l’antiterrorisme, Je n’avais jamais vu de mineurs. Il a fallu l’Etat islamique pour que l’on voie des mômes de 15, 16 ans et les femmes aussi massivement. Ça s’est élargi » constate Marc Trévidic. L’endoctrinement des mineurs s’est transformé. « À l’époque d’Al-Qaïda, il était profond, il se faisait par la pensée, la lecture. Aujourd’hui, il passe par l’image. On va montrer des vidéos de victimes, de frappes en Irak qui émeuvent. C’est moins profond mais cela donne des résultats plus immédiats. En trois quatre mois un jeune se radicalise » explique-t-il.
« Les réseaux sociaux ont permis une désinformation massive »
Une radicalisation facilitée par les réseaux sociaux, dont Marc Trévidic pointe la responsabilité. « Ils ont permis une désinformation massive. « On croit que, parce que l’on est en France, on a une offre médiatique large et que les jeunes, avec leur sensibilité, vont faire le tri. En réalité, ils vont vers le média qui les conforte dans leurs opinions. Avec la désinformation massive, on chauffe à blanc des gens. C’est le même mécanisme qui s’est produit pour Samuel Paty. On peut accuser n’importe qui de n’importe quoi et ce sera perçu comme la vérité. »
« Il y a plein de choses faites qui sont très utiles. Mais elles ont été mises en place parce que c’était la catastrophe. »
« La porte de sortie c’est un travail contre la radicalisation et contre l’idéologie islamiste. Ça peut prendre 10 ou 15 ans. Il faut travailler sur les causes » déclarait Marc Trévidic à Médiapart en 2015. Ce travail de fond « on a commencé à le faire » concède le magistrat. « Mais on partait de vraiment rien. On a commencé à s’inquiéter en 2014 quand tous ces Français partaient en Syrie. Depuis, on a commencé à créer des structures, recruté des psychiatres pour évaluer les gens, repéré en maison d’arrêt ceux qui se radicalisaient, fait du renseignement pénitentiaire pour que la DGSI connaisse les noms de ceux qui se sont radicalisés en prison. Il y a plein de choses faites qui sont très utiles. Mais elles ont été mises en place parce que c’était la catastrophe. Dans le domaine de l’antiterrorisme comme pour le reste des juridictions, Marc Trévidic regrette « le manque de moyens alloués à la justice. « C’est même étonnant que la justice ait à demander des moyens, s’agissant de la fonction la plus régalienne, elle devrait être privilégiée. »
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