Ce matin, la SNCF a annoncé, par communiqué, avoir « été victime […] de plusieurs actes de malveillance concomitants touchant les LGV Atlantique, Nord et Est. » A 5h15 du matin, trois incendies se sont en effet déclarés sur 3 lignes (Courtalain en Eure-et-Loire, aux alentours d’Arras sur la ligne Lille Paris et à Pagny-en-Moselle entre l’Est et Paris), endommageant le réseau ferroviaire. Certains trains grande vitesse ont été détournés sur la ligne classique, un grand nombre de liaisons ont été supprimées et le retour à la normale ne devrait pas intervenir avant la fin du week-end. Cette attaque, intervenue quelques heures avant la cérémonie officielle d’ouverture des JO de Paris 2024, met une nouvelle fois en lumière le défi sécuritaire que constituent ces Jeux. Eclairage avec le spécialiste des questions de sécurité Driss Aït Youssef.
Public Sénat : Le réseau ferroviaire français a été victime d’une « attaque massive » à quelques heures de la cérémonie d’ouverture, est-ce une surprise ? De qui est-ce le mode d’action ?
On a de manière assez coordonnée des attaques de sabotage avec une volonté d’entraver la bonne circulation. Il est actuellement trop tôt pour dire quoi que ce soit sur l’origine de cette attaque. A cette heure, nous n’en avons aucune idée. Ce type d’attaques, c’est un peu attaquer le pays avec un cure-dents, dans des endroits reculés, alors que les moyens sont concentrés sur la capitale. On verra les moyens déployés ensuite, selon la saisine du parquet, gendarmerie locale, parquet national antiterroriste ou police spécialisée, ce qui permettra de mettre en place des moyens d’investigation importants et rapides. (NDLR : c’est finalement le parquet de Paris qui s’est saisi de l’ensemble des « dégradations volontaires causées sur des sites SNCF.)
Les attaques liées au système ferroviaire, on a déjà vu ça en France, à l’époque où des écologistes avaient visé des lignes TGV, mais il s’agissait d’actes isolés et pas à un moment charnière comme les JO (NDLR : l’Affaire Tarnac en 2008, où des caténaires avaient été visés). Plus largement, les transports en commun ont toujours été une cible, de l’attentat de Saint-Michel à celui d’Atocha à Madrid (2004), en raison de la dimension spectaculaire, la concentration du nombre de personnes et des explosions qui ont beaucoup d’effet. Mais là, de cette manière coordonnée, c’est inédit.
Laurent Nunez a annoncé le renforcement des effectifs en gare parisienne : à quelles fins ?
Ça ne sera pas la seule mesure prise par la SNCF. La SNCF dispose aujourd’hui d’un service de sûreté ferroviaire avec des agents armés qui patrouillent dans les gares et dans les trains. Elle dispose aussi de la surveillance par caméras, par drones et par hélicoptères. Renforcer la surveillance dans les gares correspond au besoin de sécuriser et de rassurer mais le principal défi reste les réseaux ferrés. Après ce sabotage, le plus important, c’est d’abord de rassurer par la communication puis de revenir au maximum à une situation de circulation satisfaisante.
La cérémonie d’ouverture des JO en plein air, sur la Seine, avait été qualifiée il y a deux ans par Alain Bauer de « folie criminelle », est-ce que vous jugez qu’aujourd’hui l’événement sera correctement sécurisé ?
Il y a une différente extrêmement importante entre le scénario que nous avions il y a deux ans et aujourd’hui, c’est le volume de spectateurs. On avait évoqué 1 million de personnes, c’était irréalisable, pour déployer les effectifs de sécurité, pour mettre en place les estrades. Aujourd’hui, on est passé à une jauge à 320 000 personnes sur 6 km, ce qui est tout à fait faisable et ne fait pas craindre des mouvements de foule. Cette cérémonie a d’abord été un choix politique fait par la Maire de Paris et par le président de la République et qui s’est imposé aux responsables de sécurité. La préfecture de police et Laurent Nunez se retrouvent donc avec la responsabilité de sécuriser cette manifestation d’ampleur en devant concilier l’impératif de sécurité d’un événement regardé par la moitié du monde entier avec la liberté d’aller et venir, et de commercer. L’enjeu est de concilier ces impératifs de sécurité et de liberté, les dispositifs sont lourds, la reprise à la normale se fera progressivement et ne sera effective que lundi. Elle ne reposera que sur des policiers et des militaires, pas sur des agents de sécurité privés.
Quels sont les points de vigilance principaux en termes de sécurité pour cette cérémonie d’ouverture ?
C’est d’abord un défi logistique, avoir un temps chronométré pour installer les dignitaires car ils ne pourront pas attendre à certains endroits où ils seront très vulnérables. Un arsenal important est prévu : il y a des plongeurs, du déminage, des drones, des hélicoptères, un espace aérien fermé. Pénétrer ce périmètre pour tenter une attaque terroriste est compliqué. Mais il y aura aussi des riverains qui seront nombreux sur leurs balcons et leurs terrasses, il y a donc le risque d’un tireur embusqué. Sur le fait que la Seine soit au cœur de la cérémonie, il y a des entraînements depuis des mois, des moyens nouveaux avec des achats d’embarcations, des effectifs formés, des brigades fluviales, anti-drones, avec l’armée de l’air qui prend le relais au-delà d’une certaine altitude.
Plus largement, quels sont les principaux risques qui pèsent sur les JO ?
Vous avez le risque terroriste, pour lequel les effectifs sont préparés, coordonnés, avec des brigades spécialisées. Vous avez ensuite le risque cyber, le risque sanitaire, le risque NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), les violences urbaines, tous ces risques sont envisagés et pris en charge. Le risque cyber peut brouiller la capacité à communiquer correctement entre policiers, le plus important est d’avoir un plan B à déclencher en cas d’attaque.
Mais il va y avoir des aléas. Il est impossible de ne pas en avoir, compte tenu de l’incroyable ampleur de l’événement. Le plus important, c’est de pouvoir y répondre rapidement et efficacement pour ne pas basculer en mode crise. Mais en échangeant avec des responsables, certains m’ont bien dit que c’était un défi auquel on fait face une fois dans sa vie, autant de policiers, de militaires sur un événement…
L’objectif, c’est d’essayer de rassurer autant que faire se peut pour que cette cérémonie ne soit pas perçue comme un psychodrame, on a besoin qu’il y ait du monde. Cela vaut pour l’ensemble des JO, qui revêtent une dimension sportive, culturelle et récréative, c’est un moment populaire de rassemblement