Assurance-chômage : quand le candidat Macron promettait une « assurance-chômage pour tous » en 2017
Par Alexis Graillot
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Un nouveau tour de vis qui passe mal auprès des syndicats et une partie du personnel politique, de gauche comme de droite, qui dénonçaient, ce jeudi, auprès de Public Sénat, une attaque au « paritarisme ». « On a dévoyé la gouvernance de l’assurance chômage. Le gouvernement s’arroge des droits qui appartiennent au monde du travail », dénonçait la sénatrice LR de l’Isère, Frédérique Puissat, qui était corapporteure de la seconde réforme de l’assurance chômage. Sa collègue socialiste Monique Lubin, rappelait quant à elle que « l’Unedic est un système assurantiel. Or, le gouvernement stigmatise les chômeurs comme s’ils bénéficiaient de l’impôt des Français ».
Ce mercredi soir sur TF1, Gabriel Attal a appelé à « une vraie réforme, plus globale ». « Une des pistes, c’est de réduire cette durée d’indemnisation de plusieurs mois », avait expliqué le Premier ministre, tout en précisant ne pas penser « qu’il faille que ça aille en-dessous de douze mois », alors que la règle générale est aujourd’hui de dix-huit mois.
Une durée constamment réduite depuis l’arrivée au pouvoir du chef de l’Etat, bien loin des engagements présidentiels de 2017, qui promettaient alors de créer une « protection chômage pour tous les actifs », ainsi qu’une ouverture des droits « pour les salariés qui démissionnent ». Coup de rétro.
De la création d’un droit au chômage pour les salariés qui démissionnent … à un resserrement strict des conditions
« Tous les cinq ans, chacun y aura droit, s’il choisit de démissionner pour changer d’activité ou développer son propre projet professionnel », expliquait alors le programme du candidat. Un droit incitatif, pour permettre aux entreprises d’« investir pour améliorer la qualité de vie au travail afin de conserver leurs salariés, dont nous renforçons ainsi le pouvoir de négociation ».
Quelques mois après, le gouvernement avait déjà largement refroidi les espoirs suscités, en fixant une série de conditions restrictives : une affiliation « ininterrompue » à l’assurance-chômage pendant cinq ans, la nécessité d’un « projet d’évolution professionnelle » impliquant de nouvelles formations, qui se doit être « réel et sérieux », en d’autres termes, répondre « raisonnablement aux besoins du marché du travail ».
Une tendance confirmée par la première réforme de 2019, qui avait notamment portée à six mois (contre quatre auparavant), la durée minimale de travail ouvrant des droits, ainsi qu’une dégressivité de 30 % de l’allocation-chômage pour les hauts revenus à partir du septième mois. En 2022, les critères avaient été encore durcis, supprimant l’accès aux allocations chômage pour les cas « d’abandon de poste, sans motif légitime », ainsi qu’en cas « refus de CDI pour les salariés en contrats courts ». Ainsi, « le salarié en fin de contrat qui refuse deux fois un CDI pour un emploi aux mêmes caractéristiques en l’espace d’un an » ne peut désormais plus percevoir l’assurance chômage.
Cette fois-ci, le Premier ministre souhaite aller encore plus loin. Actuellement, pour bénéficier du chômage, il est nécessaire d’avoir travaillé au moins six mois sur les deux dernières années. Gabriel Attal suggère de passer de deux ans à un an et demi, soit dix-huit mois. Autre piste envisagée par le gouvernement, réduire la durée d’indemnisation, aujourd’hui fixée à dix-huit mois, sans toutefois descendre en-dessous d’un an. Enfin, le levier de la dégressivité des allocations est aujourd’hui le moins probable, même si le locataire de Matignon a affirmé au JDD que « cela fera partie des discussions ».
D’une volonté d’ouvrir l’assurance-chômage à tous, à un durcissement des conditions, ne laissant que peu de marge aux partenaires sociaux, « un coup de canif » selon les deux plus hauts représentants de l’Unedic, ne contribuera sans doute pas à améliorer le « climat de défiance », qui s’est installé entre l’exécutif et les partenaires sociaux.
Tuée dans l’œuf, la protection chômage pour tous les actifs semble bien loin
« Nous permettrons à tous les travailleurs d’avoir droit à l’assurance-chômage. Les artisans, les commerçants indépendants, les entrepreneurs, les professions libérales et les agriculteurs disposeront, comme les salariés, de cette protection ». Le programme présidentiel de 2017 se voulait résorber les inégalités entre les salariés « classiques » et les indépendants. Dans le détail, le candidat Macron précisait que « lorsqu’on est successivement salarié et indépendant, ou parfois les deux en même temps, la protection ne peut plus dépendre du statut comme dans le monde d’hier. L’assurance-chômage universelle couvrira tous les actifs – salariés, artisans, commerçants indépendants, entrepreneurs, professions libérales, agriculteurs – et facilitera les transitions d’un statut à un autre ».
Moins d’un an après, la promesse semblait déjà tuée dans l’œuf. Si l’Assemblée nationale avait bel et bien légiférée sur une indemnisation en faveur des indépendants en perte d’activité, celle-ci ne concernait que ceux placés en liquidation judiciaire. Plus précisément, l’article 51 de la réforme de 2019 disposait que le travailleur indépendant avait le droit à une indemnité autour de 800 euros par mois, pendant six mois, en cas de liquidation judiciaire ou de redressement judiciaire. Cependant, celui-ci se devait d’avoir « exercé son activité professionnelle durant au moins deux ans et avoir généré un revenu minimum de 10 000 euros par an sur les deux dernières années avant la liquidation ». Bien loin de la promesse de 2017…
En 2022, pour compenser les pertes d’activité à la suite de la crise Covid, l’exécutif avait choisi d’élargir quelque peu l’allocation, désormais ouverte aux indépendants dont « l’activité économique n’est plus économiquement viable ». Des critères restrictifs sont toutefois adossés à cette première condition : une baisse d’au moins 30% des revenus déclarés, ainsi qu’une attestation d’absence de viabilité, via un tiers de confiance (CCI, expert-comptable…).
Pour l’heure, la nouvelle réforme envisagée est loin de faire consensus parmi les économistes. Dans nos colonnes, le 22 mars dernier, Éric Heyer regrettait qu’« on préfère taper sur les chômeurs plutôt que supprimer des niches fiscales inefficaces. Car comme on dit, derrière chaque niche, il y a un chien qui aboie… Or sur les chômeurs, c’est inefficace et inégalitaire et ça ne rapporte pas énormément. Vous êtes très vite à l’os ». Un constat qui semble cependant rejoindre un consensus partagé par l’ensemble des économistes : celui de faire une nouvelle réforme alors que les effets de la précédente n’ont pas été évalués. Voilà qui devrait donner du grain à moudre aux critiques de l’inflation normative. Rappelons à ce titre qu’une étude gouvernementale avait estimé que le poids des normes en France représenterait un coût de 60 milliards d’euros par an, soit 3% du PIB. A l’heure où le gouvernement cherche à faire 20 milliards d’euros d’économies en 2025, les mauvaises langues pourraient lui suggérer de balayer d’abord devant sa porte.
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