François Bayrou souhaite relancer la réforme du mode de scrutin aux élections municipales à Paris, Lyon et Marseille, à un an de l’échéance. Beaucoup de sénateurs, notamment à gauche, craignent le risque d’une manœuvre électorale.
Après l’épreuve du budget, quels sont les chantiers du gouvernement Bayrou ?
Par François Vignal
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Et maintenant, que va-t-il faire ? Sauf très grosse surprise de dernière minute, la France va – enfin – avoir un budget pour l’année 2025. La motion de censure sur le projet de loi de finances, dont le vote aura lieu mercredi, ne devrait pas être adoptée, grâce à la non-censure décidée par le PS. Le RN semble se diriger aussi vers la même position.
L’horizon politique se dégage quelque peu pour François Bayrou. Reste à voir jusqu’à quand cet attelage, qui reste très incertain, peut tenir. « On a de l’air jusqu’à l’été », prédit un soutien du gouvernement. La motion de censure sur « la défense des valeurs de la République », que compte déposer rapidement le PS, ne devrait théoriquement pas attirer les suffrages du RN. « La motion du PS, je n’y crois pas. Je ne crois pas que le RN va voter n’importe quoi », confie un cadre de la majorité. L’exécutif peut ainsi espérer se projeter sur quelques mois d’actions. Les plus optimistes diront jusqu’au prochain budget pour 2026, voire au-delà… A moins qu’Emmanuel Macron ne décide de redissoudre. Il pourra le faire à nouveau, un an après avoir appuyé sur le bouton, soit à partir de juin ou juillet.
« Les fameux sommets enneigés »
Dans l’immédiat, le gouvernement planche sur la suite. « Cette étape initiale du budget, […] n’est que le début du travail que nous avons à accomplir », a prévenu François Bayrou ce mardi, lors des questions d’actualité au gouvernement à l’Assemblée. Il a repris sa métaphore montagnarde. « J’ai utilisé l’image, peut-être eu peu forcée, de l’Himalaya, chaîne de montagnes de 2000 mètres sur laquelle il y a huit sommets de plus de 8000 mètres. Et il y a des crevasses, vous avez raison Monsieur le député. Donc il y a un immense travail à accomplir pour retrouver ce climat de confiance », lance le premier ministre.
La semaine dernière, lors du compte rendu du Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, avait déjà levé un peu le voile sur la méthode. « Tout au long du mois de février, le premier ministre réunira des ministres en groupes de travail, sur des thèmes qui sont cruciaux, les fameux sommets enneigés, tels que consolider les comptes publics pour retrouver la souveraineté économique et budgétaire, restaurer l’autorité, former les citoyens de demain pour tenir la promesse républicaine, renforcer notre compétitivité et notre croissance, assurer la résilience des territoires, encadrer le travail et répondre au défi démographique », a expliqué la porte-parole.
« Le chemin n’est pas sans écueils… »
Ces chantiers « se traduiront d’ici la fin de la cession par des projets et propositions de lois, des décrets et des circulaires », expliquait la porte-parole. Si tout n’est pas arrêté au niveau du calendrier, « sont déjà prévus l’adoption de la loi sur la simplification de la vie des entreprises, le projet de loi d’orientation sur l’agriculture, la proposition de loi sur la lutte contre narcotrafic (qui vient d’être adopté par le Sénat, ndlr), le projet de loi sur Mayotte, le texte sur la fin de vie, un projet de loi sur les JO 2030 ».
Ce matin, lors du petit déjeuner de la majorité, le premier ministre a fait passer le message de mobilisation à ses troupes : « Le premier ministre a dit « ne croyez pas qu’on va s’arrêter là. Je vais continuer à réformer » », nous rapporte un participant, qui ajoute : « Il a dit que « le chemin n’est pas sans écueils, mais on avancera quand même » ». Toujours lors de cette rencontre hebdomadaire de la majorité, qui rassemble les responsables du socle commun, le premier ministre a exprimé au passage sa volonté de s’emparer du sujet « PLM », c’est-à-dire la réforme des modes de scrutin à Paris, Lyon, Marseille. « Il veut avancer. Il reçoit les trois maires et le président de la région PACA », rapporte un responsable de la majorité.
François Bayrou « demande à chacun des ministres de lancer une analyse en profondeur, qui ne partira pas des moyens, mais des missions de l’Etat »
Pour gravir les sommets, le premier ministre entend « proposer une stratégie sur ces très grands sujets : de l’éducation nationale à la santé, en passant par la réforme de l’Etat », avance ce mardi le locataire de Matignon devant les députés. Ainsi, « dès le lendemain de l’adoption du budget, je demande à chacun des ministres de lancer une analyse en profondeur, qui ne partira pas des moyens, mais des missions de l’Etat. Est-ce qu’elles sont bien accomplies ? On pourra s’interroger aussi sur la répartition avec les collectivités et si l’allocation des moyens est juste et la bonne ». Traduction : il faudra trouver les moyens de faire des économies sur le train de vie de l’Etat et des collectivités, notamment en évitant les doublons.
Un responsable de la majorité estime qu’« il faut trouver 30 milliards d’euros d’économies structurelles ». Le même souligne au passage que la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises, prévue dans le budget et censée ne durer qu’un an, rapportera 8 milliards. Donc « si on ne le fait qu’une année, il faut trouver les 8 milliards ailleurs… »
« Il ne faut plus qu’il y ait 40 organismes qui fassent tout ou parti d’une même politique publique »
Dans cette recherche d’économies, le Sénat compte jouer son rôle et le gouvernement compte sur le Sénat, où il dispose d’une large majorité du socle commun, grâce à la majorité sénatoriale LR-centriste. « C’est assez simple, il y a un chantier colossal devant nous : que l’Etat devienne un athlète plus affûté. Qu’on le fasse à la fois maigrir et le rendre plus compétitif et plus performant. C’est vrai dans son organisation, les dépenses, les dépenses publiques en général, et de mon point de vue, les dépenses sociales », avance le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général du budget au Sénat. Sinon, « on n’arrivera pas à financer notre système de protection sociale. Je n’ose dire notre modèle, car je ne sais pas si c’est le meilleur », ajoute l’élu de Meurthe-et-Moselle.
Pour passer aux travaux pratiques, le groupe LR a fait usage de son droit de tirage pour lancer une commission d’enquête « sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État ». Si on ne connaît pas encore le nom des rapporteurs et présidents, c’est le président du groupe, Mathieu Darnaud, qui a déposé la proposition de résolution créant la commission d’enquête. « L’heure du grand audit de ces organismes est venue », a prévenu dans Le Figaro le sénateur LR de l’Ardèche, qui annonce que « tous les ministres, les opérateurs et les responsables des services de l’État concernés seront auditionnés ».
« L’idée, c’est de voir comment chaque euro de dépense publique alimente et nourrit la mise en œuvre des services publics et des services rendus au public. Il ne faut plus qu’il y ait 40 organismes qui fassent tout ou parti d’une même politique publique », résume Jean-François Husson. Mais si la droite sénatoriale entend « faire évoluer les choses », elle promet de le « faire objectivement, le plus sérieusement possible ». « Il ne faut pas de brutalité. Quand vous décidez du jour au lendemain de supprimer, vous faites quoi des agents ? Ça se prépare », affirme Jean-François Husson, alors que le gouvernement est revenu sur la suppression de l’Agence bio, votée au Sénat. Le rapporteur de la commission des finances reconnaît que la mission de réduire le poids des agences est de taille :
Les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur les agences permettront ensuite de nourrir le projet de loi de finances 2026, pour l’année prochaine. Ce PLF 2026 sera aussi l’occasion pour le gouvernement de mettre en place son projet de lutte contre l’optimisation fiscale (voir notre article sur le sujet).
Les deux textes sur la fin de vie à l’ordre du jour « avant le mois de juin »
Autre chantier des mois à venir pour le gouvernement : la fin de vie. On sait que François Bayrou a décidé de séparer le sujet en deux textes, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide active à mourir. Certains craignent en réalité un renoncement.
Mais François Bayrou entend bien « avancer », comme il l’a redit, ce matin, lors du petit déjeuner de la majorité. Et l’idée n’est pas de traîner. « Avant la fin de la session parlementaire, les deux textes seront à l’ordre du jour. Ce sera probablement avant le mois de juin », confie une ministre, qui explique que l’idée est de tout examiner ensemble :
Des propositions de loi, plutôt que des projets de loi du gouvernement
Pour avancer, le gouvernement s’adapte aussi à l’absence de majorité absolue à l’Assemblée. Pour la contourner, il mise sur les textes d’initiative parlementaire, « des propositions de loi, qui sont présentées de façon très importante dans les espaces réservés des groupes politiques de chaque assemblée, notamment sur le droit du sol à Mayotte, les règles d’attribution des logements ou les conditions d’utilisation des drones en agriculture », souligne Sophie Primas.
Sur l’immigration, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a renoncé à son grand projet de loi, trop clivant. Il mise plutôt sur des PPL. Les sénateurs LR viennent ainsi d’annoncer deux textes, l’un sur l’allongement jusqu’à 210 jours de la durée de détention en centre de rétention administrative, le second sur la conditionnalité des aides sociales. A l’Assemblée, c’est le patron du groupe EPR (Renaissance), Gabriel Attal, qui a déposé lui-même une proposition de loi sur la justice des mineurs, bientôt examinée. Elle sera soutenue par le gouvernement.
« Le socle commun va mieux. Le ballon tourne mieux »
Et passer par une proposition de loi, ça marche. Preuve au Sénat, où le texte sur le narcotrafic, issu des travaux communs des sénateurs Etienne Blanc (LR) et Jérôme Durain (PS), a été adopté à l’unanimité. « Jamais le gouvernement n’aurait obtenu ce score », note un responsable de la majorité, qui s’autorise même un brin d’optimisme pour les semaines à venir : « Le socle commun va mieux. Le ballon tourne mieux, il y a un meilleur état d’esprit ». Attention, en 2025, une hirondelle ne fait toujours pas le printemps, surtout en hiver.
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