Algérie : la droite salue la « fermeté » de Bruno Retailleau, les socialistes dénoncent une « diplomatie indexée sur la campagne des LR »

Algérie : la droite salue la « fermeté » de Bruno Retailleau, les socialistes dénoncent une « diplomatie indexée sur la campagne des LR »

La ligne dure défendue par le ministre de l’Intérieur vis-à-vis de l’Algérie, qui refuse les expulsions ordonnées par la France, clive profondément au Sénat. La droite sénatoriale soutient sans hésitation son ancien président. En face, les socialistes craignent une « escalade » sans résultats.
Guillaume Jacquot

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Il avait durci le ton ces derniers mois, promettant d’instaurer un rapport de force. Bruno Retailleau s’apprête maintenant à mettre les menaces à exécution, après le nouveau refus de l’Algérie d’accepter une soixantaine de ressortissants expulsables remis par la France. Face à cette fin de non-recevoir, jugée contraire à l’accord de 1994, le ministre de l’Intérieur a annoncé lundi soir qu’une « riposte graduée » serait engagée, conformément à la décision du Comité interministériel présidé par le Premier ministre.

Bruno Retailleau a d’ores et déjà annoncé la suspension des accords de 2007, qui consistent à exempter de visa les Algériens en possession d’un passeport diplomatique. Selon Le Figaro, une quinzaine de mesures serait à l’étude pour contraindre Alger à respecter le droit international, allant des restrictions du nombre de visas, à la suppression de l’agrément pour les nouveaux consuls algériens, ou encore à des sanctions d’ordre économique, avec par exemple une suspension de l’activité des compagnies aériennes. En ultime recours, l’exécutif pourrait dénoncer la convention générale de Sécurité sociale signée entre les deux pays, voire l’accord de 1968, duquel découle un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi.

Sous pression du Rassemblement national et des ciottistes sur sa droite, qui l’accusent de n’en rester qu’à des coups de menton, mais aussi de la gauche, qui s’inquiète de l’efficacité de la stratégie du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau peut en tout cas compter sur le soutien indéfectible de son ancien groupe parlementaire. Il a notamment reçu l’appui du président du Sénat, Gérard Larcher, qui approuve sa « volonté de fermeté », « seule ligne viable pour garantir les intérêts de la France et protéger les Français ».

« L’opinion publique est derrière lui », assure Roger Karoutchi (LR)

Dans les rangs de la droite sénatoriale, qui le soutient en très grande majorité dans la course à la présidence du parti face au patron des députés LR Laurent Wauquiez, ce nouvel épisode démontre la détermination du ministre. « À un moment donné, un peu de fermeté est nécessaire, il a cette fermeté. Ça n’empêche pas de revenir au dialogue si les Algériens décidaient d’y revenir », valide le sénateur Pascal Allizard, siégeant à la commission des affaires étrangères.

« Dès qu’il a pris ses fonctions, Bruno Retailleau savait qu’il y aurait des enjeux, des épreuves compliquées et des défis à relever. Mais il va les relever. Et l’opinion publique est derrière lui, elle n’accepterait pas qu’une fois de plus on accepte la facilité », se rassure Roger Karoutchi. Le sénateur des Hauts-de-Seine note d’ailleurs que Bruno Retailleau n’est en rien isolé, puisque deux figures du bloc central, Gabriel Attal et Edouard Philippe, se sont déjà exprimés en faveur d’une remis en cause des accords de 1968. « S’il faut aller jusque-là, allons-y. »

« Je suis persuadé que Bruno Retailleau sait où il va. C’est la première fois que le gouvernement français, au travers de Bruno Retailleau parle à l’Algérie comme on doit parler à un régime militaire qui ne respecte pas le droit international et les droits de l’homme », observe également Max Brisson, l’un des porte-paroles du groupe LR au Sénat.

« Une escalade qui va aggraver la situation », déplore Corinne Narassiguin (PS)

À gauche, les socialistes s’inquiètent de la ligne dure incarnée par le ministre, qui pourrait être à leurs yeux contreproductive. « Il ne faudrait pas que la diplomatie soit indexée sur la campagne des LR », reproche le sénateur Rachid Temal, membre de la commission des affaires étrangères et président du groupe d’amitié France-Algérie. « Les relations entre les deux pays sont gérées par la diplomatie, et doivent être gérées de façon globale. Il faut dialoguer, plutôt qu’aboyer », plaide le sénateur, qui rappelle que des liens en matière de renseignement ou de renseignement unissent les deux États.

« On est dans une escalade qui va aggraver la situation, qui ne va pas du tout augmenter le nombre d’OQTF [Obligation de quitter le territoire français] exécutées, car on voit bien qu’en la matière on n’a pas un taux beaucoup plus élevé ou plus faible que la plupart des pays africains avec lesquels on a des relations en dent de scie », fait valoir la sénatrice PS Corinne Narassiguin.

Outre la méthode choisie, les sénateurs PS reprochent également au ministre d’outrepasser son domaine d’action. « J’avais compris que la politique étrangère était pilotée par le Quai d’Orsay et l’Élysée. Quelle est la fin derrière tout cela ? On veut interrompre les relations diplomatiques ? Pourquoi le président de la République laisse faire ? » s’interroge Rachid Temal. « La politique des visas et en particulier des visas diplomatiques, c’est quand même du domaine du ministère des Affaires étrangères. Là, on voit que Bruno Retailleau a une obsession algérienne et qu’il l’utilise pour faire de la politique intérieure », accuse également Corinne Narassiguin.

Le ministre de l’Intérieur met sa démission dans la balance

Le ministre assure qu’il avance en coordination avec ses collègues. Après avoir été longtemps isolé dans cette logique du rapport de force, Bruno Retailleau a indiqué, dans un entretien au Parisien samedi, que sa ligne était « désormais celle du gouvernement ». Rappelons qu’à l’issue du comité interministériel de contrôle de l’immigration le 26 février, le gouvernement par la voix du Premier ministre a menacé de dénoncer l’accord de 1968, si Alger ne se montrait pas coopératif dans la reprise de ses ressortissants. Ce mardi, lors des questions d’actualité à l’Assemblée nationale, François Bayrou a confirmé la « détermination » de son gouvernement à « réviser les accords », si l’Algérie persistait à ne pas donner suite, dans un « délai assez court », à la liste d’expulsés de la France.

Début mars, le président de la République avait paru vouloir jouer la carte de l’apaisement avec le gouvernement algérien, en se disant « favorable, non pas à dénoncer, mais à renégocier », l’accord de 1968. Depuis, Bruno Retailleau et Emmanuel Macron se sont finalement entendus il y a une semaine sur le contenu de la riposte graduée, relataient Le Figaro et le JDD.

Ce qui n’a pas empêché le ministre de mettre son poste dans la balance, si le gouvernement lui demandait de céder sur ce « sujet majeur », confiait-il ce samedi au Parisien. « Il ne transigera pas, et il ne cédera pas sur ses convictions et sur ses positions. Si on lui demande de céder face à l’Algérie, il quittera ses fonctions et ça ne le rendra que plus populaire dans l’opinion publique et chez les LR qui reconnaîtront un patron qui ne cède pas », anticipe Roger Karoutchi. L’aggravation de la crise entre Paris et Alger intervient un moment particulier pour le ministre de l’Intérieur, qui s’est porté candidat à la présidence des Républicains.

Son rival dans cette campagne interne, Laurent Wauquiez, s’est d’ailleurs dit « d’accord » avec la démarche de ce dernier. « Rester au ministère de l’Intérieur n’a pas de sens » si le président de la République refuse de dénoncer les accords de 1968, selon lui. « Au discours qui consisterait à dire que Bruno Retailleau est prisonnier d’un gouvernement, Bruno Retailleau est en train de répondre de la manière possible en montrant qu’il a des marges d’action », répond Max Brisson, l’un de ses soutiens.

La double casquette de Bruno Retailleau n’est pas du tout du goût des socialistes. « La question qu’on peut se poser, c’est : est-ce que son attitude est dictée par ses ambitions ? » s’interroge un membre du groupe PS au Sénat. Des accusations d’interférences que balaie le groupe LR. « La relation compliquée avec l’Algérie était bien antérieure au lancement d’une campagne interne des LR », réplique Roger Karoutchi.

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