Il y a quelques semaines, la traditionnelle baguette de pain française était inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. La hausse du prix de l’énergie va-t-elle la faire figurer dans la liste du patrimoine en péril ?
En effet, les 33 000 artisans boulangers voient leur facture d’énergie flamber à tel point que certains pourraient mettre la clé sous la porte. Même si le ministre de l’Economie a réfuté, ce mercredi, sur France Inter toute une « vague de fermetures et de faillites ». « Aujourd’hui, moins d’1 % des entrepreneurs envisagent de fermer ou de ralentir leur production », a assuré Bruno Le Maire.
80 % des boulangers n’ont pas droit au bouclier tarifaire
Certes, le bouclier tarifaire présenté à l’automne dernier doit permettre de limiter la hausse des prix du gaz et de l’électricité à 15 % mais « 80 % des boulangers n’y ont pas droit », rappelle Serge Babary (LR), président de la délégation aux entreprises du Sénat. « Pour en bénéficier, l’entreprise ne doit pas dépasser les 10 salariés et 2 millions de chiffre d’affaires mais aussi ne pas dépasser une puissance électrique de 36 kilovoltampères. « Ça passe pour les fours anciens mais ceux qui ont investi dans des fours modernes ne rentrent pas dans les clous. 15 % d’augmentation, c’est déjà beaucoup mais quand on est face à des multiplicateurs allant de 6 à 10 ce n’est plus tenable », rappelle le sénateur.
Raison pour laquelle, une proposition de loi visant à supprimer le critère lié à la puissance pour bénéficier des tarifs réglementés de vente d’électricité a été déposée par le sénateur LR, Fabien Genet. Elle devrait être examinée prochainement en séance publique.
Pour l’heure, la Première ministre, Élisabeth Borne a annoncé que les petits commerçants parmi lesquels les boulangers pourraient demander le report du paiement de leurs impôts et cotisation sociale afin de soulager leur trésorerie. Bruno Le Maire a quant à lui mis la pression sur les énergéticiens, leur demandant « de faire plus, mieux et tout de suite » tout en menaçant ceux qui n’ont pas respecté la charte de bonnes pratiques signée en octobre dernier de dévoiler leurs noms. Selon cette charte, les fournisseurs d’électricité devaient prévenir au moins deux mois à l’avance leurs clients qui ne bénéficiaient pas des tarifs réglementés.
« On se dirige vers une re-giletjaunisation de la France »
Confrontés à la fois à l’augmentation du prix des matières premières et à la hausse des prix de l’énergie, les boulangers seront autorisés à résilier sans frais leurs contrats « lorsque les prix ont explosé de manière prohibitive », a précisé Bruno Le Maire.
« Un pansement sur une jambe de bois », dénonce la présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas qui adjure le gouvernement à apporter « une réponse structurelle » aux TPE et PME sans quoi, on se dirige vers une re-giletjaunisation de la France ».
« On focalise sur les boulangers, mais on recense des difficultés aussi chez d’autres artisans comme les charcutiers, les traiteurs et les teinturiers… Une mobilisation est prévue le 23 janvier. Il faut faire attention à ne pas voir resurgir une forme de poujadisme car dans ce milieu, lorsqu’on fait faillite, on perd tout. Donc, dans un certain sens, ils n’ont rien à perdre », alerte Serge Babary. Vendredi 6 janvier, la commission des affaires économiques du Sénat auditionnera une délégation de boulangers.
Les représentants des restaurateurs, qui réclament eux aussi des aides pour payer leurs factures d’énergie, seront reçus à leur tour par Bercy, jeudi.
« La politique du chèque et la pression sur les énergéticiens, ça ne fonctionne pas, constate Sophie Primas. Elle demande « une nouvelle architecture du prix de l’électricité en Europe ». A savoir une décorrélation du prix du gaz et de l’électricité, une solution régulièrement invoquée pour limiter l’impact de la crise de l’énergie, depuis le début de la guerre en Ukraine.
Dans son viseur, le mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) mis en place il y a une dizaine d’années, afin de permettre l’ouverture à la concurrence du marché de la production d’électricité. Le but était de forcer EDF à vendre une partie de son électricité nucléaire produite en grande quantité et à bas coût à ses concurrents, les fournisseurs dits « alternatifs », pour en quelque sorte rééquilibrer le marché.
Le tarif de l’électricité est déterminé selon le principe du « coût marginal » avec comme référence la production de l’énergie la plus coûteuse (gaz, charbon) afin d’inciter les exploitants à continuer de produire pour faire face aux pénuries. La guerre en Ukraine a fait naître un paradoxe. La France produit une électricité peu chère, grâce à son parc nucléaire et les énergies renouvelables mais la paye aux prix fort en raison de sa participation au marché européen.
Mais décorréler du prix du gaz et de l’électricité ne fait pas vraiment des émules chez nos voisins européens. « « Il n’y a pas un seul pays qui a un mix énergétique qui ressemble à un autre. La France ne dépend pas beaucoup du gaz, l’Allemagne et l’Italie en dépendent beaucoup. Il faut arriver, à 27, à se mettre d’accord sur des mesures qui permettent de satisfaire les contraintes et de répondre aux uns et aux autres », avait expliqué Laurence Boone, la secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, auditionnée au Sénat en octobre dernier.
« On ne peut pas accepter que l’Allemagne nous mette dans cette situation. D’autres pays comme l’Espagne et le Portugal ont déjà pris des libertés avec le marché européen. On ne peut pas rester prisonnier du dogme des pays du Nord. La seule réponse que doit apporter le gouvernement, c’est de la fermeté au niveau européen », tance Sophie Primas.
« Qu’attend Emmanuel Macron pour enfin sortir la France du marché européen de l’énergie de cette folie qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz ? Cela fait des mois qu’on en parle et toujours aucune décision ! Bientôt, pour des milliers de nos PME et de nos petits commerces, il sera trop tard », a tweeté mardi, le patron de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau.
« Lorsqu’il s’agit de voter un texte en ce sens, il n’y a plus personne »
De quoi faire sourire le sénateur communiste, Fabien Gay. « On est train de se diriger vers l’instauration du communisme en France ». « J’entends les interventions de la droite sénatoriale depuis septembre. Mais lorsqu’il s’agit de voter un texte en ce sens, il n’y a plus personne », tacle-t-il. Une référence à sa proposition de loi visant à étendre les tarifs régulés de l’électricité à toutes les collectivités, rejetée en décembre dernier.
Le sénateur de Seine Saint Denis défendra dans l’hémicycle le 12 janvier prochain une proposition de résolution visant « à sortir le système électrique des mécanismes concurrentiels ». Le texte propose de revenir à une politique tarifaire décidée par l’État, grâce à un calcul des prix de l’électricité basé avec les coûts de production. Le texte bénéficiera-t-il cette fois-ci de l’appui de la majorité sénatoriale ? « Avant d’être majoritaire, une idée est minoritaire », philosophe Fabien Gay. « Ce serait quand même mieux d’agir avant que le pays soit à feu et à sang », ajoute-t-il.