Nouvelle-Calédonie : « Nous sommes à l’aube de l’effondrement sociétal », alertent les représentants du Congrès reçus au Sénat

Une délégation calédonienne interinstitutionnelle était reçue au Sénat ce mardi par le président Larcher et les présidents de groupes parlementaires, quatre mois après les émeutes qui menacent la paix civile de l’archipel plongée dans une situation d’urgence économique et sociale.
Simon Barbarit

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Comme un symbole, et pourquoi pas le signe d’un apaisement retrouvé, c’est le député Emmanuel Tjiabou, le fils du célèbre leader indépendantiste, l’un des pères des accords de Matignon en 1988, qui a introduit la séance de travail de la délégation calédonienne interinstitutionnelle reçue, ce jeudi, à la présidence du Sénat. « On espère que cet échange sera porteur de vitalité […] d’espoir qu’on puisse écrire une page nouvelle ».

Autour de la table, des représentants du Congrès et du Sénat calédonien, députés et sénateurs de l’Archipel, les présidents des groupes politiques de la chambre haute ainsi que le rapporteur général du budget, Jean-François Husson. « Il nous semblait important de recevoir votre délégation. Ce geste que nous faisons ensemble. C’est un geste d’amitié, mais c’est aussi un geste d’écoute », a déclaré Gérard Larcher.

De l’écoute, les Calédoniens vont avoir besoin. On compte désormais 13 morts dans l’Archipel du Pacifique depuis le début des émeutes déclenchées en mai dernier, après l’adoption par le Sénat et l’Assemblée nationale d’un projet de loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales.

« Les collectivités n’ont pas les moyens de faire face à cette crise sociale »

« C’est une situation d’une très grande complexité qui appelle l’Etat à avoir une attitude extrêmement active en solidarité à tous nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie » a estimé le sénateur LR Philippe Bas en charge du dossier à la Haute assemblée. « L’urgence, c’est le traitement de la situation économique et le traitement de la situation sociale avec le rétablissement de la paix civile […] Plus de 30 % des entreprises calédoniennes sont aujourd’hui en inactivité. Il y a une perte de ressources pour toutes les collectivités qui font qu’elles n’ont pas les moyens de faire face à cette crise sociale ».

Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste précise que ce plan « doit faire jouer la solidarité nationale à l’image de ce qui c’était fait après le passage de l’ouragan Irma aux Antilles en 2017. Avec un taux de chômage de presque 50 % et des dispositifs d’aide sociale comme le RSA qui n’existent pas en Nouvelle-Calédonie, il y a un risque de famine, les élus nous l’ont clairement dit », rapporte-il.

A l’approche de l’examen du Budget, les représentants du Congrès sont venus présenter aux sénateurs, leur plan quinquennal transpartisan de reconstruction, adopté ce 28 août, qui prévoit 4,2 milliards d’euros sur 5 ans de la part de l’Etat pour reconstruire l’archipel. « Nous sommes à l’aube de l’effondrement sociétal de notre pays […] Responsables institutionnels, politiques et coutumiers de la Nouvelle-Calédonie, même si on peut avoir des divergences, nous sommes tous d’accord sur un point, c’est qu’il va falloir mettre tout en œuvre pour sauver la Nouvelle Calédonie de l’effondrement », alerte Milakulo Tukumuli, troisième vice-président de la Province Sud, et président de l’Eveil océanien.

Également en charge du dossier calédonien, le vice-président (LR) du Sénat, Mathieu Darnaud promet que le Sénat « sera particulièrement attentif au chiffrage » des crédits. « Il y va de l’avenir et du redémarrage économique de la Nouvelle Calédonie ».

« Le dossier calédonien revient à Matignon comme le veut l’histoire »

A demi-mot, le bilan de Gérald Darmanin, l’ancien ministre de l’Intérieur, en charge de l’Outre-mer ces deux dernières années est désavoué. Sa gestion de la réforme institutionnelle déjà jugée « trop verticale » par les élus de la chambre haute au printemps dernier avait mis le feu aux poudres. A ce titre, la nomination au poste de ministre en charge des Outre-mer de plein exercice auprès du Premier ministre, de François-Noël Buffet (LR), le président de la commission des lois, fin connaisseur du dossier calédonien, est une « première bonne nouvelle » pour Milakulo Tukumuli. « Le dossier calédonien revient à Matignon comme le veut l’histoire. On connaît Monsieur Buffet avec qui on a beaucoup échangé. Il a de grandes qualités d’écoute. Il est attentif au dossier calédonien. Donc on a confiance en l’avenir », insiste Milakulo Tukumuli qui espère rencontrer Michel Barnier et François-Noël Buffet avant le discours de politique générale.

« La méthode Macron a été remise en question. Ce n’est pas avec trois fonctionnaires aussi talentueux soient-ils que l’avenir institutionnel va être réglé. Il y a la nécessité d’avoir un portage politique. Nous devons revenir à l’esprit des accords de Nouméa de 1998, redonner la main au peuple calédonien et inscrire ce territoire dans un processus de décolonisation », plaide Guillaume Gontard.

« Le dialogue entre Calédoniens et un Etat impartial doit être rétabli »

Si la dissolution a mis un coup d’arrêt à la révision constitutionnelle contestée par les indépendantistes visant à ouvrir le corps électoral, la crise institutionnelle est loin d’être réglée. Les trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie qui ont vu le « non » l’emporter, doivent laisser la place à des négociations entre les parties prenantes en vue d’un accord global sur l’avenir de l’Archipel. Des négociations qui sont au point mort depuis deux ans en raison notamment du rejet par les indépendantistes de la réforme institutionnelle « imposée d’en haut ».

Ce sujet institutionnel n’était pas au cœur des discussions du jour mais reste en filigrane. « Si on n’organise pas le rebond économique et la prise en charge d’amortisseurs sociaux, on aura beaucoup plus de difficultés pour créer les conditions d’un dialogue fécond […] Il faut ouvrir l’avenir. Le dialogue entre Calédoniens et un Etat impartial doit être rétabli. Et nous avons confiance dans le fait que Michel Barnier et François-Noël Buffet l’incarneront », appuie Philippe Bas. Dans les conditions actuelles, la loi organique qui prévoit la tenue des prochaines élections provinciales au plus tard avant le 15 décembre 2024 semble à ce stade difficilement applicable. Une décision du Conseil d’Etat avait néanmoins fixé au gouvernement « une date butoir » pour organiser les élections provinciales, fixée au 30 novembre 2025, mais une nouvelle échéance pour le scrutin nécessitera l’adoption d’une nouvelle loi organique avant décembre.

A la sortie de la rencontre, le président du Sénat, Gérard Larcher indique que Philippe Bas et Mathieu Darnaud auront « la charge d’établir une synthèse » de ces échanges du jour. « Cette synthèse, je la porterai au Premier ministre parce que le dossier de la Nouvelle-Calédonie doit faire partie de l’agenda et du projet que va nous présenter le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale ».

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

Nouvelle-Calédonie : « Nous sommes à l’aube de l’effondrement sociétal », alertent les représentants du Congrès reçus au Sénat
4min

Politique

Motion de censure : « Il ne fallait pas attendre les dernières 48 heures » pour qu’un dialogue puisse s’établir entre le gouvernement et les députés, tacle Frédéric Valletoux

Ce mardi, Frédéric Valletoux, député Horizons de Seine-et-Marne, ancien ministre de la Santé, était invité de la matinale de Public Sénat. Au lendemain de l’engagement de la responsabilité du gouvernement par Michel Barnier, et à la veille du vote d’une motion de censure, il est revenu sur la méthode adoptée par le Premier ministre depuis sa nomination. Il pointe notamment un manque de dialogue entre les députés du socle commun et le gouvernement.

Le

FRA – ASSEMBLEE – SEANCE PUBLIQUE PLFSS
5min

Politique

Motion de censure, budget 2025 : que va-t-il se passer après le recours de Michel Barnier au 49.3 ?

Ce 2 décembre, le Premier ministre a engagé la responsabilité de son gouvernement en déclenchant l’article 49.3, lors du vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale. La chute du gouvernement Barnier semble proche, avec le vote d’une motion de censure attendu en milieu de semaine. Le point sur le calendrier de ces prochains jours, à haut risque pour l’exécutif.

Le