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Fonds Marianne : les points chauds de l’audition de Marlène Schiappa
Par Simon Barbarit
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C’était l’audition la plus attendue de la commission d’enquête sénatoriale sur le Fonds Marianne. L’actuelle secrétaire d’Etat à l’Economie sociale et solidaire est passée, pendant plus de trois heures, sur le gril des questions des sénateurs. A la sortie, c’est l’impression d’un dialogue de sourds qui ressort, tant la ministre a campé sur ses positions face aux interpellations des parlementaires. Elle a parfois donné l’impression de répondre à côté ou de minimiser son rôle dans le processus d’attribution des subventions du Fonds Marianne à certaines associations dont le bilan est contesté. Tout en assurant assumer « la responsabilité politique » de certains dysfonctionnements, elle s’est régulièrement défaussée sur son cabinet et son administration, le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) qui pilotait le projet.
Doté de 2,5 millions d’euros, ce fonds visait « à financer des personnes et des associations qui vont porter des discours pour promouvoir les valeurs de la République et pour lutter contre les discours séparatistes, notamment sur les réseaux sociaux et les plateformes en ligne », avait expliqué Marlène Schiappa en annonçant sa création, six mois après l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty en octobre 2020.
Quel était le rôle de Marlène Schiappa dans le processus de sélection des associations ?
En mars 2023, une enquête menée conjointement par l’hebdomadaire Marianne et la cellule investigations de France Télévision s’interroge sur l’importance des sommes allouées à deux associations et l’utilisation faite de cet argent : l’« Union des sociétés d’éducation physique et de préparation au service militaire » (USEPPM) et « Reconstruire le commun ». Selon ces médias, l’USEPPM, sélectionnée pour une subvention de 355 000 euros, aurait essentiellement utilisé l’argent versé pour rémunérer ses deux dirigeants, dont l’ancien journaliste Mohamed Sifaoui, à hauteur de 120 000 euros. La seconde association, « Reconstruire le commun », financée pour sa part à hauteur de 333 000 euros par le Fonds Marianne, se voit reprocher d’avoir utilisé en partie cette somme pour produire des contenus politiques en plein contexte électoral, pendant la campagne présidentielle puis celle des législatives.
Dès son propos liminaire, Marlène Schiappa donne le ton de sa ligne de défense. « Demain, est-ce qu’un décideur public, un responsable politique pourra faire confiance à son administration ou à des associations sans craindre d’être blâmé lorsqu’il y a des dysfonctionnements internes à ces associations ? », s’interroge-t-elle.
Justement, les sénateurs veulent connaître les raisons de ce choix de recourir à un appel à projet à destination d’acteurs associatifs pour promouvoir « un contre-discours républicain », alors qu’il « existe déjà des acteurs très implantés qui ont un savoir-faire », note le rapporteur de la commission d’enquête, Jean-François Husson. La ministre renvoie alors à une impulsion de son directeur de cabinet de l’époque, Sébastien Jallet. Ce dernier lui aurait conseillé de procéder ainsi afin d’être « plus transparent et plus équitable que les subventions de gré à gré entre le CIPDR et les associations ».
Marlène Schiappa dit « assumer » cette décision de passer par un appel à projet. Mais assure ne pas avoir participé au comité de sélection composé de membres du CIPDR et de membres de son cabinet. « Il nous a été dit que vous deviez participer au comité de sélection du 21 mai (2021). Ça ne se fait pas qu’elles en sont les raisons », demande Claude Raynal, le président PS de la commission d’enquête. Marlène Schiappa indique ne pas en avoir le souvenir.
« Je ne suis pas l’amie de M. Sifaoui »
La question de son périmètre de décision a son importance car Christian Gravel, l’ancien secrétaire du CIPDR, qui a démissionné suite au rapport accablant de l’IGA (l’inspection générale de l’administration), avaient indiqué aux élus que le Fonds Marianne correspondait à une « commande politique, issue de la ministre concernée ». La prise de décision se serait alors déplacée du CIPDR vers le cabinet de la ministre.
Les membres de la commission arrivent donc rapidement sur l’un des sujets centraux de l’audition : la teneur des contacts entre le cabinet de Marlène Schiappa et Mohamed Sifaoui. Le rapport de l’IGA fait état de 6 réunions entre le journaliste et le cabinet de la ministre entre mars et avril 2021 avant même l’appel d’offres du Fonds Marianne. « J’ai eu l’occasion de le dire mais je le dis sous serment : je ne suis pas une amie de M. Sifaoui, je le démens. Je n’ai aucune relation personnelle d’aucune sorte avec M. Sifaoui et je n’en ai jamais eue. Je ne suis pas membre d’une même organisation, je ne le retrouve pas en dehors de mon action ministérielle, je ne le rencontre dans aucun lieu privé. Je ne connais pas sa vie personnelle, il ne connaît pas la mienne », a d’abord martelé la ministre en répondant quelque peu à côté.
Invitée à préciser la nature de ses rencontres avec Mohamed Sifaoui, Marlène Schiappa contredit les déclarations sous serment du préfet Gravel qui avait indiqué aux sénateurs avoir reçu un appel téléphonique de Mohamed Sifaoui. Ce dernier lui aurait précisé sortir d’un rendez-vous avec la ministre et lui aurait fait comprendre « que par son statut, son implication et son investissement il avait toute sa place » pour prétendre à une subvention du Fonds Marianne. « Il a été affirmé que j’aurais reçu M. Sifaoui en tête à tête, c’est faux. Je le dis sous serment, c’est documenté par l’ensemble de mon agenda et les messages avec les membres de mon cabinet. […] C’est faux. M. Gravel a dû mal comprendre : je n’ai pas reçu M. Sifaoui dans mon bureau en mars, je démens cela. », se défend Marlène Schiappa.
« 300 000ke d’argent de l’Etat, pour ce projet ça me paraît énormissime »
Et pour établir sa bonne foi, la ministre cite un mail adressé à ses équipes dans lequel elle fait part de son scepticisme à l’égard du projet présenté par M. Sifaoui à son cabinet. « 300 000ke d’argent de l’Etat, pour ce projet ça me paraît énormissime », cite-t-elle.
Un argument qui n’a pas convaincu les sénateurs, bien au contraire. « Puisque ce séquençage démontre selon nous que votre cabinet vous a questionné sur un montant de subvention avant même que tout dossier soit déposé au CIPDR. » […] « Il y a eu une décision de votre cabinet de soutenir cette association [l’USEPPM], avant de recevoir quelque demande que ce soit. C’est votre mail qui le dit, les faits sont établis », relève Claude Raynal.
Une nouvelle fois, Marlène Schiappa botte en touche. « Je n’ai pas, ni confirmé, ni infirmé cette chronologie », « Je ne sais pas, je ne connais pas les échanges qui ont pu avoir lieu » finit par répondre Marlène Schiappa.
« J’entends endosser ma responsabilité, toute ma responsabilité mais aussi rien que ma responsabilité »
Mais ces incertitudes finissent par interpeller les sénateurs. « Vous n’avez pas interrogé votre directeur de cabinet pour préparer cette audition ? […] « Il est difficile d’imaginer qu’un ministre et son directeur de cabinet ne fonctionnent pas totalement en confiance. Ici, on connaît bien quand même les structures de cabinets », lui rappelle Claude Raynal qui s’autorise cette remarque quelques minutes plus tard : « A aucun moment que ce soit, vous n’avez mis en cause, en jeu ou en discussion votre propre responsabilité. Vous dites, c’est le cabinet, c’est l’administration. Non, Madame. Quand le cabinet prend une position elle est censée être la position de la ministre ».
« Je ne me dérobe pas, j’entends endosser ma responsabilité, toute ma responsabilité mais aussi rien que ma responsabilité […] A ma connaissance, je ne suis accusée de rien, je suis là pour vous aider à établir la matérialité des faits. Je n’ai, à aucun moment, demandé à ce que Monsieur Sifaoui soit priorisé », rétorque-t-elle.
Mais les sénateurs finissent par douter de cette volonté de la ministre de faire face à ses responsabilités. Par exemple, Jean-François Husson ne comprend pas comment Marlène Schiappa ne pouvait pas être au courant de la difficulté pour une seule personne d’instruire la cinquantaine de dossiers de candidatures au Fonds Marianne. « C’est extraordinaire ce que vous nous dites. Avec trois membres de votre cabinet au sein du comité de sélection, vous n’êtes au courant de rien ».
« Je n’ai pas supprimé de subvention à SOS Racisme. Je ne l’ai pas attribuée. »
Une autre problématique a été longuement développée lors de cette audition fleuve. Le refus d’une subvention, au titre du fonds Marianne, à SOS Racisme. Le projet d’accorder 100 000 euros à cette association, au moment de la réunion du comité de sélection le 22 mai 2021, a finalement été refusé quelques jours après. La semaine dernière, le directeur de cabinet de la ministre de l’époque, Sébastien Jallet, avait indiqué que cette association avait fait l’objet d’un « point de discussion important en comité de sélection » et qu’il relevait d’un « arbitrage de la ministre ». Ce préfet avait expliqué que Marlène Schiappa avait eu « une réserve sur cette association en raison d’un historique de relation assez ancien ».
Selon la ministre, un conseiller lui a fait état de désaccord au sein du comité de sélection sur le dossier de SOS Racisme. « Il me demande à moi de trancher, de rendre un arbitrage ». D’après Marlène Schiappa, le projet de l’association comportait des actions de sensibilisation sur les réseaux – conformément à l’appel d’offres – mais également des actions de terrain dans les quartiers de reconquête républicaine. Or, cet aspect était mené par une structure financée par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). « J’émets, manifestement je n’en ai pas le souvenir, mais manifestement j’émets un avis défavorable en disant que pour moi, ce n’est pas un projet à retenir », a relaté la ministre, en basant « sur les échanges écrits » de cette période. Et d’ajouter : « Je n’ai pas supprimé de subvention à SOS Racisme. Je ne l’ai pas attribuée. »
« Reconnaissez qu’il y a quelque chose qui ne va pas. », l’invite Claude Raynal pas vraiment convaincu par l’explication. Car l’arbitrage en question vient contredire certains éléments ou déclarations. Le rapport de l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) avait conclu que la ministre s’était « effacée » de l’appel à projets une fois le processus lancé. Le 27 avril, Marlène Schiappa avait par ailleurs tenu ces propos explicites sur notre antenne : « Je n’ai pas choisi les associations. Il y a eu un comité de sélection, formé de membres du CIPDR et de membres de mon cabinet, qui ont validé la préposition qui a été faite. »
À l’issue de l’audition, le président de SOS Racisme, Dominique Sopo a indiqué sur son compte Twitter qu’il donnerait « une suite judiciaire » à « cette prestation qui abîme la République ».
Conclusions en guise de réquisitoire
« Du début à la fin on a l’impression que le projet est lancé, mais qu’après cela, tout le reste ne vous concerne pas », s’étrangle Claude Raynal. « Vous avez fait naître une idée, un concept, une réponse politique et derrière vous nous dites : je ne la suis pas […] Quand on est sur des actions symboliques, il faut que ça fonctionne. Il faut que vous ayez un regard attentif », tance-t-il. Le président de la commission d’enquête rappelle que le Fonds Marianne ne figurait même pas dans le « dossier ministre » adressé à sa successeure, Sonia Backès. « Continuez-vous à nier toute responsabilité dans ce fiasco ? » interroge Claude Raynal avant de répondre lui-même à la question. « Par cet appel à projet mal géré, vous avez surtout fragilisé toute une chaîne d’acteurs qui travaillent sur le terrain à dénoncer des discours séparatistes et qui le font bien ».
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