Les 224 désistements (selon un décompte du Monde) entre les deux tours des législatives vont-ils priver le RN de la majorité absolue dimanche soir ? Une question à laquelle notre dernier sondage Odoxa, réalisé pour Mascaret, Public Sénat, la presse régionale et le Nouvel Obs a répondu. Selon cette étude, Le RN ne devrait donc pas atteindre la barrière fatidique des 289 sièges, seuil pour obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le RN pourrait obtenir entre 210 et 250 sièges, soit 55 sièges de moins (265-305 sièges) par rapport au sondage précédent réalisé par l’institut avant le 1er tour. Le nombre de sièges du Nouveau front populaire se tasse aussi légèrement de 10 sièges, et est désormais estimée entre 140 et 180 sièges. Et la majorité sortante est désormais estimée entre 115 et 155 sièges.
L’offre politique s’étant réduite, l’inconnue réside donc dans l’ampleur du report des voix entre le premier et le second tour, alors même que l’ensemble des responsables politiques confient ne pas croire aux consignes de vote. Sur BFM TV, hier soir, le Premier ministre, Gabriel Attal affirmait ne pas vouloir « donner de consigne de votes », mais « alerter en disant qu’il y a un risque d’une majorité absolue Rassemblement national, de l’extrême droite ».
« Ce qui va être décisif, c’est la croyance ou non d’avoir un RN majoritaire »
Il s’agit, en fait, d’une équation à deux inconnues, car pour la première fois depuis le début de la Ve République, une formation d’extrême droite est aux portes du pouvoir ou du moins à Matignon. « Les électeurs du RN n’ont plus la main, si l’on peut dire. Avec 10,5 millions de voix au premier tour, la réserve de voix semble faible. Ce qui va être décisif, c’est la croyance ou non pour les électeurs de gauche et du centre d’avoir un RN majoritaire. Mais ce facteur va être très volatil. Des électeurs vont être pris dans un conflit intérieur entre leur volonté de ne pas voir Jordan Bardella accéder au pouvoir et leur désir ne pas voter pour un autre candidat que celui qu’ils avaient choisi au premier tour », souligne Emmanuel Rivière, politologue, enseignant à Sciences Po et directeur associé de l’agence Grand Public.
Ces dernières années le barrage républicain au second tour contre le RN s’est fissuré. Aux dernières législatives, il y a deux ans, le RN s’était qualifié au second tour dans 206 circonscriptions, dont la quasi-totalité en duel, et a remporté au final 89 circonscriptions. Un sondage Harris Interactive réalisé à la sortie des urnes, à cette époque montrait que dans les circonscriptions concernées par un duel entre le camp présidentiel et le RN, 31 % des électeurs de la Nupes s’étaient tournés vers le candidat macroniste, 24 % vers celui du Rassemblement national et 45 % avaient préféré s’abstenir. Inversement, dans les circonscriptions opposant un candidat Nupes au Rassemblement national, 34 % des électeurs macronistes avaient soutenu le candidat de gauche, et 18 % celui du Rassemblement national. Néanmoins, 48 % des soutiens d’Emmanuel Macron s’étaient abstenus. Soit un comportement à peu près similaire entre les électeurs de gauche et ceux de la majorité lorsqu’ils sont confrontés à un second tour où leur candidat n’est plus représenté et le RN en mesure de l’emporter.
Un sondage Cluster 17 réalisé avant le premier tour de 2024 établit des reports plus ou moins du même ordre. Face au choix entre le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National, 58 % des électeurs d’Ensemble se déclaraient abstentionnistes, 30 % déclaraient voter pour la gauche et 12 % pour le RN. Plus de la moitié des électeurs de gauche (54 %) s’abstenait lorsqu’on leur proposait de choisir entre Ensemble et le Rassemblement national. 42 % choisissaient Ensemble et 4 % le Rassemblement national.
Les effets de « l’abstention différentielle » difficile à appréhender
L’abstention pourrait aussi rebattre les quelques dernières cartes de ce scrutin. Elle est traditionnellement plus haute au second qu’au premier, même si les législatives de 1997 avaient démenti cette tendance avec un regain de participation au second tour. (71 % contre 67,9 %). Le 30 juin, 65 % des électeurs se sont rendus aux urnes et le second tour du 7 juillet pourrait être marqué par une « abstention différentielle », c’est-à-dire l’abstention de catégories spécifiques d’électeurs, qui ne se satisfont pas du choix qui leur est laissé, comme l’expliquait le politologue Luc Rouban à publicsenat.fr. « Les électeurs de gauche qui n’ont pas apprécié l’alliance avec LFI pourraient s’abstenir lorsqu’ils auront à voter pour un insoumis ; chez certains LR, le ni-ni risque de l’emporter dans un duel LFI-RN, et les macronistes pourrait refuser de soutenir une gauche qui ne manquera pas de mettre en difficulté le président de la République », énumérait-il (lire notre article).
Vers une hausse des votes blancs ou nuls ?
On peut ajouter ici que la possibilité de voir se former une majorité « baroque » allant des écologistes et communistes à la droite républicaine serait perçue comme une négation du vote pour l’électorat RN et entraîner sa surmobilisation. D’autant que les derniers sondages, post-désistements ne donnent plus au parti de Jordan Bardella, la majorité absolue.
« Mais la perspective de voir le RN avec une majorité absolue va aussi l’emporter sur la lassitude de l’électeur de gauche qui reporte son vote sur un candidat macroniste depuis, maintenant, quelques élections. Et pour l’électeur centriste, l’improbabilité de voir le Nouveau Front Populaire obtenir une majorité absolue, va davantage l’inciter à voter à gauche au second tour », observe Emmanuel Rivivière qui alerte également sur la potentielle baisse des suffrages exprimés. « Une partie des électeurs de gauche, centriste ou de droite qui n’ont plus leur candidat au second tour, peut choisir de voter blanc ou nul. Et cette baisse des suffrages exprimés ne se verra pas dans les relevés de la participation du ministère à midi et à 17 heures, dimanche ». Plus de 850 000 électeurs ont voté blanc ou nul au premier tour, 2,58 % des votants. Ils étaient 1,7 million (4 % des votants) au second tour aux législatives de 1997.