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« 2 à 3 milliards d’économies » sur les agences de l’Etat : pourquoi le chiffre de la ministre interroge la commission d’enquête du Sénat

La ministre des Comptes publics annonce « la fusion ou la suppression » d’un tiers des agences et opérateurs de l'Etat, dans un contexte de réduction de la dépense publique. Mais le niveau d’économies ainsi espéré laisse dubitatifs les membres de la commission d’enquête que le Sénat a ouvert sur ce sujet, devenu un marronnier de la simplification administrative. Derrière la rationalisation des moyens, les élus suspectent le détricotage de certaines politiques publiques.
Romain David

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« Supprimer ce qui est inutile ou ce qui coûte trop cher. » Dans le cadre de la préparation du prochain budget, le gouvernement entend s’attaquer aux agences et aux opérateurs de l’Etat, régulièrement pointés du doigt pour leur coût supposé sur la dépense publique. Amélie de Montchalin, la ministre des Comptes publics, souhaite ainsi « fusionner ou supprimer » un tiers de ces organismes, chargés de missions pour le compte de l’Etat. « C’est 2 à 3 milliards d’économies à la clé », a-t-elle justifié au micro de CNews/Europe 1, précisant ne pas vouloir toucher aux universités.

La ministre mise notamment sur une réduction du nombre d’emplois publics, sur un total de 180 000 postes, via les départs à la retraite « Ces 180 000 personnes ont toutes un métier, une mission. Notre rôle, c’est de considérer que […] les choses ne sont pas immuables », a encore expliqué Amélie de Montchalin. Elle sera auditionnée mi-mai par la commission d’enquête ouverte au Sénat, à l’instigation du groupe Les Républicains, « sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État ». « Je ferai des annonces à ce moment-là », a-t-elle indiqué.

« Une audition devant le Sénat, ce n’est pas une conférence de presse ! », tient à recadrer auprès de Public Sénat le sénateur communiste Pierre Barros, qui préside cette commission d’enquête. « Nous avons lancé un travail sur le temps long, au total nous allons mener plus de 70 auditions, nous essayons de réfléchir large pour faire des propositions constructives et voilà que la ministre, deux mois avant la clôture de nos travaux, fait des annonces avec des chiffres qui ne veulent rien dire », soupire l’élu. Il y voit une manière pour l’exécutif « de reprendre la main » sur un sujet longtemps utilisé par les oppositions pour dénoncer les errements de la dépense publique à l’heure où les comptes de l’Etat s’enfoncent dans le rouge. Au point d’en devenir un véritable serpent de mer de la simplification administrative.

103 agences et 434 opérateurs

« Le recours à des structures autonomes, publiques ou privées, pour mettre en place les politiques publiques et veiller à leur suivi, correspond à des choix politiques opérés dans les années 1990-2000. Initialement portés par la droite, et prolongés par les gouvernements qui ont suivi, y compris à gauche », explique Pierre Barros. « Pendant des années, personne n’a remis en cause ce mode de fonctionnement ». Selon les chiffres du Sénat, on dénombrerait aujourd’hui 103 agences, chargées de répondre à un besoin spécifique, 434 opérateurs qui assurent une mission de service publique, et enfin 317 organismes consultatifs « qui se limitent à donner un avis ».

Ces dernières années, la droite sénatoriale en a fait l’un de ses chevaux de bataille. Après avoir symboliquement tenté de réduire de 2,5 % le nombre d’emplois au sein des opérateurs de l’Etat lors des discussions budgétaires avortées de l’automne, les LR du Sénat ont finalement profité de leur droit de tirage pour lancer « un grand audit », selon la formule de leur président de groupe Mathieu Darnaud, et demander une commission d’enquête sur le sujet.

En début d’année, avec la reprise de l’examen du projet de loi de finances le ton est encore monté d’un cran. L’Agence Bio, l’Agence pour la transition écologique (Ademe), l’Office français de biodiversité (OFB) et la Commission nationale du débat public (CNDP) ont fait l’objet d’amendements de suppression. Mais ces structures ont finalement été conservées dans la version finale du budget retenue par le gouvernement, après recours à l’article 49-3 de la Constitution.

« On parle plutôt en millions d’euros d’économies »

Deux mois plus tard, l’exécutif durcit son discours alors qu’il cherche à dégager 40 milliards d’économie sur l’ensemble du prochain projet de loi de finances pour permettre à la France de respecter sa trajectoire de désendettement. Pour autant, la fourchette de « 2 à 3 milliards » évoquée par Amélie de Montchalin sur les agences et les opérateurs de l’Etat laisse dubitative Christine Lavarde, la rapporteure LR de la commission d’enquête sénatoriale. « En tant que rapporteure, j’aurais été incapable de donner un tel chiffre parce que nous sommes encore en train de travailler et de récupérer des informations. Soit la ministre a des idées très précises en tête, soit elle dispose de documents dont nous n’avons pas eu connaissance, ce qui serait problématique », explique-t-elle.

« Au sein de la commission, nous avons des idées sur des choses qui font doublons. Mais nous ne sommes pas certains d’arriver à un milliard d’économies », poursuit Christine Lavarde. « Si on supprime ou si on fusionne les coquilles, cela ne se voit pas. On parle plutôt en millions d’euros d’économie. » Par ailleurs, certaines agences ont engagé des dépenses dont le décaissement est échelonné sur plusieurs années. Les effets d’une suppression ne se feraient pas sentir immédiatement. « Il faut quand même des agents pour les suivre. Les processus sont assez longs », explique encore la rapporteure.

D’autant que le gouvernement a déjà procédé à des regroupements qui ont permis, entre 2010 et 2020, de réduire d’environ 25 % le nombre d’opérateurs selon un rapport de la Cour des comptes. « Les agences actuelles sont elle-même issues des fusions passées. Et l’on sait très bien que la fusion coûte une fortune. Ce sont des négociations, des indemnisations… », énumère Pierre Barros alors que certaines structures, comme l’Ademe, emploient des agents de droit privé. « Pendant que l’on fusionne, on ne produit pas… Finalement nous passons plus de temps à accorder le piano qu’à en jouer. »

Vers un coup de rabot sur les politiques publiques ?

Pour ces deux élus, atteindre le niveau d’économie voulue par la ministre reviendrait à toucher aux missions même des agences, et donc à redimensionner ou supprimer des politiques publiques. Un sujet particulièrement sensible. « Tout le monde veut supprimer l’Ademe. Cela veut dire qu’on va expliquer aux collectivités que l’on supprime le fonds chaleur, qu’il n’y aura plus de fonds décarbonation… Alors que les ministres Marc Ferracci et Agnès Pannier-Runacher annoncent plusieurs millions d’euros là-dedans », soulève Christine Lavarde.

« Si le gouvernement veut raboter dans les politiques publiques, qu’il l’assume plutôt que de se planquer derrière son petit doigt », tempête Pierre Barros. À ce stade, les travaux de la commission s’orientent plutôt vers les dysfonctionnements internes, c’est-à-dire l’organisation des différentes agences et la manière dont sont conduites les politiques publiques. Mais les pistes d’économies ainsi envisagées qui pourraient surtout profiter aux entreprises et aux collectivités plutôt qu’aux caisses de l’Etat. « La commission ira au bout de ses travaux et fera des préconisations qui tiennent la route », assure Pierre Barros. « Le gouvernement en fera ce qu’il veut, mais quoi qu’il arrive nous nous reverrons dans l’hémicycle à l’automne. Et là, ils ne pourront plus nous faire croire qu’il n’y a pas d’autres solutions que de dézinguer des politiques publiques. »

(avec Stéphane Duguet)

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