Le 9 janvier dernier, Gabriel Attal, alors ministre de l’Education nationale, est nommé au poste de Premier ministre pour remplacer Élisabeth Borne. En choisissant celui qui est aussi ancien porte-parole du gouvernement âgé de 34 ans, Emmanuel Macron souhaitait relancer son second quinquennat et créer une nouvelle dynamique pour les élections européennes. Jeudi, Gabriel Attal passera la barre des cent jours au poste de chef de gouvernement et tirera son bilan en donnant une interview à BFM TV. Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II Panthéon-Assas, considère que, pour l’instant, la marque du Premier ministre « n’imprime pas ».
Public Sénat : En marquant un arrêt jeudi sur la date de ces cent premiers jours à Matignon, quel message veut envoyer Gabriel Attal ?
Benjamin Morel : Cela relève du gimmick politique. Il est réputé que la fin de l’état de grâce d’un gouvernement intervient au bout de cent jours. En moyenne, la popularité d’un nouveau Premier ministre décroît à partir du deuxième mois pour rejoindre celle de son prédécesseur. Marquer cette date relève donc du symbolique. Emmanuel Macron l’avait d’ailleurs utilisé l’an dernier en lançant un compte à rebours jusqu’au 14 juillet.
Quel intérêt trouve Gabriel Attal à se prêter à cet exercice qu’il s’est imposé ?
Gabriel Attal veut donner le change. Lorsqu’il a été nommé, il a été dit qu’il l’avait été pour des raisons de communication sans forcément qu’il y ait l’objectif de mener des politiques publiques et de gouverner le pays. En faisant la comptabilité de ses mesures, c’est peut-être une manière de répondre à ces critiques et donc de répondre à un effet de communication par un autre effet de communication. Cela témoigne aussi des bisbilles qu’il peut y avoir avec l’Elysée concernant la campagne des élections européennes. Finalement, le fait de faire le bilan à contretemps de cette campagne permet de faire exister une temporalité qui lui est propre. Il y a la temporalité de la campagne et celle du gouvernement, et cela traduit une forme d’autonomisation de Gabriel Attal et de Matignon.
Lors de sa nomination, Gabriel Attal devait prendre en main la campagne européenne. Pourtant la liste de Valérie Hayer est toujours deuxième selon les différents sondages, talonnée par la liste socialiste de Raphaël Glucksmann et de plus en plus loin de celle du Rassemblement National de Jordan Bardella…
Il n’a même pas tenté de faire campagne en réalité. Il a été souvent été dit qu’il serait une tête de liste bis, mais c’est bien le paradoxe parce qu’il est absent de cette campagne. Il a fait un meeting, un discours en introduisant Valérie Hayer et il l’a laissée mener cette campagne impossible.
Sur les dossiers portés par le Premier ministre : la laïcité, l’école, la santé, quel bilan peut-on dresser au bout de ces cent jours ?
C’est la difficulté de sa stratégie. Je ne suis pas certain que beaucoup de choses aient marqué. Paradoxalement, on parlait plus d’éducation lorsqu’il était ministre de l’Education nationale que maintenant qu’il est Premier ministre alors qu’il disait avoir pris ce dossier avec lui à Matignon. Il tente d’exister de manière autonome mais finalement il existe assez peu. Concernant son bilan, en termes de communication politique, il est léger. Gabriel Attal n’a pas eu de grand projet de loi qui lui aurait permis de faire exister un thème pendant relativement longtemps dans l’actualité. A défaut de faire passer des projets de loi, il faut porter des mesures concernantes par voies réglementaires et les porter médiatiquement de manière forte pour montrer qu’on fait quelque chose. Il avait été un peu nommé pour ça et ils n’ont pas été capables de le faire depuis qu’il est à Matignon.
Pourtant, depuis sa nomination il multiplie les déplacements sur des thématiques différentes comme la sécurité, l’éducation justement, la transition écologique ou encore la santé…
Oui mais ça n’imprime pas parce que son erreur de stratégie est de vouloir en faire trop sans investir fortement un sujet. Si vous changez de sujet tous les jours en faisant un déplacement par thème, vous ne marquez pas l’actualité. Les médias fonctionnent en séquence et Gabriel Attal n’a pas eu de grosses séquences. Si on prend par exemple la crise agricole, c’est l’Elysée qui est venu en pompier avec les annonces faites par Emmanuel Macron. Son bilan à 100 jours est intéressant d’un point de vue de la communication politique si l’objectif est d’exister à côté de l’agenda international et européen. Il va sûrement montrer qu’il a fait des choses, mais je ne suis pas sûr que ça porte.
Est-ce que Gabriel Attal, qui a adopté une toute autre stratégie que sa prédécesseure Élisabeth Borne, était un bon choix de la part d’Emmanuel Macron ?
Emmanuel Macron a un problème de ressources humaines. Avant de nommer Gabriel Attal, il avait deux options. Soit il acceptait de considérer que les élections européennes étaient perdues et il attendait le mois de juin pour changer de Premier ministre au risque d’être empêché politiquement comme Jacques Chirac après le référendum de 2005. Soit il changeait de Premier ministre avant pour éviter une défaite aux européennes et maintenir un minimum d’autorité. Dans le style, la stratégie parlementaire n’est pas la même entre Élisabeth Borne qui avait pour objectif de faire passer des textes et Gabriel Attal. La stratégie de changer de Premier ministre a fait long feu, ce qui était prévisible vu la moyenne de popularité d’un nouveau chef de gouvernement. Gabriel Attal n’a peut-être pas été à la hauteur de sa réputation d’excellent communicant. La stratégie Attal n’a pas tenu toutes ses promesses.