Universités : le Sénat va déposer une proposition de loi pour lutter contre un « antisémitisme d’atmosphère »

La mission flash sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur remettait, ce mercredi, son rapport et a formulé une dizaine de préconisations que les sénateurs  souhaitent voir appliquer dès la rentrée.
Simon Barbarit

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En avril dernier, les accusations d’antisémitisme lors d’une conférence pro palestinienne à Sciences Po avaient conduit la commission de la culture à lancer une mission flash sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Après deux mois de travaux et une soixantaine de personnes auditionnées, les rapporteurs, Pierre-Antoine Levi (centriste) et Bernard Filiaire (RDSE) ont constaté une forte augmentation des actes et propos antisémites depuis le 7 octobre 2023. « 67 actes recensés par France Universités depuis cette date, soit le double de ceux enregistrés sur l’ensemble de l’année universitaire 2022-2023 », précise le rapport. La mission évoque une forme diffuse d’un « antisémitisme d’atmosphère », telles que des bousculades répétées dans les couloirs, des changements de place dans les amphithéâtres et salles de cours, ou encore des blagues reposant sur des clichés antisémites.

« Nous ne sommes plus à l’époque de la vigilance »

« Un certain nombre d’étudiants de confession juive ne se sentent plus en condition d’étudier sereinement dans certaines universités », a relaté le président de la commission de la culture et de l’éducation, Laurent Lafon avant d’ajouter. « Nous ne sommes plus à l’époque de la vigilance mais à l’époque de l’action et de la réaction par rapport à des phénomènes qui sont réels et qui se sont développés ».

Toutefois, lors de leur audition, les présidents d’universités ont fait part de leurs difficultés pour distinguer entre « la critique politique légitime du gouvernement israélien, protégée par la liberté d’expression, et des déclarations antisémites constitutives de délits sanctionnés par le droit pénal ». « Les mobilisations qui en ont découlé se sont centrées sur une remise en cause parfois radicale du gouvernement israélien, ont donné lieu à d’insupportables dérapages reposant sur l’assignation d’étudiants juifs, réactivant la mécanique de l’essentialisation et de l’ostracisation qui se trouvent au fondement de l’antisémitisme », a souligné Bernard Filiaire.

Dans ce contexte, la mission a constaté que le dispositif de signalements, qui repose sur l’action des missions Égalité et des référents racisme et antisémitisme, s’est révélé inopérant en raison « d’une absence de base législative consolidée et un déploiement laissé au libre choix des établissements ». C’est pourquoi, les élus préconisent d’inscrire dans une nouvelle loi, les obligations incombant aux établissements en matière de détection des actes antisémites, mais aussi d’encourager la généralisation des vice-présidences dédiées à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. « Ça fera l’objet d’une proposition de loi que nous déposerons à l’automne », a précisé Bernard Filiaire.

Afin de lutter contre ce que la mission qualifie « d’antisémitisme d’atmosphère », elle prône la diffusion dans les établissements de la définition opérationnelle de l’antisémitisme de l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), conformément à la résolution adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021.

En ce qui concerne la prévention des actes antisémites, la mission considère que « nombre d’étudiants n’ont pas intégré les principes de l’enseignement moral et civique du primaire et du secondaire à leur entrée dans le supérieur. Elle estime donc que l’université doit désormais avoir un rôle direct à jouer en matière d’ouverture laïque et civique des étudiants. Elle invite les établissements à privilégier les actions obligatoires et ciblées sur certains moments clés de l’année universitaire, comme lors de la rentrée. Elle propose aussi d’intégrer la lutte contre l’antisémitisme dans les cursus de formation par un renforcement du bonus étudiant et insiste sur la nécessité de sanctuariser des départements d’études juives et hébraïques. « Nous estimons que les présidents d’universités ne doivent pas hésiter à interdire préventivement certains débats qui n’en sont pas », a aussi appuyé Pierre-Antoine Levi.

« Nous considérons que l’impossibilité de poursuivre n’existe pas »

Le 10 avril dernier, l’audition du président de France Universités avait choqué plusieurs sénateurs qui avaient reproché à leur interlocuteur de ne pas fournir de données concernant les sanctions prises par les établissements. En conséquence, les sénateurs souhaitent une amélioration du suivi des signalements effectués au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, et de généraliser les conventions de partenariat entre les établissements d’enseignement supérieur et les parquets locaux. « Nous considérons que l’impossibilité de poursuivre n’existe pas […] Nous considérons aussi que la voie disciplinaire doit constituer le mode prioritaire de sanctions des agissements antisémites dans les établissements de manière parallèle à l’engagement de poursuite judiciaire qui s’appliquent dans le temps long », a développé Bernard Filiaire.

Les rapporteurs de la mission ont indiqué qu’ils souhaitaient voir la plupart de ces recommandations adoptées à l’unanimité, dès cet automne. « Il ne s’agit aucunement d’attiser les polémiques qui se succèdent à l’approche des élections législatives mais de définir un plan d’action qui puisse être mis en œuvre dès la rentrée universitaire », a assuré Pierre-Antoine Levi.

 

 

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