Un travail en profondeur sur la réalité du narcotrafic dans le pays. Le Sénat publie ce mardi les conclusions du rapport de sa commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France. Plus de 150 auditions, des déplacements, à Marseille ou au Havre : les travaux menés par le rapporteur, le sénateur LR du Rhône, Etienne Blanc, et le président de la commission, le sénateur PS de Saône-et-Loire, Jérôme Durain, permet d’établir un tableau de la situation. Il est sombre.
« La commission s’alarme de l’émergence, encore embryonnaire mais non moins inquiétante, de la corruption »
Les mots choisis ne laissent pas de place au doute. Le rapport décrit une « France submergée par le narcotrafic », avec « un marché criminel » dont le « chiffre d’affaires » est estimé, en fourchette basse, à 3,5 milliards par an. Avec à sa tête « des trafiquants tout aussi rationnels et ingénieux que violents et corrupteurs ».
Le rapport identifie « les failles qui nuisent à la réponse de l’État, depuis le positionnement international de la France jusqu’aux moyens dédiés aux services de terrain, en passant par les sujets de coordination entre acteurs, de procédure pénale et de lutte contre le blanchiment ».
L’enjeu de la corruption est soulevé par les sénateurs. « La commission s’alarme également de l’émergence, encore embryonnaire mais non moins inquiétante, de la corruption des agents publics et privés. La situation est encore loin du phénomène corruptif observé dans certains pays d’Europe ou d’Amérique du Sud ; pour autant, il est certain que les organisations criminelles usent de la corruption pour arriver à leurs fins. Le phénomène corruptif est actuellement sous-estimé, mais les acteurs de terrain entendus par la commission ont tous tiré la sonnette d’alarme sur ce risque existentiel », pointe le rapport.
« Frapper le “haut du spectre” et ne pas limiter la lutte à des opérations d’ordre public de type “place nette” »
Les sénateurs formulent une série de propositions qui se veut « une stratégie globale et ambitieuse ayant pour but de sortir notre pays du piège du narcotrafic ». Ils appellent à faire « preuve de lucidité sur la nature du narcotrafic et le traiter pour ce qu’il est : une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation ». Les sénateurs appellent en conséquence à « donner sa juste place au renseignement dans la lutte contre le narcotrafic », à « mettre les moyens au niveau de la menace avec un véritable plan d’urgence pour les services d’enquête et les juridictions », à « se donner les moyens de la sécurité dans les outre-mer, aujourd’hui sacrifiés, et dans les infrastructures portuaires et aéroportuaires ». Ils veulent aussi « endiguer la corruption liée au narcotrafic, notamment la corruption dite – à tort – de « basse intensité », en caractérisant les atteintes à la probité et en créant les conditions de l’incorruptibilité dans la sphère publique comme dans la sphère privée ».
Le rapport étrille au passage la politique actuelle du gouvernement. La commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic juge que le plan antidrogue que le gouvernement doit présenter prochainement était « famélique » et n’était « pas à la hauteur des enjeux ». Lors de la conférence de presse, le président de la commission, Jérôme Durain, a expliqué avoir eu accès au nouveau plan du gouvernement. Il a estimé qu’il était « en deçà » du précédent plan.
Les sénateurs demandent de « frapper le “haut du spectre” et ne pas limiter la lutte à des opérations d’ordre public de type “place nette” ». Ils préconisent plutôt de « faciliter le recours aux repentis », de « sécuriser le traitement des sources par les services d’enquête et créer une nouvelle infiltration civile », ou encore de « taper les trafiquants au portefeuille en systématisant les enquêtes patrimoniales, en instaurant un gel judiciaire de leurs avoirs et en créant une confiscation sans condamnation pénale ».
Faire de « l’Office antistupéfiants une véritable DEA à la française »
Les sénateurs proposent enfin de « structurer enfin l’action des services en charge de la lutte contre le narcotrafic », en faisant de « l’Office antistupéfiants une véritable « DEA à la française » (l’agence américaine de lutte contre la drogue, ndlr) en lui donnant une pleine autorité sur les services de terrain chargés de la lutte contre le narcotrafic (police, gendarmerie et douane) ».
La solution serait aussi pour les sénateurs de « créer un parquet national antistupéfiants pour spécialiser et incarner la lutte contre le narcotrafic dans la sphère judiciaire » et de « se doter d’une véritable stratégie nationale en revoyant à la hausse les ambitions du “plan stups” rénové ».