La REF 2023

TotalEnergie : la commission d’enquête du groupe écologiste du Sénat auditionnera le PDG Patrick Pouyanné

Les sénateurs écologistes du Sénat entendent faire la lumière sur les activités du pétrolier français, pointant son rôle dans le réchauffement climatique par ses investissements dans les énergies fossiles, y compris dans des pays autoritaires, en contradiction avec les engagements d’Emmanuel Macron pour le climat, au nom de la France. La question des « liens entre la diplomatie française et Total », et de leur « opacité », sera aussi au menu.
François Vignal

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

C’est un géant de l’industrie pétrolière sur lequel les sénateurs écologistes vont se pencher. Le groupe écologiste du Sénat lance officiellement ce jeudi sa commission d’enquête parlementaire sur TotalEnergies. Elle aura une double dimension : climat et droit humain. Son titre ? Commission d’enquête « sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’Etat pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ». Un titre à rallonge à la mesure du poids de l’entreprise en France et dans le monde.

Comme nous l’évoquions, la commission d’enquête aura pour rapporteur le sénateur écologiste de Paris, Yannick Jadot, ancien candidat à l’élection présidentielle. Le nom du président ou de la présidente n’est pas encore connu, mais ce sera un membre de la majorité sénatoriale. Parmi les 19 membres de la commission d’enquête, on compte notamment la présidente LR de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, l’ancien ministre LR Roger Karoutchi, ou encore Didier Mandelli, qui avait été rapporteur LR du texte sur les énergies renouvelables.

Cette commission d’enquête est lancée dans le cadre du droit de tirage du groupe écologiste, qui lui permet d’en choisir une d par session. Les écolos ont eu un certain sens du timing. Prévue pour une durée de 6 mois maximum, la commission d’enquête rendra ainsi ses conclusions juste avant les européennes du 9 juin…

« Remettre Total dans le droit chemin »

Pour Yannick Jadot, au lendemain de l’accord de la COP 28, la proximité entretenue par l’Etat français avec l’énergéticien tricolore pose question, à plus d’un titre. Ses investissements dans les énergies fossiles, y compris dans des pays autoritaires ou dictatoriaux, sont « totalement en contradiction avec les objectifs français et européens » de réduction d’émissions de CO2, pointe le sénateur de Paris. Il rappelle au passage les mots d’Emmanuel Macron devant la COP 28 à Dubaï : « La priorité des priorités est que les pays les plus avancés sortent des énergies fossiles ». Pourtant, « six cadres de TotalEnergies étaient accrédités à la COP28 par l’Etat français », souligne le sénateur Thomas Dossus, porte-parole du groupe écologiste, qui ajoute :

 Total, c’est un peu le boulet au pied des engagements de la France pour le climat. 

Thomas Dossus, sénateur écologiste du Rhône.

« Même si ce sont des capitaux privés, on voit bien qu’il y a un lien entre la diplomatie française et Total », souligne encore le sénateur EELV du Rhône, qui pointe « une opacité ». Toute commission d’enquête devant notamment porter sur les politiques publiques, celle-ci aura aussi pour ambition de voir comment « mobiliser tous les moyens de politique publique qui peuvent être envisagés pour remettre Total dans le droit chemin », explique Yannick Jadot.

« Quand total investit 1 euro dans les énergies renouvelables, 3 euros sont investis dans le fossile »

Le rapporteur de la commission d’enquête, qui commencera ses travaux en janvier, souligne encore la faible évolution du groupe pour se verdir. « Quand Total investit 1 euro dans les énergies renouvelables, 3 euros sont investis dans le fossile », relève Yannick Jadot, qui lance : « Total est l’un des tout premiers groupes mondiaux engagés dans le réchauffement climatique ».

Le sénateur pointe les investissements prévus par le groupe pétrolier « dans 23 projets de bombes climatiques », le groupe se classant « au deuxième rang mondial en termes d’investissements pétroliers ou gaziers ». Or, pour Yannick Jadot, « il faudra stopper des projets si on veut rester dans les conditions de l’accord de Paris ».

Des investissements, notamment en Mozambique ou en Ouganda, qui font parfois polémique. « Il y a de multiples exemples de coopération de Total avec des régimes autoritaires », affirme Yannick Jadot, qui évoque un « contrat gazier signé en L’Azerbaïdjan, quelques jours avant ce que la communauté internationale a considéré comme une épuration ethnique des Arméniens au Haut-Karabagh ».

« Suspicions de soutiens à l’effort de guerre en Russie »

Il évoque aussi la place du géant français en Russie. « Total est la seule major occidentale à être restée en Russie. Il y a aussi des suspicions de soutiens à l’effort de guerre en Russie », souligne-t-il, espérant pouvoir déterminer si Total « a participé, ou pas, à la fabrication de kérosène pour l’armée russe ».

Du climat à la diplomatie, l’angle d’attaque peut paraître large. Ce qui pourrait ressembler à un grand écart, est assumé et défendu. « La question du climat et de la démocratie sont totalement liés », soutient Yannick Jadot.

Auditons de « ministres et d’anciens ministres »

On s’en doutait, c’est confirmé : « Evidemment, nous auditionnerons le PDG de Total », Patrick Pouyanné, annonce Yannick Jadot. L’inverse aurait été étonnant. Le rapporteur compte auditionner au préalable « des ministres et anciens ministres », « un certain nombre de personnalités, d’organisations, d’entreprises, de fonctionnaires européens ou français » pour analyser l’ensemble des activités de TotalEnergies, avant d’entendre son PDG. Il ne viendra pas au Sénat par hasard. Ce sera un peu la cerise sur le gâteau. « Ce sera le gâteau », corrige le sénateur… Pour rappel, ne pas répondre à la convocation d’une commission d’enquête est passible d’une peine de 2 ans de prison et de 7.500 euros d’amende.

Des déplacements à l’étranger de la commission d’enquête seront peut-être prévus, dans la mesure du possible. « Ce sont des pays autoritaires, qui n’autorisent pas forcément des enquêtes parlementaires », craint Yannick Jadot, qui évoque « peut-être l’Ukraine » comme destination. Un billet direction la Russie semble en revanche beaucoup plus compliqué.

« Je suis convaincu que le Président Larcher défendra l’indépendance du Sénat, sa capacité à enquêter, face aux pressions qui pourraient venir »

Le rapporteur épingle le pétrolier français depuis un moment. TotalEnergie a d’ailleurs porté plainte en diffamation contre lui pour des propos tenus pendant la campagne présidentielle de 2022. « Une procédure-bâillon », dénonce l’intéressé, qui espère bien qu’aucune tentative de freiner les travaux de la commission d’enquête n’apparaîtra. « Je suis convaincu que le Président Larcher défendra l’indépendance du Sénat, sa capacité à enquêter, face aux pressions qui pourraient venir », « ce serait très inquiétant que le Sénat tombe dans le panneau des procédures-bâillon de Total ». Yannick Jadot semble déjà savourer d’avance : « C’est un beau sujet qu’on a devant nous ».

Dans la même thématique

TotalEnergie : la commission d’enquête du groupe écologiste du Sénat auditionnera le PDG Patrick Pouyanné
3min

Parlementaire

Loi spéciale : C’est un « pont entre le budget non adopté et le budget qui va être adopté en 2025 », explique Anne-Charlène Bezzina

Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.

Le

TotalEnergie : la commission d’enquête du groupe écologiste du Sénat auditionnera le PDG Patrick Pouyanné
2min

Parlementaire

Censure du gouvernement : « Tout risque de déraper », avertit Jean-François Husson (LR)

Alors que l’Assemblée nationale vient de censurer le gouvernement Michel Barnier, le bloc central alerte sur les risques économiques et budgétaires, rejetant la responsabilité d’un “dérapage” sur la gauche et le Rassemblement national. Le RN rassure quant à lui sur la capacité de la France à se doter d’un budget dans les temps.

Le