La Defense Les grands operateurs dans l’energie ou le transport de l’energie y ont leurs sieges sociaux

Total : la commission d’enquête portera sur son « non-respect des engagements climatiques, pouvant alimenter des situations de corruption »

Le groupe écologiste du Sénat va lancer une commission d’enquête sur TotalEnergies. L’objectif est d’interroger ses « investissements financiers » qui « restent très massivement orientés vers les énergies fossiles », ainsi que « les activités de TotalEnergies dans certains pays aux régimes autoritaires ». Le PDG du groupe, Patrick Pouyanné, doit s’attendre à être auditionné par la commission d’enquête, dont le rapporteur devrait être Yannick Jadot.
François Vignal

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Ça se précise. Comme nous l’évoquions, le groupe écologiste du Sénat prépare une commission d’enquête sur le groupe TotalEnergies. On en connaît maintenant les contours et le titre exact (à rallonge). Les sénateurs écolos ont en effet déposé mardi soir la proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’Etat pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ». Ouf.

« Il y a deux angles : climat et droits humains »

« Il y a deux angles : climat et droits humains », résume un sénateur du groupe. La commission d’enquête, qui visera donc autant les enjeux climatiques, que le rôle de la multinationale française dans certains pays non démocratiques, s’inscrit dans le cadre du « droit de tirage » du groupe écolo. Chaque groupe politique dispose d’une commission d’enquête de son choix par session parlementaire.

Le premier signataire de la proposition de résolution est Yannick Jadot, l’ancien candidat à la présidentielle, devenu sénateur de Paris en septembre. Il devrait logiquement être le rapporteur de cette commission d’enquête. Ce qui confirme en interne un sénateur du groupe : « Ce sera Yannick Jadot le rapporteur », assure cet élu. Le droit de tirage permet cependant de prendre aussi la place de président de la commission. L’autre poste reviendra à un sénateur de la majorité sénatoriale de droite.

TotalEnergies « au second rang du classement mondial des entreprises développant les projets très émetteurs »

L’exposé des motifs de la proposition de résolution donne le cadre. Il rappelle les propos du Secrétaire général des Nations-Unies, qui en juin dernier exhortait les dirigeants du monde à « mettre fin aux licences et aux financements de nouvelles installations pétrolières ou gazières ». « L’Union européenne vise la neutralité climatique d’ici 2050, avec un objectif de réduction de nos émissions de 55 % d’ici 2030. La France s’inscrit juridiquement dans ce cadre », rappellent par ailleurs les écologistes.

Dans ce contexte qui « amène l’humanité vers un réchauffement catastrophique d’au moins 2,9°C d’ici la fin du siècle », les écolos pointent les conséquences des actions de Total. « Malgré des campagnes permanentes de communication, son portefeuille d’activités et, plus dramatiquement, ses plans d’investissements restent très massivement orientés vers les énergies fossiles, pétrolières et gazières », écrivent les sénateurs écologistes, pointant des « projets fossiles très émetteurs, notamment en Arctique, au Mozambique, aux Émirats arabes unis ou encore en Ouganda, représentent 12 % du budget carbone restant à l’humanité pour rester sous 1,5°C de réchauffement, et qui placent donc le groupe français au second rang du classement mondial des entreprises développant les projets très émetteurs ». Et d’ajouter :

 Les investissements financiers et les activités développées par cette compagnie dans la production de combustibles fossiles sont donc clairement incompatibles avec les efforts à fournir en matière de réduction de gaz à effet de serre et avec la diplomatie climatique française. 

Groupe écologiste du Sénat.

« Situations de corruption, de conflits armés, de violations des droits humains et des libertés fondamentales »

Le groupe écologiste – solidarité et territoires pointe par ailleurs « les activités de TotalEnergies dans certains pays aux régimes autoritaires (qui) sont questionnées depuis des années ». Les écologistes en concluent qu’« il convient dès lors de s’interroger et d’enquêter sur la responsabilité du groupe français et l’implication de ses activités et investissements financiers : en matière de non-respect des engagements climatiques ; pouvant alimenter des situations de corruption, de conflits armés, de violations des droits humains et des libertés fondamentales ».

Entendant poser « un constat lucide et partagé, cette commission d’enquête aura également pour objet de formuler au gouvernement des recommandations pour permettre d’agir en matière de régulation des multinationales », explique la proposition de résolution.

« Il y a des liens très forts entre la France et Total »

Si cette commission d’enquête dépend ici de la commission des affaires étrangères, c’est la commission des lois qui juge de sa recevabilité. Or une commission d’enquête ne peut porter sur tout sujet. En raison de la séparation des pouvoirs, elle ne doit pas empiéter sur la justice et ne peut donc pas concerner une enquête en cours. Une commission d’enquête doit porter « soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ».

En adossant la commission d’enquête aux « moyens mobilisés et mobilisables par l’Etat », les sénateurs écologistes s’assurent ainsi de sa recevabilité, en faisant un lien avec la gestion des services publics. « Là, on voit que Total est à la COP 28, accrédité par la France. Il y a des liens très forts entre la France et Total. Ils ne sont pas là par hasard. Ça veut dire que la France a son mot à dire », relève un sénateur des Ecologistes (ex-EELV).

« Volonté de freiner » ?

Au sein du groupe écologiste, on s’interroge plus sur l’attitude qu’aura ensuite la majorité sénatoriale. Un sénateur n’écarte pas « une volonté de freiner. C’est un des fleurons français quand même. C’est le risque », avance ce sénateur, qui a « souvenir de la commission d’enquête sur les médias, avec des prises de parole à l’encontre de David Assouline », alors rapporteur PS. Des sénateurs LR prenaient en effet la parole pour prendre la défense des grands patrons des médias auditionnés, Vincent Bolloré ou Bernard Arnault.

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, sera « bien sûr » appelé à être auditionné. Le contraire serait étonnant. Sa présence sera obligatoire. Se soustraire à la convocation d’une commission d’enquête est passible d’une peine de 2 ans de prison et de 7.500 euros d’amende. Mais c’est plus « la question du huis clos ou pas, de Patrick Pouyanné », qui interroge un sénateur écologiste. La commission d’enquête peut en effet décider qu’une audition soit tenue à huis clos. « Mais Pouyanné n’est pas du genre à fuir ses responsabilités », se rassure un écolo.

Des conclusions rendues juste avant les élections européennes…

Il faut maintenant attendre la conférence des présidents du 13 décembre prochain, qui validera la commission. Dernier élément, qui n’est pas neutre : une commission d’enquête a une durée de 6 mois maximum. C’est pourquoi « il faut la lancer avant les fêtes », calcule, sourire en coin, un membre du groupe. Autrement dit, le rapporteur rendra ses conclusions fin mai… juste avant les élections européennes du 9 juin prochain. De quoi attirer les projecteurs et montrer l’utilité d’avoir des parlementaires écologistes… Le hasard fait parfois bien les choses.

Dans la même thématique

ISSY-LES-MOULINEAUX: France 24, press conference
3min

Parlementaire

France Médias Monde : les sénateurs alertent sur la baisse des crédits dans un contexte de guerre informationnelle

Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).

Le

Total : la commission d’enquête portera sur son « non-respect des engagements climatiques, pouvant alimenter des situations de corruption »
7min

Parlementaire

Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

Le