Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).
Total : la commission d’enquête portera sur son « non-respect des engagements climatiques, pouvant alimenter des situations de corruption »
Par François Vignal
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Ça se précise. Comme nous l’évoquions, le groupe écologiste du Sénat prépare une commission d’enquête sur le groupe TotalEnergies. On en connaît maintenant les contours et le titre exact (à rallonge). Les sénateurs écolos ont en effet déposé mardi soir la proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête sur les moyens mobilisés et mobilisables par l’Etat pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France ». Ouf.
« Il y a deux angles : climat et droits humains »
« Il y a deux angles : climat et droits humains », résume un sénateur du groupe. La commission d’enquête, qui visera donc autant les enjeux climatiques, que le rôle de la multinationale française dans certains pays non démocratiques, s’inscrit dans le cadre du « droit de tirage » du groupe écolo. Chaque groupe politique dispose d’une commission d’enquête de son choix par session parlementaire.
Le premier signataire de la proposition de résolution est Yannick Jadot, l’ancien candidat à la présidentielle, devenu sénateur de Paris en septembre. Il devrait logiquement être le rapporteur de cette commission d’enquête. Ce qui confirme en interne un sénateur du groupe : « Ce sera Yannick Jadot le rapporteur », assure cet élu. Le droit de tirage permet cependant de prendre aussi la place de président de la commission. L’autre poste reviendra à un sénateur de la majorité sénatoriale de droite.
TotalEnergies « au second rang du classement mondial des entreprises développant les projets très émetteurs »
L’exposé des motifs de la proposition de résolution donne le cadre. Il rappelle les propos du Secrétaire général des Nations-Unies, qui en juin dernier exhortait les dirigeants du monde à « mettre fin aux licences et aux financements de nouvelles installations pétrolières ou gazières ». « L’Union européenne vise la neutralité climatique d’ici 2050, avec un objectif de réduction de nos émissions de 55 % d’ici 2030. La France s’inscrit juridiquement dans ce cadre », rappellent par ailleurs les écologistes.
Dans ce contexte qui « amène l’humanité vers un réchauffement catastrophique d’au moins 2,9°C d’ici la fin du siècle », les écolos pointent les conséquences des actions de Total. « Malgré des campagnes permanentes de communication, son portefeuille d’activités et, plus dramatiquement, ses plans d’investissements restent très massivement orientés vers les énergies fossiles, pétrolières et gazières », écrivent les sénateurs écologistes, pointant des « projets fossiles très émetteurs, notamment en Arctique, au Mozambique, aux Émirats arabes unis ou encore en Ouganda, représentent 12 % du budget carbone restant à l’humanité pour rester sous 1,5°C de réchauffement, et qui placent donc le groupe français au second rang du classement mondial des entreprises développant les projets très émetteurs ». Et d’ajouter :
« Situations de corruption, de conflits armés, de violations des droits humains et des libertés fondamentales »
Le groupe écologiste – solidarité et territoires pointe par ailleurs « les activités de TotalEnergies dans certains pays aux régimes autoritaires (qui) sont questionnées depuis des années ». Les écologistes en concluent qu’« il convient dès lors de s’interroger et d’enquêter sur la responsabilité du groupe français et l’implication de ses activités et investissements financiers : en matière de non-respect des engagements climatiques ; pouvant alimenter des situations de corruption, de conflits armés, de violations des droits humains et des libertés fondamentales ».
Entendant poser « un constat lucide et partagé, cette commission d’enquête aura également pour objet de formuler au gouvernement des recommandations pour permettre d’agir en matière de régulation des multinationales », explique la proposition de résolution.
« Il y a des liens très forts entre la France et Total »
Si cette commission d’enquête dépend ici de la commission des affaires étrangères, c’est la commission des lois qui juge de sa recevabilité. Or une commission d’enquête ne peut porter sur tout sujet. En raison de la séparation des pouvoirs, elle ne doit pas empiéter sur la justice et ne peut donc pas concerner une enquête en cours. Une commission d’enquête doit porter « soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ».
En adossant la commission d’enquête aux « moyens mobilisés et mobilisables par l’Etat », les sénateurs écologistes s’assurent ainsi de sa recevabilité, en faisant un lien avec la gestion des services publics. « Là, on voit que Total est à la COP 28, accrédité par la France. Il y a des liens très forts entre la France et Total. Ils ne sont pas là par hasard. Ça veut dire que la France a son mot à dire », relève un sénateur des Ecologistes (ex-EELV).
« Volonté de freiner » ?
Au sein du groupe écologiste, on s’interroge plus sur l’attitude qu’aura ensuite la majorité sénatoriale. Un sénateur n’écarte pas « une volonté de freiner. C’est un des fleurons français quand même. C’est le risque », avance ce sénateur, qui a « souvenir de la commission d’enquête sur les médias, avec des prises de parole à l’encontre de David Assouline », alors rapporteur PS. Des sénateurs LR prenaient en effet la parole pour prendre la défense des grands patrons des médias auditionnés, Vincent Bolloré ou Bernard Arnault.
Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, sera « bien sûr » appelé à être auditionné. Le contraire serait étonnant. Sa présence sera obligatoire. Se soustraire à la convocation d’une commission d’enquête est passible d’une peine de 2 ans de prison et de 7.500 euros d’amende. Mais c’est plus « la question du huis clos ou pas, de Patrick Pouyanné », qui interroge un sénateur écologiste. La commission d’enquête peut en effet décider qu’une audition soit tenue à huis clos. « Mais Pouyanné n’est pas du genre à fuir ses responsabilités », se rassure un écolo.
Des conclusions rendues juste avant les élections européennes…
Il faut maintenant attendre la conférence des présidents du 13 décembre prochain, qui validera la commission. Dernier élément, qui n’est pas neutre : une commission d’enquête a une durée de 6 mois maximum. C’est pourquoi « il faut la lancer avant les fêtes », calcule, sourire en coin, un membre du groupe. Autrement dit, le rapporteur rendra ses conclusions fin mai… juste avant les élections européennes du 9 juin prochain. De quoi attirer les projecteurs et montrer l’utilité d’avoir des parlementaires écologistes… Le hasard fait parfois bien les choses.
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