C’est l’information à retenir de cette nouvelle journée d’auditions pour la commission d’enquête sur le scandale des eaux en bouteille. Le 8 avril, les sénateurs auditionneront le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler. Des documents obtenus par les parlementaires prouvent en effet « que la présidence de la République a été approchée à plusieurs reprises par le groupe Nestlé, à propos du dossier des eaux en bouteille », a affirmé le président de la commission, Laurent Burgoa (Les Républicains).
En février dernier, Le Monde et Radio France avaient déjà dévoilé des échanges de mails entre la direction du groupe et le secrétaire général de l’Elysée. Des discussions qui s’ajoutent à celles menées entre Nestlé et les cabinets des ministères de la Santé, ou encore de l’Industrie. Selon l’enquête des deux médias, ces rencontres avaient un objectif : convaincre le gouvernement de modifier la réglementation en vigueur sur les eaux minérales, pour permettre au groupe d’utiliser en toute légalité des méthodes de filtration aujourd’hui interdites.
Nestlé n’a jamais demandé de « traitement de faveur » au gouvernement, assure Ronan Le Fanic
Ce n’est pas la version des faits qu’est venu défendre Ronan Le Fanic devant les sénateurs, lors de son audition ce 26 mars. « On n’est pas du tout dans l’idée de vouloir faire changer une norme française ou européenne. On n’a jamais eu pour idée d’aller changer une réglementation sur l’eau minérale », assure le directeur technique de Nestlé Waters, ancien responsable de l’usine du groupe dans les Vosges (qui produit les marques Vittel, Contrex et Hépar).
Des déclarations qui ont surpris le rapporteur de la commission, Alexandre Ouizille (PS). La veille, les sénateurs ont en effet entendu le consultant Nicolas Bouvier, qui mène des activités de lobbying pour le compte de Nestlé. « Ce qu’il nous a très clairement expliqué, c’est qu’il a été embauché pour traiter la question de la réglementation au niveau européen, et que s’il y a eu entre 10 et 20 rencontres organisées, c’est précisément dans l’objectif de changer la réglementation », observe le rapporteur.
Concrètement, la réglementation actuelle sur la filtration des eaux minérales naturelles s’appuie sur un avis rendu par l’Anses en 2001. Celui-ci précise que la filtration de ces eaux doit être réalisée avec un filtre d’une taille spécifique de 0,8 micron. Tout filtre de taille inférieure pourrait modifier certaines composantes de l’eau, voire s’apparenter à une désinfection. Dans ses usines du Gard (où est produite la marque Perrier) et des Vosges, Nestlé utilise pourtant des filtres plus petits, à 0,2 micron.
« Il s’agit surtout d’un débat technique, sur des normes industrielles », balaye Ronan Le Fanic, démentant l’idée selon laquelle Nestlé Waters aurait demandé au gouvernement « un traitement de faveur » ou une « dérogation », pour pouvoir continuer à utiliser ces filtres. Venu avec deux modèles de filtres – l’un à 0,8 micron et l’autre à 0,2 micron – le directeur technique a souhaité démontrer aux sénateurs que si leur dénomination commerciale était différente, ils avaient en réalité les mêmes propriétés. « Ces deux technologies conservent les constituants essentiels de l’eau minérale, dont sa minéralité et sa flore, et ne désinfectent pas l’eau », assure-t-il.
« On vous a dit qu’on ne parlerait pas du passé » : Nestlé poursuit sa stratégie du silence
Avant la mise en place de ces filtres à 0,2 micron, c’est pour d’autres pratiques autrement plus dérangeantes que la firme avait été épinglée : l’utilisation de filtres à ultraviolets et à charbon, de leur côté totalement proscrits dans le cadre de la production d’eau minérale naturelle. Une pratique désormais révolue, mais mise en place pendant de longues années, assure la sénatrice écologiste Antoinette Guhl, qui avait mené une mission d’information sur les eaux en bouteille avant l’ouverture de la commission d’enquête. « Comment est-il possible que, pendant aussi longtemps, vous ayez vendu de l’eau minérale naturelle avec des traitements dont vous savez qu’ils sont interdits ? », interroge la sénatrice.
Sur ces questions, Ronan Le Fanic botte en touche, arguant qu’une enquête est en cours concernant ces faits. Le 13 février dernier, le tribunal de Paris a en effet ouvert une enquête visant Nestlé Waters pour « tromperie ». Si les sénateurs assurent que leur travail ne se substitue pas à celui de la justice et ne vise pas à incriminer Nestlé, le directeur technique reste silencieux, remettant en question l’existence même d’une commission d’enquête en parallèle du travail de la justice.
Une ligne de défense également utilisée par le second directeur auditionné ce 26 mars, David Vivier, ancien directeur industriel chez Nestlé Waters. « On vous a dit qu’on ne parlerait pas du passé aujourd’hui, donc je ne répondrais pas. Le passé est en lien avec l’enquête pénale », a-t-il assuré devant les sénateurs. Face à son silence, cette seconde audition n’a duré qu’une trentaine de minutes.
Après avoir essuyé le refus de répondre aux questions de deux autres dirigeantes de Nestlé la semaine dernière, les sénateurs devront donc attendre l’audition du directeur général de Nestlé, Laurent Freixe, pour obtenir des réponses. Celui-ci sera entendu le 9 avril. « C’est avec lui que nous aurons une ultime tentative de discussion. Peut-être que nous y échouerons, peut-être que Nestlé finira cette commission en disant qu’il ne veut pas dire aux Français ce qu’il s’est passé dans ses usines et qu’il compte rester une boîte noire », pointe Alexandre Ouizille.