Paris: Macron in a classroom during a visit to the Ecole primaire d’application Blanche

Sans budget rectificatif, « le gouvernement va utiliser toutes les ficelles possibles pour tenir », selon Jean-François Husson

En écartant tout projet de loi de finances rectificative, Emmanuel Macron pousse le gouvernement à trouver des solutions. Selon le rapporteur du budget au Sénat, Jean-François Husson, il pourra annuler un peu plus de crédits par décret, mais aussi s’appuyer sur des reports de crédits non consommés en 2023, qui s’élèvent à 16 milliards d’euros. Sa décision est aussi politique, face à la menace d’une motion de censure LR. « Le Président ne veut pas prendre le risque d’un imbroglio à la veille des JO », glisse un cadre de la majorité.
François Vignal

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« Il n’y a plus de PLFR, alors on n’en parle plus ». Ce responsable de la majorité ne préfère pas épiloguer. En dépit de la situation des finances publiques, avec un déficit à 5,5 % au lieu des 4,9 % prévus en 2023, et des mots du ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, qui avait évoqué début mars la possibilité d’« projet de loi de finances rectificative (PLFR) cet été, si cela est nécessaire », il n’y aura rien. Le chef de l’Etat a tranché. A peu près tout le monde s’attendait pourtant à un collectif budgétaire. « C’est le grand bordel », tance un parlementaire d’opposition devant le spectacle.

« Nous n’avons pas un problème de dépenses excessives mais un problème de moindres recettes »

Emmanuel Macron a en effet décidé d’écarter le PLFR, qui permet de réviser le budget en cours d’année. En s’invitant à la réunion de la majorité qui se tient tous les lundis, autour du secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, avec les présidents des groupes de la majorité, il a clarifié le cap après une période de flottement, comme l’a révélé Le Figaro. « J’entends parler de PLFR. Je n’en vois pas l’intérêt. Le gouvernement doit faire les choses avec sérieux pour tenir nos objectifs. Nous n’avons pas un problème de dépenses excessives mais un problème de moindres recettes », a estimé le président de la République. Il est vrai que les recettes de TVA, de l’impôt sur les sociétés et de la contribution sur la rente inframarginale sur les énergéticiens se sont retrouvées moins importantes qu’estimé par le gouvernement.

Le chef de l’Etat compte sur les économies à réaliser. « Dans les prochains jours, chacun sera responsabilisé sur ses propres dépenses », a-t-il assuré, prévenant qu’« il ne faut pas que ça soit la foire à la saucisse. Il faut le calme des vieilles troupes », alors que la majorité s’est montrée divisée ces dernières semaines, entre les tenants d’une hausse des impôts sur les superprofits, autour de Yaël Braun-Pivet, et les défenseurs de la rigueur et des économies, Bruno Le Maire en tête.

L’effet de la menace d’une motion de censure LR

Une décision du Président qui interroge sur le plan financier, mais dont les ressorts sont aussi politiques. Car les LR jouent un rôle dans cette histoire. Accusant l’exécutif d’insincérité budgétaire, ils entendent bien faire des finances un enjeu sur lequel attaquer Emmanuel Macron, au point de menacer de déposer une motion de censure. Dans Le Parisien, Eric Ciotti, président des LR, a fixé les « lignes rouges » qui l’amèneraient à déposer une motion : hausses d’impôts, désindexation des retraites, dépenses de santé. En cas d’adoption de la motion de censure, elle ferait tomber le gouvernement Attal et mettrait sérieusement à mal Emmanuel Macron.

« Je pense que le Président ne veut pas prendre le risque d’un imbroglio et d’une situation un peu chaotique à la veille des Jeux Olympiques, c’est clair », avance un cadre de la majorité, « il pense qu’une motion de censure maintenant serait mal venue ». Mais selon ce macroniste, la droite bluffe : « Les LR disent tous les jours « retenez-moi, ou je fais un malheur ». Mais ils savent qu’ils seront effacés, s’il y a des élections. Je ne crois pas à la censure, d’autant qu’ils ne sont pas d’accord entre eux ». Mais l’incertitude semble suffisamment forte, aux yeux de la majorité, pour prendre au sérieux ce risque. Emmanuel Macron doit faire face à l’ambiguïté stratégique des LR en somme…

« Cela montre une improvisation et un vent de panique »

Au Sénat, ce choix d’évacuer tout collectif budgétaire est, sans surprise, jugé durement par les LR. « C’est le Président qui aura le plus méprisé le Parlement. Il est en cela constant… C’est le seul point où il l’est ! » lance ce mardi avant sa réunion de groupe Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR. Selon le sénateur de Vendée, « tout ça, c’est la préparation d’un plan caché d’augmentation des impôts après les européennes. Ça, c’est l’amorce ».

Le rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson, dénonce aussi la décision présidentielle. « Au regard des chiffres, il y a effectivement lieu de se poser des questions. Cela montre que c’est à la fois l’improvisation et d’une certaine manière un vent de panique à l’intérieur de la majorité gouvernementale », lance le rapporteur du budget, qui a compliqué le jeu du gouvernement depuis qu’il a obtenu, par l’utilisation de ses pouvoirs de contrôle, des notes internes à Bercy. Elles montrent que le ministre de l’Economie a été alerté de la dégradation de la situation dès la fin 2023.

Ces notes montraient notamment que l’effort d’économies supplémentaires pour tenir le déficit en 2024 pourrait être de 30 milliards d’euros, et non seulement de 10 milliards, comme Bruno Le Maire l’a annoncé en début d’année. Comment l’exécutif compte-t-il tenir son « cap », auquel Emmanuel Macron est attaché ? Selon Jean-François Husson, il pourrait recourir à quelques « passe-passe » budgétaires : « Je pense qu’ils vont utiliser toutes les ficelles possibles et imaginables pour tenir ».

Le gouvernement peut déjà atteindre la limite des économies autorisées par un simple décret d’annulation de crédits. Selon la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) le montant cumulé des crédits annulés « ne peut dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours », soit environ 12 milliards d’euros pour le budget 2024. Donc « il reste à peu près deux milliards », souligne Jean-François Husson. Mais comme nous l’expliquions, « le plafond est parfois dépassé, sans aucune conséquence particulière », notait en 2016 dans un ouvrage consacré à la comptabilité publique, Damien Catteau, maître de conférences en droit public à l’université Lyon 3. Ce fut ainsi le cas en 2003 (1,8 % des crédits annulés) ou encore en 2005 (2,1 % des crédits annulés).

« Une marge de manœuvre » de 6 milliards d’euros

L’autre possibilité, ce sont les reports de crédits, soit les lignes de crédits qui restaient ouvertes dans l’exercice budgétaire précédent, et non utilisées, comme des crédits du plan d’urgence ou du plan de relance. L’accès aux notes de Bercy a été, là aussi, instructif.

Le rapporteur a découvert que le gouvernement « a transféré des crédits non consommés de l’exercice 2023 à hauteur de 16 milliards d’euros. Ce qui veut dire que vous faites des coupes de 10 milliards d’euros, et vous ajoutez 16 milliards. Donc par rapport au budget adopté au Parlement, il y a de fait 6 milliards d’euros de plus… + 6 milliards d’euros, ça fait quand même une marge de manœuvre », relève Jean-François Husson, qui ajoute :

 Quand vous dites aux gens qu’on fait des coupes sombres de 10 milliards d’euros et qu’en loucedé, vous ajoutez + 16 milliards, il y a comme un problème de cohérence et de double discours. 

Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat.

Recours aux « crédits mis en réserve ou gelés pour situation exceptionnelle » ?

Le rapporteur de la commission des finances ne serait « pas surpris qu’il y ait un ou deux autres coups de ce type-là dans la manche du gouvernement ». Le sénateur LR de la Meurthe-et-Moselle explique « qu’il peut y avoir des crédits mis en réserve ou gelés pour situation exceptionnelle ». « De toute façon, ils vont tirer au maximum la ficelle, car le gouvernement est quand même pris dans la nasse d’une impossible majorité à l’Assemblée ».

Reste encore une solution, qui officiellement n’est pas au programme du gouvernement : laisser filer un peu plus le déficit. « On va arrêter d’hypothéquer l’avenir, que ce soit de manière budgétaire ou climatique, d’hypothéquer les chances de la France », rétorque face à cette idée Jean-François Husson, qui dépeint Bruno Le Maire en « grand argentier et grand dépensier, depuis 2017 ».

Pour tenir tant bien que mal les objectifs d’économies, le gouvernement compte aussi sur les réformes structurelles, à commencer par l’assurance chômage, mais aussi les collectivités. Bruno Le Maire a reçu ce matin, à Bercy, le Haut Conseil des finances publiques locales et des représentants des associations d’élus, histoire de leur mettre une amicale pression (lire notre article sur le sujet).

Réunion de la majorité à Matignon sur les finances mercredi matin

La majorité n’a visiblement pas épuisé la question. Car le sujet des finances publiques sera au menu du traditionnel petit-déjeuner de la majorité, à Matignon, annulé mardi et repoussé à ce mercredi matin. Le premier ministre Gabriel Attal et les présidents des groupes parlementaires de la majorité partageront le café avec Cazenave et Cazeneuve, soit le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, accompagné du rapporteur général du budget de l’Assemblée, Jean-René Cazeneuve.

Les cadors de la majorité pourront peut-être réfléchir à accorder leurs violons en vue du budget 2025. Un parlementaire de la majorité se demande encore « comment on a pu dramatiser, mettre en scène les économies il y a un mois, parler de jours de carence et des retraites, avec beaucoup de fausses nouvelles, pour au final dire qu’il ne faut pas dramatiser… » Une histoire de foire à la saucisse sûrement.

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. 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Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. 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