Russie, Ouganda, Tanzanie : au Sénat, TotalEnergies se justifie sur ses implantations à l’étranger

Ce jeudi, la commission d’enquête sur TotalEnergies auditionnait le directeur général de la branche exploration-production du groupe. L’occasion pour les sénateurs d’interroger l’énergéticien sur sa présence polémique en Russie, ou encore sur son projet pétrolier en Ouganda qui continue à susciter des oppositions.
Rose Amélie Becel

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Alors que TotalEnergies fête aujourd’hui ses 100 ans, la commission d’enquête sur les obligations climatiques de l’énergéticien suit son cours au Sénat. Ce jeudi, c’est Nicolas Terraz – le directeur général exploration-production du groupe – qui était auditionné, notamment pour évoquer les activités de TotalEnergies à l’étranger.

Nicolas Terraz a été largement interrogé sur les projets Tilenga, le forage de 400 puits de pétrole en Ouganda, et EACOP, la construction d’un oléoduc chauffé de 1 400 kilomètres pour conduire ce pétrole jusqu’au port de Tanga en Tanzanie. Des chantiers colossaux, pour lesquels le groupe est sous le feu des critiques.

En Ouganda, 775 foyers relogés et des accusations de « violation des droits humains »

Au cœur des accusations, la question de l’expropriation et du dédommagement des populations affectées. « Il y a eu beaucoup de familles, d’organisations, faisant des accusations assez lourdes de pressions sur des foyers, qui étaient très loin d’un schéma transparent et bienveillant de relocalisation », note le sénateur écologiste Yannick Jadot, rapporteur de la commission d’enquête. « TotalEnergies est pleinement conscient que ses projets ont un impact significatif sur les communautés. Notre travail c’est de faire en sorte que cet impact soit géré de manière respectueuse des droits humains », plaide Nicolas Terraz.

Selon le directeur, 19 000 foyers sont aujourd’hui concernés par une procédure d’acquisition de terres par TotalEnergies, aussi bien des plantations que des logements. Les propriétaires ont alors le choix entre une compensation en nature ou financière. « Parmi les foyers affectés, 775 résidaient dans l’emprise des projets. La très grande majorité d’entre eux a choisi d’être relogée dans une nouvelle maison, construite sur le terrain de leur choix », précise Nicolas Terraz.

Pourtant, l’été dernier, une vingtaine d’Ougandais et cinq associations écologistes ont déposé plainte contre TotalEnergies, accusant le groupe de « violations des droits humains ». Selon Les Amis de la Terre, plusieurs familles ougandaises auraient été « interdites de cultiver librement leurs terres pendant plus de trois ou quatre ans, avant tout versement d’une compensation, alors que leurs terres constituent bien souvent leur unique moyen de subsistance ». Devant les sénateurs, Nicolas Terraz reconnaît que certaines procédures ont « généré un mécontentement » : « Pour des raisons liées à l’exécution du projet, un certain nombre de compensations ont été versées tardivement ». Des conflits aujourd’hui résolus « à 97 % », selon le directeur.

En Sibérie, TotalEnergies continuera d’exploiter du gaz « aussi longtemps que les sanctions le permettront »

Autre sujet qui fâche : la présence de TotalEnergies en Russie. Malgré l’invasion de l’Ukraine et les sanctions économiques européennes en direction de Moscou, le groupe reste le deuxième plus gros acheteur de gaz naturel liquéfié (GNL) russe. « Nous respectons les sanctions, quelque soit l’impact sur nos activités », se défend Nicolas Terraz, qui précise que l’énergéticien « n’opère pas d’installations ou d’usines de GNL » en Russie.

TotalEnergies conserve pourtant une participation de 20 % dans le projet gazier de Yamal, en Sibérie. Le groupe compte poursuivre l’exploitation du GNL sibérien « aussi longtemps que les sanctions le permettront ». « Les pays européens ont considéré que poursuivre l’alimentation de l’Europe en GNL à partir de Yamal était un facteur de stabilisation des marchés, cela n’a donc pas été sanctionné ni interdit », précise Nicolas Terraz.

La commission d’enquête devrait prochainement approfondir la question de la présence de TotalEnergies en Russie, lors d’une audition avec un autre dirigeant du groupe. Une rencontre à laquelle le rapporteur Yannick Jadot ne pourra pas participer. Durant la dernière campagne présidentielle, le candidat écologiste avait accusé TotalEnergies d’être « complice de crimes de guerre » en Ukraine. Il est depuis visé par une plainte en diffamation et doit se déporter des auditions concernant la Russie.

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Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

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