Rejet probable du CETA au Sénat : Ce serait un « coup de tonnerre politique », selon les élus communistes
Par Alexis Graillot
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Le Sénat va-t-il rejeter l’accord de libre échange entre l’Europe et le Canada ? En tout cas, l’optimisme semble de mise pour le groupe communiste, quelques heures seulement après la suppression de l’article 1 en commission des affaires économiques, autorisant la ratification du traité. Avec à la clé, un consensus presque unanime entre les groupes de la chambre haute. De quoi laisser présager un rejet du texte lors de son examen en séance publique.
Un traité controversé au-delà des clivages politiques
Accord économique et commercial qui élimine les barrières tarifaires et non-tarifaires aux échanges commerciaux (90%), s’étendant également à l’exportation de biens et de services, le traité contient également une partie de ses dispositions réservée aux investissements des entreprises (10%). Si la première partie relève de la compétence exclusive de l’Union Européenne puisqu’elle concerne les règles du marché commun, la deuxième partie relative aux investissements, tombe sous le champ des législations nationales. Or, aujourd’hui, seuls 17 des 27 pays de l’Union ont voté le texte, le dernier en date étant l’Allemagne.
En France, le traité a été approuvé à l’Assemblée nationale à une (courte) majorité, par 266 voix contre 213, en juillet 2019. Annoncé au Sénat, le projet a finalement toujours été repoussé jusqu’aujourd’hui. Preuve de la défiance de l’Hexagone à l’égard de l’accord, la Convention citoyenne sur le climat avait demandé au gouvernement de ne pas ratifier le projet en raison du non-respect des accords de Paris, par 126 voix sur 150.
Si l’objectif affiché était de renforcer les liens commerciaux entre l’Union et le pays de l’érable, force est de constater qu’il s’est toujours heurté à des oppositions très fortes, et encore davantage dans un contexte de crise agricole, ce que n’a pas manqué de rappeler Fabien Gay : « Ces traités sont caducs de façon sociale et environnementale », alerte le sénateur. « Il n’est pas possible que des biens soient produits avec des normes que nous interdisons », tout en taclant la position de la majorité (LR) sénatoriale sur le sujet : « Nous ne demandons pas moins de normes sociales et environnementales mais que tout soit élevé au même niveau », non sans exclure la responsabilité citoyenne : « Évidemment que cette question nous invite à repenser nos moyens de consommer, mais nous oublions souvent que le Canada permet la facturation hydraulique sur le gaz ». « Ne soyons pas dupes ! », martèle-t-il.
S’il reconnaît que « des filières agricoles bénéficient du CETA et que nous n’avons pas connu une inondation de viande du Canada », il alerte cependant sur la filière bovine, « mise en difficulté » par cet accord, et encore davantage « lorsque les filières seront restructurées ». Faisant écho au refus du président de la République de signer « en l’état » l’accord sur le MERCOSUR, l’élu communiste propose d’aller plus loin : « Il faut une renégociation de l’ensemble de ces traités et dire que nous voulons arrêter ces accords extrêmement libéraux ».
Du côté de la droite, on se veut « vigilant sur la réciprocité des normes », au regard de la crise agricole. Le rapporteur LR du texte sorti de la Commission des affaires économiques, Laurent Duplomb, estime par ailleurs qu’ « en dépit de gains sectoriels, il n’a pu qu’en constater les faiblesses : Parlement contourné, retombées macroéconomiques limitées, déstabilisation du secteur bovin disproportionnée, question non résolue des distorsions de concurrence économiques, environnementales et sanitaires » … des arguments pas tellement éloignés de leurs collègues communistes. Toujours dans le même texte, le sénateur LR de la Haute-Loire fait un parallèle avec l’accord sur le MERCOSUR : « Jugeant qu’autoriser la ratification de cet accord ouvrirait la voie à celui avec le Mercosur, les mêmes vices de conception se trouvant dans les deux accords avec de simples différences de degré, il appelle le Parlement à jouer le rôle diplomatique qu’il assume dans toute démocratie moderne, en fixant des principes dont l’exécutif pourra se prévaloir dans les négociations internationales ».
« Une reprise en main du Parlement face au gouvernement »
Le groupe communiste s’est néanmoins « réjoui » de la probabilité du rejet du texte en séance publique, qui marque, pour les élus, une « reprise en main du Parlement face au gouvernement ». « Le gouvernement considère le Parlement comme un paillasson », déplore Fabien Gay, sénateur de la Seine-Saint-Denis, qui estime que « la démocratie, ce n’est quand on est sûrs de gagner, on joue, et quand on est sûrs de perdre, on ne joue pas ». « Nous avons été proactifs sur le sujet par des questions écrites, orales, et en séance publique, ainsi qu’à l’initiative d’un débat sur l’application du traité après un an. A l’époque, le gouvernement nous a répondu que c’était trop tôt », énumère-t-il, rappelant également qu’ « en 2021, le groupe communiste avait déposé une proposition de résolution » sur le sujet. « Malgré de nombreuses demandes, le gouvernement n’a jamais fait le choix d’inscrire ce texte, tout comme aucun autre groupe du Sénat », déplore Fabien Gay.
Se référant à la suppression de 10 milliards d’euros dans le budget de l’Etat par le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, l’élu francilien a regretté que cette décision n’ait pas été inscrite à l’agenda du Parlement, tout en reprochant au gouvernement de « continuer son déni démocratique en n’inscrivant pas le CETA à l’agenda parlementaire », texte pourtant voté en 2019 par l’Assemblée nationale. Un débat « assez âpre » à l’Assemblée, rappelle les élus, en dépit d’une majorité Renaissance très large à l’époque. « Si le 21 mars, un parlement national dit non, ce sera un coup de tonnerre politique au sein de l’UE mais également outre-Atlantique », tonne Fabien Gay, qui évoque un « vote extrêmement politique (…), qui n’est permis que grâce au groupe communiste ».
« Chacun et chacune sera face à ses responsabilités »
Néanmoins, malgré le rejet en Commission, la pilule est un peu amère pour le groupe communiste, qui se fait quelque peu couper l’herbe sous le pied par les élus LR, majoritaires au sein de la chambre haute. « Au regard de la crise agricole et de nombreux engagements pris, il nous semblait nécessaire que ce débat ait lieu en séance », regrette la présidente du groupe, Cécile Cukiermann. « Nous ne sommes pas dupes de ce qui se joue, mais ce sera inévitablement avec un vote qui ne marquera pas de la même manière le rejet, puisqu’un texte profondément affaibli arrivera en séance et n’aboutira pas à un débat de qualité », déplore la sénatrice de la Loire. Un choix du groupe qui n’étonne cependant pas Fabien Gay, au regard des contradictions du groupe LR sur les accords de libre-échange : « Chacune et chacun a ses contradictions », constate-t-il, dépeignant un « double discours entre les parlementaires qui ratifiaient des accords similaires avec le Kenya et le Chili, et qui votent aujourd’hui contre le CETA ».
A ce titre, la présidente du groupe se désole du « peu de risques » pris par le groupe de droite, qu’elle accuse être « dans la gestion » : « L’avantage en débat en commission est que le scrutin n’est pas public et donc pas soumis au vote », explique-t-elle. « Faire de la politique c’est aussi prendre un risque », estime-t-elle, tout en ajoutant : « Parfois en politique, il y a des moments de noblesse et de courage ».
Pour autant, elle ne s’inquiète pas d’une éventuelle obstruction parlementaire de la part du gouvernement : « Nous connaissons la capacité de la majorité à faire de l’obstruction », reconnaît la sénatrice, qui juge pour autant, que le gouvernement, même s’il en a la capacité, se trouve dans l’impossibilité de faire obstacle à l’examen du texte : « Retirer le texte de notre riche serait retirer le texte du processus législatif, donc le gouvernement se trouve pieds et mains liés ».
Enfin, interrogée par Public Sénat, sur l’issue potentielle d’un vote lors du retour « détricoté » du texte à l’Assemblée, Cécile Cukierman se veut prudente sur un éventuel pronostic, affirmant néanmoins : « Le vote est plus qu’incertain et encore moins acquis en faveur du gouvernement », même si elle juge « peu probable » que le gouvernement remette le projet de loi à l’ordre du jour au Palais Bourbon. « Nous aurons néanmoins réussi le plus important », conclut l’élue de la Loire.