Assemblee Nationale

Projet de loi immigration : la CMP suspendue pour la nuit, députés et sénateurs bloquent sur les APL

Si un accord semblait proche sur le papier, les premières heures de la commission mixte paritaire sur le projet de loi immigration ont montré une sérieuse crispation autour de la question des APL sur les aides sociales pour les étrangers qui ne travaillent pas. Chacun, entre LR et la majorité, se renvoie la balle dans un dialogue de sourds, parole contre parole sur le contenu de l’accord. Les travaux ont finalement été suspendus pour la nuit. Ils reprennent mardi matin.
François Vignal

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Faux départ. Des jours de préparation, pour bloquer au bout de 5 minutes. La commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi immigration a commencé dans la douleur, ce lundi 18 décembre. Les quatorze parlementaires – sept députés et sept sénateurs – réunis au Palais Bourbon dans ce conclave parlementaire étaient, quand les douze coups de minuit ont sonné, encore très loin de la ligne d’arrivée.

Semaine d’intenses tractations

Après une semaine d’intenses tractations entre le gouvernement et des LR en position de force, les choses ont pourtant commencé à se débloquer, que ce soit sur les régularisations ou sur l’aide médicale d’Etat (lire notre article). En réalité, comme souvent lors d’une CMP, beaucoup s’est joué en amont. Et au plus au niveau, autour de la première ministre Elisabeth Borne, qui a réuni plusieurs fois les responsables LR, le président du parti Eric Ciotti, et les deux présidents de groupes, Bruno Retailleau et Olivier Marleix.

Dans la dernière ligne droite, les planètes se sont alignées, petit à petit, les points de blocage se levant les uns après les autres. « Il y a de bonnes chances qu’on ait un compromis » et donc un accord, confiait-on du côté des LR, dans l’après-midi, « mais il faut voir comment se passe la CMP », ajoutait le même, prudent.

« Ils ne respectent pas leur engagement »

Il ne croyait pas si bien dire. A peine la CMP commencée, sur le coup de 17 heures, qu’une suspension de séance est demandée, cinq minutes après. Faux départ. C’est parti pour une longue pause qui durera… quatre heures. C’est la question des aides sociales non contributives qui bloque. Selon les LR, le rapporteur Renaissance, Florent Boudié, demande que les APL soient conservées pour les étrangers qui ne travaillent pas, présents depuis au moins 5 ans sur le territoire. Les LR n’en veulent pas. « Ils ne respectent pas leur engagement », accuse l’un des LR présent à la CMP. Sur X (ex-Twitter), Bruno Retailleau donne ses explications : « La réalité des faits : nous avons exigé avec les parlementaires LR une suspension de séance parce que, contrairement à ce qui nous avait été dit, nous avons découvert que les APL avaient été réintégrées dans la liste des prestations que peuvent percevoir les étrangers. Ce n’est pas conforme au texte du Sénat et aux engagements qui nous avaient été donnés ».

Mais du côté Renaissance, c’est un autre son de cloche. « A aucun moment, il n’a été question d’APL », assure un peu plus tard aux journalistes une députée Renaissance. Pour la majorité, les LR ont sorti de leur chapeau cette histoire d’APL. C’est parole contre parole.

« Situation guignolesque », raille la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie

Quelques minutes après le début de la suspension, les socialistes déboulent salle des Quatre colonnes, à l’Assemblée. Le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, présent comme suppléant à la CMP, est remonté. Il dénonce « une mascarade », « un scandale » qui n’est « pas acceptable », alors que les LR organisent des conciliabules de leur côté. « Si la majorité et la droite ne sont pas d’accord, qu’ils reportent le dossier et on se reverra plus tard », lâche l’ancien ministre socialiste.

Plus tard, c’est 21 heures. La suspension joue les prolongations. « Le seul débat a été de savoir si on pouvait commencer les débats. On est dans une situation guignolesque », ajoute la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie, membre de la CMP, pour qui les LR sont responsables de cette « mise à l’arrêt » de la commission mixte paritaire. Le RN sort à son tour. « Ce n’est pas au niveau », lâche la députée RN Edwige Diaz, qui ne demande pas l’arrêt de la CMP.

Sur les APL, « ça a toujours été très clair », assurent les LR

Pendant ce temps, à Matignon, un dîner s’organise avec les membres de la majorité présidentielle. A la sortie, le président du groupe Renaissance de l’Assemblée, Sylvain Maillard, lâche juste au micro de BFMTV : « Il y a encore des échanges qu’on doit avoir. On va continuer à travailler et voir s’il y a une voie de passage. Pour le moment, on a un accord, mais force est de constater que l’accord n’est pas tenu ».

Mais dans l’autre camp, on maintient sa version. « Quand on a négocié c’était très simple : toutes les prestations sociales non contributives, dont les APL font partie, sont supprimées, sauf l’ACH (prestation de compensation du handicap). Voilà l’accord avec le gouvernement. Ça a toujours été très clair », soutient-on du côté des LR, où on pense que la première ministre, en réunissant sa majorité ce matin, « a reçu une volée de bois vert sur les APL. Elle s’est aperçue qu’il y avait une immense difficulté ». Autrement dit, un risque que l’accord ne soit pas voté à l’Assemblée.

« Ça peut être très long »

On apprend ensuite, par un journaliste de France info, qu’Emmanuel Macron s’invite à la soirée. Le chef de l’Etat s’est entretenu avec la première ministre, mais surtout avec Bruno Retailleau. Eric Ciotti et la séparation des pouvoirs apprécieront. Mais quelques minutes après, démenti formel de l’entourage du patron des sénateurs LR : « Contrairement à ce qui est dit ici ou là, le président de la République n’a pas appelé Bruno Retailleau pendant la suspension de séance ». « C’est de l’intox », ajoute un autre. L’Elysée lui-même dément finalement.

A 21 heures, au moment de la reprise, le point de blocage sur les APL n’est donc toujours pas levé, soutient un sénateur LR membre de la CMP. La commission mixte paritaire reprend malgré tout. « On fait ce qu’on aurait dû faire à 17 heures : propos liminaires des rapporteurs », constate une socialiste présente à l’intérieur. Un député lâche : « Ça peut être très long ». La CMP semble – enfin – réellement commencer. Les articles sont examinés les uns après les autres.

« Si on n’est pas foutus de trouver une solution… » tape du poing Hervé Marseille

Peu avant minuit, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, qui a joué un rôle clef dans l’accord au Sénat, tape du poing sur la table. « Le diable est dans les détails », commence le sénateur UDI, avant de continuer : « Ça fait un an qu’on discute de ce texte. Je ne suis pas sûr que les Français comprennent qu’en pleine nuit, on s’arrête sur les APL. (…) Si on n’est pas foutus de trouver une solution dans un pays comme la France, c’est qu’il y a un problème institutionnel. Ce n’est pas les affaires des APL qui peut faire capoter un dossier comme celui-là », lâche sur l’antenne de Public Senat/LCP-AN Hervé Marseille, qui insiste :

 J’imagine mal que demain, on se réveille en disant, mais vous comprenez, ils ne se sont pas entendus sur les APL dans le texte. C’est lunaire. 

Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat.

Les députés avancent lentement, jusqu’à l’article 1L… avant une nouvelle suspension, autour de minuit, juste avant l’article 1N, celui sur les aides sociales et les APL. Boris Vallaud, président du groupe PS de l’Assemblée et suppléant à la CMP, pointe une tête aux « Quatre col’ ». Il y va de sa formule : « La majorité a cédé sur toutes les lignes rouges et a désormais passé les lignes bleu marine, reprenant à son compte tout ce qu’elle avait débattu à la commission des lois, il y a une quinzaine de jours », dénonce le socialiste.

Comme en échos, la députée RN Edwige Dias, suit quelques secondes après, et dit devant les micros tendus : « On se réjouit que ce texte reprenne un nombre considérable de propositions qu’on défend depuis des années ». « Il y a des victoires idéologiques pour nous », ajoute le député RN Yoann Gillet, membre de la CMP, « Marine Le Pen a raison depuis longtemps ». Quelques minutes après, on apprend que les travaux de la commission vont finalement reprendre ce mardi, à 10h30. Il reste des heures de réunion pour espérer aller au bout. Et la nuit porte parfois conseil.

François Vignal et Romain David, avec Quentin Calmet et Audrey Vuetaz.

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. 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