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Projet de loi immigration : double peine, droit du sol, métiers en tension… Que faut-il attendre des débats au Sénat ?

Le projet de loi immigration sera débattu au Sénat la semaine prochaine. La droite entend continuer à durcir un texte qu’elle a déjà très largement modifié en commission. L’article 3 notamment, sur la régularisation dans les secteurs en tension, devrait éprouver son alliance avec les centristes, qui défendent la mesure.
Romain David

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Passera ou ne passera pas ? En donnant au Sénat la primauté de l’examen parlementaire de son projet de loi immigration, le gouvernement espérait pouvoir compter sur le sens du consensus de la Haute assemblée. Mais huit mois, après de nombreuses tractations, et à trois jours seulement de l’ouverture des débats en séance publique, l’absence d’accord entre la majorité sénatoriale et le gouvernement menace de faire tomber ce scénario. En face, la gauche entend redoubler d’effort pour détricoter ce qu’elle dénonce comme « une loi de peur, une loi de repli sur soi ».

Les élus ont encore jusqu’au lundi 6 novembre, coup d’envoi de l’examen en séance publique, pour proposer des amendements au texte porté par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur. Ce jeudi 2 novembre, quelque 600 propositions de modification avaient déjà été enregistrées, permettant d’esquisser le plan de bataille des différents groupes politique autour d’une réforme qui risque de réactiver à plein le débat gauche-droite, et d’éprouver les limites du « en même temps » macroniste.

Trois motions, sinon rien

Les débats s’ouvriront par l’examen de trois motions, déposées par chacun des trois groupes de gauche. La première est une motion d’irrecevabilité, présentée par les communistes, qui estiment que le texte « porte gravement atteinte aux droits et libertés fondamentaux des personnes étrangères sur le territoire français ». La deuxième motion, défendue par l’écologiste Thomas Dossus, est une question préalable, dont les effets, en cas d’adoption, sont identiques à ceux d’une motion de censure : le rejet du texte. Là encore, il s’agit d’interroger la conformité du projet de loi avec les grands principes défendus par la Constitution. Enfin, une dernière motion, tendant au renvoi en commission, est portée par la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. Elle pointe du doigt certains amendements du gouvernement, non pris en compte par l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi au moment du dépôt, en mars.

Le retour de la double peine

Sans surprise, la quasi-totalité des modifications proposées par la droite vont dans le sens d’un durcissement du texte. Le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Le Rudulier entend, par exemple, donner un sérieux tour de vis au regroupement familial, qui a déjà été largement restreint durant l’examen en commission. Il s’agit notamment d’abaisser à 16 ans l’âge d’éligibilité maximal des enfants du demandeur, fixé à 18 ans actuellement. Sa collègue Valérie Boyer, ancienne filloniste, également élue dans les Bouches-du-Rhône, souhaite étendre les restrictions du droit du sol déjà mises en place à Mayotte et en Guyane au territoire métropolitain.

Mais surtout, en voulant autoriser « le juge judiciaire à prononcer une peine complémentaire d’interdiction du territoire français à l’encontre de tout étranger reconnu coupable d’une infraction, quel que soit son degré de gravité », Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, rétablit tacitement le principe de la double peine, un totem de la droite sur les questions d’immigration. En France, l’expulsion d’un étranger ayant commis un délit ou une infraction est toujours possible mais de moins en moins appliquée depuis les années 1980. Il existe également une dizaine de cas d’exception qui permettent de contourner une obligation de quitter le territoire français (OQTF), et que le Vendéen entend bien faire sauter.

Les LR souhaitent encore que l’Etat reprenne la main sur les mineurs non accompagnés, actuellement pris en charge au niveau départemental par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). La mesure est notamment portée par la sénatrice Alexandra Borchio-Fontimp, qui invoque la saturation des services dans son département des Alpes-Maritimes, en raison de la proximité avec la frontière italienne.

Aide médicale d’Etat

Le gouvernement aussi y est allé de ces retouches, avec une petite vingtaine d’amendements à ce stade. Et là encore, il s’agit de renforcer le volet répressif du texte, en augmentant la durée maximale de rétention en centre, en rallongeant la durée d’interdiction de retour qui peut accompagner une OQTF, ou encore avec la création de nouveaux motifs de retrait ou de refus des titres de séjour.

La gauche et le groupe RDSE vont revenir sur la suppression de l’Aide médicale d’Etat (AME), transformée en aide médicale d’urgence à l’issue des travaux de la commission des lois. De nombreux amendements ont également été déposés par la gauche autour de l’un des effets de bord de cette suppression : la disparition des réductions tarifaires dans les transports en commun pour les bénéficiaires de l’AME.

Les trois sénateurs RN élus en septembre ont déposé une vingtaine d’amendements. On y retrouve l’un des grands chevaux de bataille du parti co-fondé par Jean-Marie Le Pen : l’inscription dans la loi d’une « priorité nationale ». Ils veulent aussi rendre payant les visas, une mesure reprise par le sénateur Reconquête Stéphane Ravier.

La pierre d’achoppement

L’article 3, qui régularise les travailleurs sans papiers dans les métiers en tension, devrait concentrer l’essentiel des débats, dans la mesure où la droite a fait de ce dispositif une ligne rouge. C’est donc sans surprise que Bruno Retailleau a déposé un amendement de suppression. Mais la discussion devrait aussi faire ressortir les dissensions qui agitent depuis plusieurs mois la majorité sénatoriale, puisque les centristes défendent la mesure. Leur patron, le sénateur des Hauts-de-Seine Hervé Marseille, a ainsi pris soin de déposer un amendement de rétablissement dans l’hypothèse où l’article 3 viendrait à sauter. Il faudra donc s’attendre à un jeu, plus ou moins éprouvant, de renvoi de balle entre les uns et les autres.

De son côté, la gauche entend élargir le dispositif, en ne le limitant pas aux seuls métiers en tension. Une série d’amendements portés par les socialistes, les écologistes et les communistes lie l’obtention d’un titre de séjour à tout type d’activités professionnelles, pas seulement au salariat. Il s’agit d’englober dans le dispositif les saisonniers et les travailleurs des plateformes, souvent issus de l’immigration.

Par ailleurs, la gauche s’oppose à l’établissement tous les trois ans d’un quota d’étrangers admis en France, une mesure introduite en commission.

Mariages blancs et amendement « Marseillaise »

La sénatrice LR Valérie Boyer et le sénateur centriste Stéphane Demilly vont s’attaquer aux mariages de complaisance. Les deux élus ont déposé une série d’amendements similaires, visant à interdire le mariage lorsque l’un des deux époux est en situation irrégulière – ce qui va toutefois à l’encontre d’une décision du Conseil constitutionnel du 20 novembre 2003. Ils veulent permettre au maire de s’opposer à un mariage ou de saisir le procureur de la République s’il constate que l’un des deux époux se trouve sur le sol français de façon illégale. Des amendements proposent également la mise en place dans chaque mairie d’un « référent mariage frauduleux » chargé de « la détection des mariages envisagés dans un but autre que l’union matrimoniale », et qui recevra à cette fin une formation adaptée.

Enfin, de manière plus symbolique, Stéphane Le Rudulier veut instaurer une cérémonie de naturalisation au cours de laquelle les récipiendaires seront tenus « de procéder au chant d’au moins un couplet, suivi du refrain, de l’hymne national ».

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. 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