Programmation de l’énergie : avec l’accord du gouvernement, le Sénat acte une ambitieuse relance du nucléaire

Le Sénat a ouvert l’examen de sa proposition de loi sur la programmation nationale de l’énergie. Dans un compromis avec le gouvernement, la majorité sénatoriale propose d’aller vers une hausse de 27 gigawatts de la production d’électricité nucléaire. Un choix critiqué à gauche, en raison des incertitudes sur la technologie des nouveaux réacteurs et de leur financement.
Rose Amélie Becel

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Rendue obligatoire par la loi énergie-climat adoptée en 2019, la programmation de l’énergie est un texte attendu par les parlementaires depuis plus d’un an. Alors que la France, et l’Union européenne, visent la neutralité carbone d’ici 2050 et une diminution des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030, la question du choix du mix énergétique pour les années à venir est en effet centrale.

Faute de projet de loi défendu par le gouvernement sur la programmation énergétique, c’est finalement le Sénat qui prend la main en examinant sa propre proposition de loi ces 15 et 16 octobre. « L’absence de loi quinquennale sur l’énergie pose de vraies difficultés politiques et juridiques, elle instille de l’incertitude alors que la transition énergétique nécessite une stratégie claire et des moyens suffisants », a souligné le sénateur Les Républicains Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi, en ouverture des débats.

Ce 15 octobre, les sénateurs se sont ainsi penchés sur le premier volet du texte, fixant des objectifs de déploiement du nucléaire et des énergies renouvelables. Le second volet, qui sera examiné ce 16 octobre, prévoit de son côté plusieurs simplifications normatives dans le secteur de l’énergie.

« On a besoin d’énergies pilotables, décarbonées, on sait tous que le nucléaire apporte une réponse à l’urgence climatique »

Premier gros morceau de la proposition de loi, les sénateurs se sont accordés pour inscrire dans la loi d’ambitieux objectifs concernant la relance du nucléaire. « Les acteurs de la filière nous attendent. Si nous voulons qu’ils puissent réaliser des investissements, il faut un cap clair, cohérent, qui leur donne de la prévisibilité », a tenu à rappeler la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone. Ainsi, dans son article 3, le texte propose d’accroître de 27 gigawatts la production d’énergie nucléaire d’ici 2050. Une mesure qui nécessite, d’après la proposition de loi, la construction de 14 EPR2, mais aussi de 15 SMR – des petits réacteurs modulaires de faible puissance – et de 6 EPR2 supplémentaires, dans le cas où la France se lancerait dans une réindustrialisation coûteuse en énergie. Au total, ces nouveaux réacteurs devront permettre de conserver deux tiers de nucléaire dans le mix énergétique d’ici 2030 et au moins la moitié d’ici 2050, précise le texte du Sénat.

Des objectifs vivement critiqués sur les bancs de la gauche, à commencer par les écologistes, qui proposaient la suppression de cet article 3. « Dans cet hémicycle, vous avez une passion pour les EPR, mais dans la passion il y a aussi de l’irrationnalité. Parce que, si on se dit la vérité sur le nouveau nucléaire, l’EPR de Flamanville c’est 12 ans de retard et 16 milliards de surcoût », a fustigé Yannick Jadot, dénonçant un « sacrifice permanent des énergies renouvelables ». Une opposition au déploiement du nucléaire jugée « regrettable » par l’auteur du texte Daniel Gremillet : « C’est un peu réducteur de mettre en opposition une fois de plus l’ambition qu’on veut avoir en termes de nucléaire et le renouvelable. On a besoin d’énergies pilotables, décarbonées, on sait tous que le nucléaire apporte une réponse à l’urgence climatique. »

Des questions, le groupe communiste, pourtant favorable à la relance du nucléaire, en a aussi posé sur le financement de ces nouveaux réacteurs, un volet que la proposition de loi n’aborde pas. « Six EPR2, c’est 67 milliards d’euros. Aujourd’hui, EDF ne les a pas », a estimé le sénateur communiste Fabien Gay, questionnant à plusieurs reprises à la ministre de l’Energie sur les sources de financement de cette relance, sans obtenir de réponse.

« Il est important de ne pas figer prématurément la puissance totale et le nombre de réacteurs qui seront construits à l’horizon 2050 »

Du côté du gouvernement, l’examen de cette proposition de loi était d’ailleurs l’occasion pour la nouvelle ministre déléguée chargée de l’Energie, Olga Givernet, de s’exprimer pour la première fois devant les sénateurs. Un baptême du feu sur un texte attendu et emblématique, pour lequel la ministre a joué la carte du compromis. « Votre texte a le mérite premier de proposer une voie pour les générations à venir, cette voie nous la partageons sur plusieurs points », a-t-elle indiqué en ouverture des débats. Sur les quelques points de désaccord, Olga Givernet a par ailleurs affirmé avoir « retravaillé avec les rapporteurs » les amendements à la proposition de loi déposés par le gouvernement.

Dans ce contexte de compromis, plusieurs amendements du gouvernement prévoyant d’assouplir les objectifs chiffrés fixés par l’article 3 ont été adoptés, en bénéficiant d’un avis de sagesse de la commission des affaires économiques. Olga Givernet a par exemple infléchi la rédaction des objectifs sur le déploiement du nucléaire : l’objectif de « construire au moins 27 gigawatts de production nucléaire », défendu par la majorité sénatoriale, est ainsi remplacé par une volonté affichée de « tendre vers » ces 27 gigawatts supplémentaires. « Il est important de ne pas figer prématurément la puissance totale et le nombre de réacteurs qui seront construits à l’horizon 2050, afin de se préserver une latitude suffisante en matière d’innovation et de diversité des projets », a justifié la ministre.

Un assouplissement des objectifs chiffrés qui devrait satisfaire le groupe communiste, qui réclame que l’exécutif porte son propre projet de loi sur la programmation énergétique, au lieu de s’appuyer sur une initiative parlementaire pour légiférer. « Cette proposition de loi, qui était faite pour qu’on ait un débat, devient-elle un projet de loi gouvernemental ? Parce que ce n’est plus du tout la même chose », s’est ainsi interrogé Fabien Gay. Une question qui a son importance, a défendu le sénateur communiste, car l’élaboration d’un projet de loi, au contraire d’un texte venu du Parlement, s’accompagne toujours d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’Etat : « Je ne dis pas que le travail n’est pas sérieux. Mais, construire 6, 8, 14 ou 20 EPR, on ne va pas trancher ce débat en deux jours. Tout le monde le sait, même la droite sénatoriale ! »

Sur les énergies renouvelables, « un texte illégal du point de vue du droit européen », dénoncent les écologistes

Enfin, le Sénat s’est aussi accordé pour fixer des objectifs de déploiement en matière d’énergies renouvelables, qui devront contribuer à un tiers du mix énergétique d’ici 2030, selon la trajectoire envisagée par la chambre haute. L’accent a notamment été mis sur l’hydroélectricité, avec un objectif de production d’au mois 29 gigawatts d’ici à 2035. Le texte fixe aussi des objectifs de production pour la chaleur renouvelable, à hauteur de 297 térawatts, et de 60 térawatts pour le biogaz.

Là encore, la ministre a infléchi le texte du Sénat, en proposant plusieurs amendements, adoptés avec un avis de sagesse de la commission des affaires économiques, au sujet des éoliennes. Sur l’éolien en mer, d’abord, la proposition du Sénat prévoyait de prioriser des installations flottantes, au détriment des éoliennes posées, une technologie pourtant aujourd’hui mieux maîtrisée. « Afin d’atteindre l’objectif d’au moins 45 gigawatts en service en 2050 d’éolien en mer, toutes les technologies doivent être mobilisées », a souligné Olga Givernet, « il n’est pas souhaitable de prioriser l’éolien flottant, au risque de mettre en péril la trajectoire ».

De même, au sujet des éoliennes terrestres, la ministre a fait ajouter dans la proposition de loi une mention à la nécessité de poursuivre « le développement de nouvelles installations », en plus d’œuvrer au renouvellement des installations existantes. « L’atteinte des objectifs de développement des énergies renouvelables nécessitera dans tous les cas le développement de nouvelles capacités », a observé la ministre.

Si les amendements introduits par la ministre tendent à rehausser l’ambition du texte, ce n’est toutefois pas suffisant pour les sénateurs de gauche. De leur côté, les sénateurs écologistes proposaient ainsi de porter de 33 % à 44 % la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique, conformément à la directive européenne RED III, qui fixe le niveau de développement des renouvelables au niveau européen. Un amendement, sans surprise, rejeté. « Vous allez voter un texte illégal du point de vue du droit européen. On n’est même pas dans la sous transposition, on vit dans un monde à part ! », a fustigé Yannick Jadot.

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