Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Postes-clés à l’Assemblée : le RN, bredouille, dénonce un « déni de démocratie »
Par Jonathan Dupriez
Publié le
Pas un poste, le Rassemblement National n’aura rien. A l’issue des votes pour la répartition des 22 fonctions clés du Bureau de l’Assemblée nationale samedi, le parti de Jordan Bardella est sorti bredouille de l’élection de la plus haute instance exécutive du Palais Bourbon.
Le RN, qui totalise 126 députés, est pourtant le premier groupe politique représenté à l’Assemblée nationale. Selon le règlement intérieur de l’Assemblée, le Bureau doit « s’efforcer de reproduire la configuration politique » de l’hémicycle. En l’occurrence, le RN prétendait à deux vice-présidences sur 6, deux postes de secrétaires et un poste de questeur. En 1986, le Front national de Jean-Marie Le Pen avait obtenu deux secrétaires au bureau de l’Assemblée, alors qu’ils ne comptaient que 35 députés élus.
« Nos deux vice-présidents n’avaient pas fait honte à la fonction »
Le RN tablait d’autant plus sur ces postes que le parti à la flamme avait bénéficié, lors des précédentes législatives de 2022, de deux postes de vice-présidents pour Hélène Laporte, députée du Lot-et-Garonne et le député du Nord, Sébastien Chenu. « Bien sûr que ça déçoit, on avait deux vice-présidents en 2022 et ils n’avaient pas fait honte à la fonction », se désole Joshua Hochart, sénateur RN du Nord.
Une stratégie risquée
Pourtant, concernant les postes de vice-présidences, le RN a appliqué une stratégie risquée. En voulant faire œuvre de « transparence », le Rassemblement national avait acté que ses députés voteraient non seulement pour ses candidats, mais aussi pour des candidats issus de rangs adverses au premier tour du scrutin dans l’optique d’assurer disaient-ils, une « juste représentation » des partis au Perchoir. Cette stratégie a notamment permis de faire élire les deux vice-présidentes LFI de l’Assemblée, Clémence Guetté et Nadège Abomangoli. Or, les autres formations politiques, à commencer par le NFP, ne lui ont pas rendu la pareille. « C’est encore une fois un coup tactique de l’extrême droite, mais nous ne lui renverront pas l’ascenseur » avait balayé l’écologiste Benjamin Lucas auprès de nos confrères de LCP.
Le RN défend sa « cohérence » face au « choix du chaos »
Certains observateurs soupçonnaient le RN d’avoir voulu laisser ces postes stratégiques à LFI pour « bordéliser » l’Assemblée nationale, voire se victimiser en s’excluant des instances. Certains parlementaires, comme le député du groupe Droite républicaine, Ian Boucard, ont même accusé le RN d’avoir « fait le choix du chaos. » Dans les colonnes du Parisien hier, Marine Le Pen a répondu aux critiques. « Non, il n’y a aucune stratégie de notre part. Pour ceux qui connaissent le fonctionnement de l’Assemblée, il y a des principes. Et le principe du principe, c’est qu’on l’applique aussi à ses adversaires » dit-elle. Pour Marine Le Pen, il s’agit simplement de « cohérence. » « Et puisque nous sommes cohérents, nous avons voté pour deux vice-présidents RN, un vice-président LR, deux vice-présidents LFI, car ils y avaient droit. » « On n’a pas voulu appliquer aux autres, la même malhonnêteté qu’ils nous ont appliquée », cingle de son côté, Christopher Szczurek, sénateur RN du Pas-de-Calais et proche de Marine Le Pen.
« Le système s’est une nouvelle fois ligué contre nous »
Dépourvu d’un poste de vice-président, le RN n’a pas non plus réussi à trouver des alliés pour obtenir d’autres postes qu’il convoitait. A la faveur des jeux politiques entre partis « républicains », le NFP s’est imposé comme la force politique majoritaire du Bureau de l’Assemblée nationale, avec 12 représentants issus de ses rangs sur les 22 à postes à pourvoir, questeurs et autres secrétaires notamment. « Magnifique victoire du Nouveau Front Populaire » s’est exclamée sur X (anciennement Twitter), Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI au Palais Bourbon. « Avec 12 voix sur 22 au bureau de l’Assemblée nous sommes majoritaires et l’extrême droite n’aura aucune place, ni légitimité dans la représentation de notre institution. »
Le sénateur du Nord Joshua Hochart voit en cette répartition une sorte de remake du front républicain ayant barré la route au RN lors du second tour des législatives : « Le système, et ses alliances contre nature, s’est une nouvelle fois ligué contre nous, le barrage se poursuit à l’Assemblée nationale », souffle le sénateur.
Si la désignation du bureau, fruit de combinaisons politiques reste difficile à avaler au RN, le processus est parfaitement légal. Mais ici, c’est plutôt l’usage du Palais Bourbon qui semble avoir été mis à mal : « En 2022, la Macronie avait joué le jeu de l’institution pour faire respecter le pluralisme » reconnaît Christopher Sczurek. « Là, alors que tout le monde aurait pu s’entendre, ça n’a pas été le cas (…) Ils vont très vite le regretter » assure-t-il.
« L’esprit de notre démocratie n’est pas respecté »
Aux dernières législatives, le RN et ses alliés ont rassemblé 11 millions d’électeurs, mais le parti à la flamme est désormais sans représentation au Bureau de l’Assemblée nationale. « Cette situation ne correspond pas à la tradition de l’Assemblée nationale », abonde Virginie Martin, politologue à la Kedge Business School. « La gauche s’en sort très bien, LR également, Ensemble pour la République se maintient, mais le RN est à zéro. Cela signifie qu’institutionnellement, l’esprit de notre démocratie n’est pas respecté, c’est un peu contraire à ses principes. »
Reste à voir comment le RN pourra être représenté dans la future instance dirigeante de l’Assemblée nationale, sans aucun représentant issu de ses rangs. Yaël Braun-Pivet, présidente macroniste réélue, a tenté de rassurer, assurant sur France 2, que la voix du parti d’extrême droite « serait entendue » au sein de l’institution, sans toutefois préciser comment. Dans la même interview, Yaël Braun-Pivet a également assuré qu’il n’était « pas normal » que le RN ait été écarté du Bureau, regrettant notamment que « les présidents de groupe, notamment ceux du Nouveau Front populaire, aient refusé un accord pour la répartition des postes. »
Une « victoire à retardement » ?
Dans cette situation, où le RN dénonce à l’unisson un « déni de démocratie », Christopher Szczurek préfère voir la frustration comme un carburant en vue de futures échéances électorales. « On ne va pas dire que ce qu’il s’est passé à l’Assemblée nationale n’est pas grave, mais la vraie élection se jouera en 2027. » Selon le sénateur du Pas-de-Calais, le RN, passé de 88 députés à 126 (143 avec les alliés LR- Eric Ciotti) à l’issue des législatives, a déjà fait un pas de géant dans sa conquête de l’Elysée. « C’est le principe de la victoire à retardement » croit savoir le sénateur.
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