Plenary Session- Transparent And Predictable Working Conditions In The European Union

Parole d’eurodéputé : « Au Parlement européen, on est plus respecté pour notre travail que pour les envolées lyriques », raconte Emmanuel Maurel

[SERIE] Le Parlement européen raconté par ses eurodéputés. Pour mieux comprendre le travail à Bruxelles et Strasbourg, la parole à ceux qui font vivre l’institution : les eurodéputés. Avec « 27 pays et 24 langues », « on est obligé de se décentrer pour comprendre » l’autre, explique Emmanuel Maurel, candidat sur la liste PCF. Il dénonce l’adoption, en fin de mandature, « du pacte d’austérité budgétaire, voté par la droite, Renaissance et le groupe socialiste européen, mais pas les Français. C’est fou qu’on n’en parle pas ».
François Vignal

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Au fait, comment ça se passe le travail d’un parlementaire européen ? A l’occasion des élections européennes du 9 juin, publicsenat.fr donne la parole aux eurodéputés sortants. Plus qu’un bilan de la mandature qui s’achève, ils nous parlent de leurs victoires, leurs échecs ou regrets aussi, pour mieux comprendre le fonctionnement spécifique du Parlement européen. Après l’écologiste David Cormand, l’eurodéputée Renaissance Fabienne Keller, Anne Sander pour les LR, le député européen RN Thierry Mariani et Aurore Lalucq, eurodéputée Place publique, qui siège aux côtés des socialistes, la parole à Emmanuel Maurel. Celui qui a été élu avec La France insoumise en 2019 est aujourd’hui candidat sur la liste du communiste Léon Deffontaines.

Cet ancien socialiste a fondé en 2019, avec l’ex-sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, la Gauche républicaine et socialiste (GRS), fruit de la fusion d’anciens de l’aile gauche du PS avec le MRC (Mouvement républicain et citoyen), parti à l’origine chevènementiste, dirigé à l’époque par Jean-Luc Laurent, décédé en janvier. Pour les européennes, la GRS a donc fait accord avec le PCF, tout comme L’Engagement, le parti fondé par Arnaud Montebourg, « et une partie des Radicaux de gauche ».

« Tout le monde essaie de parler le globish, c’est-à-dire l’anglais international »

Un rassemblement de formations de gauche qui pèse jusqu’ici relativement peu, dans les sondages : autour de 3 %, soit moins des 5 % permettant d’avoir des élus. « Ça ne va pas être évident », reconnaît celui qui occupe la troisième place sur la liste. Mais l’eurodéputé sortant entend « continuer à se battre ».

S’il est réélu, ce serait le troisième mandat d’Emmanuel Maurel. Forcément, il commence à bien connaître le Parlement européen. « J’ai 10 ans de mandat derrière moi », dit-il. Le premier ressenti, c’est le brassage et la rencontre des langues et des cultures. « Le Parlement européen, c’est une tour de Babel. La principale chose au Parlement, c’est tous ces gens qui viennent de 27 pays différents et qui parlent 24 langues, qui arrivent avec leur culture politique nationale, qui doivent apprendre à se parler et à se comprendre », raconte Emmanuel Maurel, qui mêle sa langue natale et quelques mots d’anglais. « Même si tout le monde essaie de parler le globish, c’est-à-dire l’anglais international, je suis sensible aux traductions », explique l’eurodéputé GRS. Une gymnastique de l’esprit indispensable à Bruxelles, où toutes les langues résonnent dans l’immense hémicycle. « Je fais un point d’honneur à m’exprimer en français en commission et en plénière. Ça permet la nuance, la subtilité », soutient Emmanuel Maurel.

La culture politique de chaque pays joue, au moment d’aborder les choses. « C’est toujours très important. Quand moi, Français, je parle de services publics, mes homologues LR savent de quoi je parle. Pour ceux qui étaient dans l’ex-bloc de l’Union soviétique, ça leur fait penser à la collectivisation des moyens de production », illustre Emmanuel Maurel. Autre exemple : « Sur le rapport à la Russie, nous, on n’a jamais été envahis par la Russie, historiquement, pas comme les Baltes ou les Polonais. Il faut donc faire l’effort de compréhension de l’autre. On est obligé de se décentrer pour comprendre, même si on est obligé de défendre aussi les intérêts de notre pays. Les Allemands ne se gênent pas ».

« Je parle avec tout le monde. J’ai de très bonnes relations avec François-Xavier Bellamy »

Reconnaissant « plus d’affinité avec les Italiens, les Espagnols, les Portugais et les Grecs » qu’avec « les députés de l’Est, car il y a l’obstacle de la langue et moins d’affinité politique et culturelle », il ne fait pas d’exclusive, ou presque, côté eurodéputés français. « Je parle avec tout le monde. J’ai de très bonnes relations avec François-Xavier Bellamy (tête de liste LR, ndlr), certains Renaissance. Et ceux de gauche, je les connais la plupart. C’est vrai que j’ai moins de relations avec le RN », dit-il.

La force du RN dans ce scrutin justement, « ce n’est pas le résultat de leur travail parlementaire », glisse-t-il, « mais un mouvement de fond qui touche toute l’Europe ». « Toute la polémique sur Jordan Bardella, je la comprends. C’est un Parlement où on bosse. Si vous ne bossez pas, vous êtes très vite largué », lance Emmanuel Maurel, qui insiste : « Au Parlement européen, on travaille beaucoup, énormément. On est plus respecté pour notre travail que pour des éventuelles envolées lyriques, qui sont assez rares », souligne le candidat de la liste du Parti communiste. D’ailleurs « notre temps de parole, c’est rarement plus de 2 minutes. Le travail, c’est très en amont, dans les commissions ». De ce travail nourri naît d’ailleurs « une petite frustration : on planche sur des sujets essentiels pour la vie des Français mais on n’en parle pas assez. La critique vaut pour les dirigeants politiques et les journalistes », pointe l’eurodéputé.

« La sortie de l’Union européenne du traité de la charte de l’énergie, on l’a obtenu de haute lutte »

Membre de la commission sur le commerce international, « donc qui a traité les accords de libre-échange », Emmanuel Maurel en ressort avec « un sentiment mitigé. J’ai contribué à alerter les gens sur les dangers des traités de libre-échange, notamment pour l’agriculture, mais je n’ai pas pu empêcher l’adoption du traité avec la Nouvelle Zélande, qui permet l’importation de lait, d’agneau et de pommes d’un pays qui est à 15.000 km, ce qui est quand même une connerie », lâche l’eurodéputé GRS.

Si l’Europe est trop libérale à son goût, Emmanuel Maurel a cependant quelques satisfactions, comme « la sortie de l’Union européenne du traité de la charte de l’énergie. C’est passé sous les radars. Depuis les années 90, un Etat pouvait être attaqué par une multinationale au prétexte qu’il avait des législations écologiques. Ça, c’est fini. On l’a obtenu de haute lutte, après 10 ans de combat ».

Emmanuel Maurel évoque aussi « une satisfaction personnelle. J’ai réussi à faire voter des amendements totalement inattendus pour défendre l’exception culturelle, sur l’audiovisuel. Ça s’est joué à très peu de voix ».

« Les annonces de Bruno Le Maire sur les 10 puis 15 milliards d’euros d’économies, ça déroule de ce pacte d’austérité »

La dernière semaine d’examen en séance plénière, au Parlement, a été pour le moins riche. « On a voté la législation sur le travail forcé. On sera plus vigilant sur la prévenance des produits, s’il a été fait par des enfants ou des esclaves modernes. C’est une satisfaction », pour Emmanuel Macron.

Mais il cite aussi une des « défaites récentes, c’est l’adoption du pacte d’austérité budgétaire, voté par la droite, Renaissance et le groupe socialiste européen, mais pas les Français. C’est fou qu’on n’en parle pas. Les annonces de Bruno Le Maire sur les 10 milliards puis 15 milliards d’euros d’économies, ça découle de ce pacte ». « C’est le retour à la normale du Pacte de stabilité, mais en pire. Après le plan de relance, on revient à l’obsession des 3 % de déficit public et des 60 % de dette publique, ce qui n’a pas de sens dans une situation de forte inflation. C’est totalement dogmatique », insiste le numéro 3 de la liste communiste.

« “Je suis shadow”, ça veut dire “je vais travailler sur ce texte” »

Ces défaites ou ces victoires sont la conséquence de l’esprit de compromis, la règle qui s’impose dans les débats, à la différence bien souvent de la France. « Au Parlement français, sous la Ve République, le problème est que vous êtes soit dans l’opposition et vous pissez dans un violon, soit vous êtes dans la majorité et vous devez fermer votre gueule. Au Parlement européen, il n’y a pas de majorité, donc il y a obligation de construire une majorité texte par texte. C’est satisfaisant », souligne Emmanuel Maurel.

L’eurodéputé décrit « une autre façon de travailler. Chaque groupe a un shadow rapporteur, appelé rapporteur fictif en français. « Je suis shadow », ça veut dire « je vais travailler sur ce texte ». Pour n’importe quel texte, il y a un rapporteur de chaque groupe, et vous êtes obligés de discuter. Cela ne veut pas dire qu’on va se mettre d’accord, mais on doit discuter. C’est super intéressant comme méthode de travail, car même quand vous êtes minoritaire, vous pouvez à la faveur d’une démonstration convaincre les collègues », explique l’eurodéputé. C’était le cas « sur les clauses miroirs dans les accords de libre-échange. Ce n’était pas la position de la commission au départ. Et mon groupe et d’autres ont dit que c’était très important. Après, ce n’est pas panacée, mais c’est mieux que ce qu’il y avait avant ».

« Un député slovaque a balancé une colombe de la paix dans l’hémicycle, les Verts ont protesté en disant que c’était contraire au bien-être animal »

Le Parlement européen, ce sont aussi des moments plus légers, ou cocasse. « Il y a eu un événement lors de la dernière séance. Il y a un député slovaque qui a balancé une colombe de la paix dans l’hémicycle. Les Verts ont protesté en disant que c’était contraire au bien-être animal », raconte Emmanuel Maurel, qui se souvient aussi, toujours « lors de cette dernière session, à Strasbourg, qu’il y a eu plein de parlementaires qui ont pris la parole pour dire que c’était leur dernière intervention. Il y avait de l’émotion ».

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

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