Nucléaire : « Il n’est pas concevable d’avoir un programme nucléaire ambitieux, sans avoir en parallèle, traité le sujet du déchet », relève l’Autorité de sûreté nucléaire
Le collège de l’ASN a présenté ce jeudi matin, le bilan de l’année 2023, « marquée par de nouvelles ambitions en matière nucléaire ». S’ils ont tous fait part d’une satisfaction globale, ils pointent cependant « la présence de signaux faibles (…), observés dans un contexte général de manque de moyen, parfois financiers mais surtout humain ».
Comme chaque année, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) était invitée à présenter aux parlementaires membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), organe bicaméral composé de 18 députés et 18 sénateurs, son rapport d’activité pour l’année 2023.
Un rapport présenté dans un « contexte inédit », quelques semaines seulement après l’adoption définitive du projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, qui prévoit la création, au 1er janvier 2025, de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). Cette future autorité sera issue de la fusion entre l’ASN et l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire), et aura « une mission générale d’expertise, de recherche et de formation ». Objectif ? Maintenir « un haut niveau de compétences en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection ». A ce titre, elle sera notamment chargée d’assurer « une veille permanente en matière de radioprotection », ainsi que de contribuer à « à la surveillance radiologique de l’environnement et des personnes exposées aux rayonnements ionisants. Au regard de son objectif d’intérêt public et de transparence, elle se verra également confier les missions de concourir « aux travaux et à l’information du Parlement […] et du public ».
La fusion des deux autorités avait d’ailleurs été l’objet d’une vive controverse, un collectif de chercheurs et de parlementaires ayant signé le 30 janvier dernier, une tribune dans Libération, pour dénoncer la remise en cause de « la séparation entre décideurs et chercheurs ». La gauche s’était d’ailleurs émue de conséquences « non maîtrisées » du projet de loi, notamment au regard du futur régime juridique dont relèveraient les 500 fonctionnaires et contractuels de droit public de l’ASN et les 1 600 salariés de droit privé de l’IRSN (lire notre article).
Les nombreux projets nouveaux dans le nucléaire imposent un effort exceptionnel en matière de compétences, de conduite de projets et de rigueur industrielle qui concerne l’ensemble de la filière
Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
Des « sujets d’attention »
De manière générale, l’année 2023 qui vient de s’écouler est source d’une relative « satisfaction » pour le collège de hauts fonctionnaires. Le président de l’autorité, Bernard Doroszczuk, salue ainsi que « le nombre d’événements significatifs de niveau 1 (anomalie) et 2 (incident) sur l’échelle INES est en baisse régulière depuis 5 ans » (NDLR : 88 en 2023, 115 en 2019). La « satisfaction » est également de mise sur la stratégie de traitement de la corrosion sous contrainte, proposée par EDF, qui proposait, fin 2021, « le remplacement systématique en 2023 des tuyauteries considérées comme sensibles au phénomène sur les réacteurs susceptibles d’être les plus affectés, et le contrôle de l’ensemble des réacteurs d’ici 2025 ». Si l’ancien « mineur » (NDLR : référence à son parcours à l’école nationale supérieure des Mines), fait état d’arrêts « plus longs » des réacteurs, il remarque en revanche que ceux-ci ont été « plus maîtrisés » qu’en 2022.
Toutefois, dans la lignée du rapport présenté aux sénateurs, et dans un contexte marqué par « de nouvelles ambitions en matière nucléaire », l’ASN souhaite mettre en valeur plusieurs « sujets d’attention ». Tout d’abord, Bernard Doroszczuk estime nécessaire de « mettre en œuvre sans tarder pour atteindre dans des conditions sûres les nouveaux horizons envisagés », ainsi que de « poursuivre et renforcer les démarches d’anticipation des enjeux de long terme sur les réacteurs dans une perspective de fonctionnement au-delà de 60 ans ». Ensuite, « l’engouement suscité par les Small Modular Reactors (SMR) et les Advanced Modular Reactors (AMR) », nouveaux petits réacteurs modulaires, le président de l’ASN explique que leurs « caractéristiques intrinsèques de sûreté potentiellement prometteuses », « ne doivent pas éluder les questions techniques et sociétales qu’ils soulèvent », et notamment « l’acceptabilité de l’implantation de ces réacteurs en dehors de sites nucléaires dédiés ». Pour autant, ils n’ont « pas vocation à être en concurrence avec les réacteurs de forte puissance électrique », et ont seulement pour objectif de « répondre à des besoins de décarbonation ou des besoins limités d’électricité sur des territoires enclavés », souligne Stéphanie Guénot Bresson, commissaire de l’ASN.
De plus, le président de l’Autorité estime que « les nombreux projets nouveaux dans le nucléaire imposent un effort exceptionnel en matière de compétences, de conduite de projets et de rigueur industrielle qui concerne l’ensemble de la filière ». A cet égard, il regrette que « malgré des progrès constatés en matière de maîtrise technique et de pilotage des activités, les contrôles de la chaîne d’approvisionnement des matériels destinés aux installations nucléaires réalisés par l’ASN mettent encore en évidence des faiblesses récurrentes dans la rigueur industrielle ». Non moins négligeable, il souligne que « la lutte contre les falsifications et les contrefaçons à tous les niveaux de la chaîne de sous-traitance doit rester un point majeur de vigilance pour toute la filière ».
De nouvelles augmentations d’effectifs et de budget seront encore nécessaires
Olivier Gupta, directeur général de l'ASN
« Maintenir un haut niveau de contrôle »
Ces sujets d’attention décrits par Bernard Doroszczuk, incitent l’Autorité à « maintenir un haut niveau de contrôle », notamment vis-à-vis des « enjeux de qualité de réalisation », comme l’explique Olivier Gupta, directeur général de l’ASN. « Malgré les incertitudes du projet de loi, nos équipes sont entièrement mobilisées sur la protection des personnes et de l’environnement », détaille le dirigeant, qui explique que « près de 1800 inspections » ont été menées, « moyen de rester en contact étroit avec la réalité des installations et les enjeux concrets de sûreté nucléaire et de radioprotection ». A cet égard, « plus de 50 d’entre elles » concernent « le contrôle sur la chaîne d’approvisionnement des matériels et sur les fournisseurs des installations nucléaires », phénomène à amplifier.
De fait, maintenir une telle exigence suppose de disposer des moyens techniques et humains pour y parvenir : « Pour faire face à cette charge de travail, l’ASN a obtenu l’autorisation d’augmenter ses effectifs de 12 personnes pour 2024, et compte également sur les redéploiements internes qui seront rendus possibles par la fin de la construction de l’EPR de Flamanville ». Toutefois, dans les années à venir, le directeur général peine à croire que ces renforts seront suffisants, estimant que « de nouvelles augmentations d’effectifs et de budget seront encore nécessaires ». Saluant l’organisation du travail au sein de l’ASN, Olivier Gupta souhaite rendre hommage à une « véritable conscience des personnels à l’égard de leurs responsabilités », ainsi qu’un « engagement à remplir jusqu’au bout leur mission ». Une pénurie de personnels qui n’est pas sans conséquence selon Géraldine Pina, membre du collège exécutif de l’ASN : « Suractivité », « déséquilibre de la charge de travail », « glissement potentiel des tâches d’une profession à l’autre », « situations conflictuelles internes », autant de phénomènes « en augmentation ».
À l’heure actuelle, 90 % des déchets en volume disposent d’une filière de gestion mais ne représentent que 10 % de la radioactivité contenue. Autrement dit, les déchets les plus radioactifs n’ont pas de solution finale exutoire, et sont donc entreposés
Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN)
L’épineuse question des déchets nucléaires
Si de nombreuses questions de parlementaires se sont focalisées sur des points relativement techniques sur la mise en exploitation des futures centrales, l’une d’entre elles a été l’occasion pour le président de l’ASN, de tirer la sonnette d’alarme : celle des déchets nucléaires. Une problématique « au cœur des préoccupations du public », explique par ailleurs le rapport. « À l’heure actuelle, 90 % des déchets en volume disposent d’une filière de gestion mais ne représentent que 10 % de la radioactivité contenue. Autrement dit, les déchets les plus radioactifs n’ont pas de solution finale exutoire, et sont donc entreposés », alerte-t-il, ajoutant que « dans l’attente de filières de gestion dédiées, cela impose des moyens d’entreposage sûrs pendant des périodes significatives ».
Ainsi, il juge « absolument nécessaire » que de telles filières soient « toutes disponibles au plus tôt ». « Il n’est pas concevable d’avoir un programme nucléaire ambitieux, sans avoir en parallèle, traité le sujet du déchet et eu des perspectives réelles de stockage final de tous les types de déchets, […] sinon, nous n’aurons pas de crédibilité », prévient-il. Une gestion des déchets dont Olivier Gupta salue « la communauté internationale qui s’est créée ». « Cette activité internationale intense a permis d’approfondir des sujets d’intérêt commun pour les autorités de sûreté tels que la poursuite du fonctionnement de réacteurs au-delà des durées envisagées à leur conception, ou encore la gestion des déchets radioactifs », précise ainsi le rapport.
Il est nécessaire que l’analyse des risques soit réévaluée, et que les rôles et responsabilités de chacun dans ces organisations soient clairement établies
Géraldine Pina, commissaire de l’ASN
Développer la « culture de la radioprotection »
Last but not least, une partie de l’audition s’est consacrée au niveau de protection vis-à-vis de la radioactivité. En dépit d’un degré qualifié là aussi de « satisfaisant », et ce « malgré la crise Covid et les tensions sur les moyens et personnels », Géraldine Pina, commissaire de l’ASN, souligne une « réalité plus contrastée », avec d’une part, « des fragilités connues et qui persistent », et d’autre part, « l’apparition de signes nouveaux et parfois un peu inquiétants dans le maintien de radioprotection ».
Sur le premier point, la haute fonctionnaire souligne que la « culture de radioprotection peine à suivre les évolutions dans les pratiques interventionnelles radioguidées, en particulier au bloc opératoire ». Dans la même lignée, elle souligne la « lenteur dans la mise en conformité » et le « manque de formation des professionnels ». Face à ces vulnérabilités, Géraldine Pina explique que l’Autorité a été conduite à « engager une démarche de coercition devant de tels écarts qui se maintenaient malgré l’engagement de professionnels à y remédier ».
Sur le deuxième élément soulevé, elle alerte sur le fait qu’ « une culture de radioprotection, si on ne la fait pas vivre, elle risque de s’amoindrir, avec un risque d’oublier les erreurs du passé et de les répéter ». A ce titre, elle déplore « un nombre inédit d’erreurs de cibles déclarées » en radiothérapie, sur l’année 2023, d’où l’importance du retour d’expérience, aussi bien sur « le plan local [que] national ». De fait, elle juge « nécessaire que l’analyse des risques soit réévaluée, et que les rôles et responsabilités de chacun dans ces organisations soient clairement établis », sans quoi il y aura « une dilution possible des responsabilités et une moindre appropriation des enjeux de radioprotection ».
Alors que l’ASN vient tout juste d’annoncer la fin du chargement du combustible dans l’EPR de Flamanville, nul doute que ces enjeux de radioprotection seront au cœur de la stratégie de la future ANSR, qui entrera en fonction le 1er janvier 2025.
Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’Etat, l’ancien ministre du Logement est revenu sur l’action publique et le rôle des agences de l’Etat. Il pointe la transformation « d’agences de production », en agences de « contrôle ».
Auditionnés au Sénat, les anciens ministres Roland Lescure et Agnès Firmin Le Bodo ont livré leur analyse du scandale des eaux en bouteille. Tous deux plaident pour une clarification des normes qui encadrent le secteur des eaux minérales naturelles, au niveau européen.
La réforme de l’audiovisuel public arrive en discussion à l’Assemblée nationale. Déposé par le sénateur centriste Laurent Lafon et voté au Sénat, le texte porté par Rachida Dati cristallise les tensions. Les syndicats ont annoncé une grève des salariés jusqu’à mardi.
Les présidents des ligues professionnelles de sport ont annoncé leur désaccord commun sur certains dispositifs de la proposition de loi « Organisation, gestion et financement du sport professionnel ». Interrogés, les auteurs du texte souhaitent « redonner le pouvoir » aux fédérations sportives, notamment dans le football.
Le projet de réorganisation de la sûreté nucléaire a fait son retour, cette fois dans un projet de loi sorti ce 20 décembre du Conseil des ministres. Il sera d’abord examiné au Sénat, à partir du mois de février. Controversé, le texte suscite des craintes de la part des experts de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire appelé à se fondre l’Autorité de sûreté nucléaire.
Les sénateurs ont approuvé, après une série de modifications, ce 13 février la fusion entre l'ASN, gendarme du nucléaire, et l'IRSN, expert du secteur. Le projet de loi doit encore être examiné par les députés.