« A69 : On finit ! » Il y a une semaine, plusieurs milliers de manifestants se rassemblaient à Castres avec ce mot d’ordre, pour défendre le projet d’autoroute qui doit relier la ville du Tarn à Toulouse. Ce 14 mars, ce sont quatre des cinq parlementaires du département qui se mobilisent à leur tour pour demander une reprise des travaux, en déposant une proposition de loi identique à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Pour le moment, le chantier est à l’arrêt depuis la décision du tribunal administratif de Toulouse, le 27 février dernier, d’annuler l’autorisation environnementale délivrée au projet d’autoroute. Le texte déposé par les parlementaires, une proposition de loi dite « de validation », doit permettre de contourner cette décision de justice en validant l’autorisation environnementale de manière rétroactive. « Nous reprenons la main », a affirmé le député macroniste Jean Terlier, en dévoilant le contenu du texte sur Twitter.
« On souhaite recadrer les choses »
« L’idée n’est pas de changer la loi, notre texte ne modifie rien pour les autres projets. On souhaite recadrer les choses après la décision du tribunal administratif, en faisant reconnaître l’intérêt public majeur de cette autoroute », explique le sénateur centriste Philippe Folliot, co-auteur du texte à la chambre haute avec sa collègue du même groupe Marie-Lise Housseau.
Cette « raison impérative d’intérêt public majeur » avait déjà été invoquée par les préfectures du Tarn et de la Haute-Garonne pour délivrer l’autorisation environnementale à l’A69. L’autoroute permettrait en effet de désenclaver le territoire de Castres, en rendant Toulouse accessible aux automobilistes en 20 minutes de moins qu’aujourd’hui. Une justification retoquée par le tribunal administratif, qui a jugé que la zone n’était pas enclavée, mais aussi que le coût élevé du péage de l’A69 ne rendrait pas la route suffisamment attractive pour les usagers.
Des arguments que Philippe Folliot n’entend pas. « Castres-Mazamet est la seule agglomération de 100 000 habitants au niveau national à ne disposer ni d’autoroute, ni de gare TGV, ni d’aéroport international. C’est un bassin qui a perdu de la population et des emplois », expliquait le sénateur auprès de Public Sénat, le jour de la décision du tribunal administratif.
« Il n’y a pas de blocage constitutionnel apparent »
Pour les défenseurs du projet, l’arrêt du chantier aura aussi d’importantes conséquences économiques. Au-delà des près de 1 000 ouvriers qui se retrouvent aujourd’hui au chômage technique, le concessionnaire a déjà investi 300 millions d’euros dans le projet et pourrait demander des dédommagements à l’Etat, qui devra aussi financer la restauration des espaces naturels détruits.
Toutes ces raisons suffiront-elles à rendre la proposition de loi « de validation » acceptable ? Si le texte est adopté au Parlement, le Conseil constitutionnel ne se contentera pas d’arguments économiques pour le déclarer conforme. « Le Conseil constitutionnel pose cinq conditions aux lois de validation. La proposition de loi remplit au moins quatre d’entre elles », explique la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina.
Pour ce qui est du cinquième critère, les choses se corsent. Pour les Sages, les lois « de validation » doivent remplir un « but d’intérêt général suffisant », qui « ne saurait se réduire à un enjeu financier limité ». « C’est un point sensible, parce qu’ici la proposition de loi de validation concerne seulement le cas très précis et particulier de l’A69 », estime Anne-Charlène Bezzina. Toutefois, pour la constitutionnaliste, si la justification des parlementaires sur l’intérêt général de l’autoroute satisfait le Conseil, « il n’y a pas de blocage constitutionnel apparent » à la validation de la proposition de loi.
« C’est une atteinte claire à l’Etat de droit, notamment à la séparation des pouvoirs »
Pour Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement, le texte pourrait au contraire être censuré, car il porte atteinte à la séparation des pouvoirs. « C’est une atteinte claire à l’Etat de droit, notamment à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen sur la séparation des pouvoirs. Dans un Etat de droit, si l’Etat est en désaccord avec une décision du tribunal administratif, il fait appel. Là, les parlementaires cherchent à contourner une décision du tribunal », estime-t-il.
« Les lois de validation sont intrinsèquement très délicates, car elles invalident les effets passés d’une décision de justice. On pourrait dire que c’est la seule forme d’atteinte à la séparation des pouvoirs qui peut être tolérée par le Conseil constitutionnel », affirme de son côté Anne-Charlène Bezzina.
Les deux juristes s’accordent tout de même sur un point : les lois « de validation » n’ont jamais été utilisées dans le cadre d’une affaire aussi sensible. « On fait habituellement recours à une loi de validation pour corriger de petits vices de procédure dans une décision administrative », explique Arnaud Gossement. « La plupart du temps, ces textes sont utilisés en matière fiscale, pas dans le cadre d’un projet d’ampleur et aussi inflammable », ajoute Anne-Charlène Bezzina.
Le gouvernement prendra « ses responsabilités » pour inscrire le texte à l’ordre du jour
Si cette loi « de validation » passe le premier filtre du Conseil constitutionnel, elle pourrait tout de même ne pas s’appliquer. Ce sera à la Cour administrative d’appel de Toulouse, saisie par l’Etat qui conteste l’annulation de l’autorisation environnementale de l’A69, de statuer. « Les juges peuvent s’appuyer sur la Convention européenne des droits de l’homme pour refuser d’appliquer la loi de validation », explique Anne-Charlène Bezzina.
Celle-ci consacre, en effet, le « droit à un procès équitable ». Un droit qui serait bafoué par la proposition de loi, estime Arnaud Gossement : « Si elle est validée par le Parlement, l’autorisation environnementale ne sera plus attaquable. Cette loi de validation prive donc les opposants d’une possibilité de recours, un droit consacré par la Convention européenne des droits de l’homme. »
Avant de s’appliquer, la proposition de loi des parlementaires devra donc suivre un parcours semé d’embûches. Sur ce chemin périlleux, ils pourront tout de même compter sur le soutien du gouvernement. Ce 13 mars, le ministre chargé des Relations avec le Parlement a déjà fait savoir que l’exécutif prendra « ses responsabilités », pour inscrire le texte le plus rapidement possible à l’ordre du jour des deux assemblées. De son côté, le ministre des Transports Philippe Tabarot, qui doit se rendre sur place dans les prochaines semaines, estime l’arrêt du chantier « ubuesque ».