Narcotrafic : le Sénat redoute un détricotage par les députés de sa proposition de loi
L’examen à l’Assemblée nationale de la proposition de loi du Sénat visant à renforcer la lutte contre le narcotrafic s’annonce mouvementée dans un contexte de forte fracturation politique. Bien loin du consensus qui a permis l’adoption de ce texte par l’ensemble des groupes politiques à la Chambre haute. Les sénateurs attendent avec inquiétude l’ouverture des débats, après une première série de suppressions de dispositions en commission.
Avis de tempête sur le texte narcotrafic. Votée – fait rare – à l’unanimité au Sénat début février, la proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic » arrive à l’Assemblée nationale ce lundi 17 mars, dans une ambiance électrique. Ce texte fleuve – 24 articles dans la version qui sera débattue dans l’hémicycle du Palais Bourbon – promet des débats animés aux députés, bien loin du consensus qui s’était dégagé du côté de la Chambre haute autour de cette initiative portée par un sénateur de droite, Étienne Blanc (LR), et un socialiste, Jérôme Durain. Les mesures proposées étaient elles-mêmes issues des travaux de la commission d’enquête parlementaire sur l’impact du trafic de drogue en France.
Ce changement de ton s’explique par la fracturation politique du côté de l’Assemblée nationale, mais aussi la volonté de l’exécutif de muscler encore un peu plus ce texte. L’introduction de deux amendements défendus par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, créant un nouveau régime carcéral d’isolement pour les narcotrafiquants, a nettement refroidi la gauche. La France insoumise a déjà fait savoir qu’elle voterait contre la proposition de loi. Si le texte doit néanmoins trouver une majorité, grâce aux voix des macronistes, de la droite et du Rassemblement national, il pourrait ressortir de l’Assemblée « totalement détricoté ». C’est du moins la crainte qu’expriment les deux coauteurs.
« Ce qui est assez frappant, c’est que l’on n’a pas l’air de faire le même métier de parlementaire », épingle Jérôme Durain auprès de Public Sénat. « Ici, au Sénat, nous avons fait un véritable travail transpartisan, nous avons eu à cœur de dépasser nos options politiques pour proposer des solutions novatrices face à un problème d’envergure. Mais l’Assemblée nationale a décidé de repartir sur une logique partisane, qui opposerait une gauche libertaire et une droite liberticide. Ce n’est pas avec ce type de navette parlementaire que l’on enrichit le travail législatif », soupire ce socialiste, qui rappelle que le Sénat a passé plusieurs mois sur le sujet quand les députés « n’ont eu que quinze jours ».
Un texte trop attentatoire aux libertés ?
La proposition de loi, telle qu’adoptée par le Sénat, ouvre notamment la voie à la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) et à la refonte du statut de repenti. Mais d’autres dispositions clefs ont déjà été effacées du texte par les députés lors de l’examen en commission, car jugées trop attentatoires aux libertés publiques. « J’ai suivi avec intérêt leurs travaux, et je ne vous cache pas une certaine inquiétude sur le devenir de ce texte », reconnaît le sénateur Etienne Blanc. « Désormais, je compte sur un bloc LR et centriste puissant, ainsi que la pédagogie de leurs élus, pour parvenir à faire bouger les lignes en séance ».
Parmi les mesures supprimées : « L’injonction pour richesse inexpliquée », qui a été jugée contradictoire par le rapporteur LR de l’Assemblée nationale avec la présomption d’innocence. « Aujourd’hui, si vous voulez vous intéresser à un type qui roule en Ferrari sans avoir de revenus déclarés, vous ne pouvez le faire que s’il est déjà inculpé pour une autre infraction », plaide Jérôme Durain.
La commission a également fait sauter le « dossier-coffre », une mesure qui permet de rendre inaccessibles aux avocats certains éléments de l’enquête. L’objectif : empêcher que des techniques d’investigation spécifiques ne soient connues des narcotrafiquants, ce qui pourrait leur donner une longueur d’avance sur les forces de l’ordre. Sur ce point, les commissaires aux lois de l’Assemblée ont invoqué un recul des droits de la défense.
Avec ce type de texte, la limite entre mise à mal des narcotrafiquants et respect du droit est parfois ténue
Guy Benarroche, sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône
L’obligation faite aux messageries cryptées d’autoriser la consultation des conversations par les services de renseignement a également été supprimée. Cette mesure, qui avait été introduite par un amendement du sénateur LR Cédric Perrin, le président de la commission de la défense et des affaires étrangères, est l’une des rares à avoir déclenché une levée de boucliers sur les bancs de la gauche sénatoriale. « Il ne faut pas croire que nous étions en accord avec la totalité du texte. Nous l’avons voté parce que nous avons estimé qu’il allait dans le bon sens car, pour une fois, on s’attaquait au haut du spectre, pas aux petits dealers et aux consommateurs, c’est un vrai changement de paradigme », rappelle le sénateur écologiste Guy Benarroche, l’un des orateurs de son groupe sur cette proposition de loi.
« Nous n’avons jamais caché nos réserves sur certains dispositifs, notamment sur l’accès aux messageries cryptées ou encore la possibilité de déclencher des écoutes à distance », poursuit l’élu. « Il est certain qu’avec ce type de texte, la limite entre mise à mal des narcotrafiquants et respect du droit est parfois ténue. C’est une vraie ligne de crête. »
« Aujourd’hui, ceux qui s’attaquent à cette mesure sont les mêmes qui vont nous dire, dans deux ans au moment de la présidentielle, que sur les questions de sécurité il faut être plus royaliste que le roi », s’agace Cédric Perrin. « Ce que le Sénat propose est extrêmement encadré. Bien sûr, il n’est pas question de faire ce que l’on veut ou d’écouter les conversations de Monsieur tout-le-monde. Le problème, c’est que ce dispositif fait l’objet d’un lobbying extraordinaire de la part des entreprises du numérique », dénonce-t-il.
Le tour de vis de Gérald Darmanin
Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, a déjà fait savoir l’intention du gouvernement de réintroduire en séance ces différentes mesures. Tandis que son collègue Gérald Darmanin a déjà obtenu de la commission un durcissement de la réponse carcérale avec l’adoption de deux amendements sur le régime d’isolement des détenus les plus dangereux. Ils prévoient de systématiser les fouilles intégrales, l’installation d’une séparation physique au parloir, l’impossibilité de bénéficier des unités de vie familiale et la limitation des plages horaires destinées aux appels téléphoniques. Il est également question d’élargir le recours à la visioconférence pour limiter les transferts judiciaires et ainsi limiter le risque d’évasion.
Ces ajouts ne devraient pas manquer de soulever de nombreuses interrogations. Le garde des Sceaux rappelle que le Conseil d’Etat, déjà consulté, a donné son feu vert, exprimant seulement des réserves sur la durée d’affectation d’un détenu à un tel régime d’incarcération. Celle-ci devrait être réduite en séance avec un nouvel amendement.
On ne peut pas continuer à se battre avec des pistolets à billes contre des gens qui utilisent des lance-roquettes
Cédric Pérrin, sénateur LR du Territoire de Belfort
La gauche sénatoriale, qui n’a pas eu le loisir d’étudier ces dispositions lors de l’examen du texte au Palais du Luxembourg, se veut prudente. « Le travail des parlementaires va être d’apprécier la proportionnalité d’un tel dispositif au regard de son utilité », explique Jérôme Durain. « La capacité qu’ont les narcotrafiquants de communiquer avec l’extérieur est un vrai problème. Est-ce que renforcer les conditions d’isolement est suffisant pour y remédier ? Je ne le crois pas. Les avoirs qu’ils utilisent, par exemple pour commanditer des règlements de comptes, devraient aussi être ciblés », ajoute-t-il. « On se retrouve devant des mesures dont il faudra être certain, si elles sont adoptées, qu’elles ne sont pas utilisées en dehors d’un cadre très spécifique », insiste Guy Benarroche.
Plus direct, le LR Cédric Perrin estime que « toutes les mesures qui permettent de lutter contre le narcotrafic sont bonnes à prendre ». « Il faut savoir contre qui on se bat », martèle le sénateur. « On ne peut pas continuer à se battre avec des pistolets à billes contre des gens qui utilisent des lance-roquettes. »
Par deux propositions de loi, la droite sénatoriale propose d’allonger la durée maximale de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière, ainsi que de conditionner le versement de certaines prestations sociales à deux ans de résidence sur le territoire. Une mesure déjà censurée à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel.
Deux sénateurs et deux députés du Tarn déposent une proposition de loi, pour passer outre la décision du tribunal administratif qui a suspendu le chantier de l’A69. Un texte essentiel pour les parlementaires, mais qui laisse plusieurs juristes perplexes.
Invités de Parlement Hebdo, le sénateur communiste Ian Brossat et la députée EPR Constance Le Grip ont livré leurs différences de points de vue sur l’augmentation du budget de la défense. Les parlementaires ont également rappelé leurs divergences sur la proposition de résolution adoptée à l’Assemblée nationale proposant d’utiliser les avoirs russes gelés.
Le Sénat a terminé l’examen de la proposition de loi visant à assouplir le « zéro artificialisation nette ». Après avoir supprimé l’objectif de réduire de 50 % l’artificialisation des sols d’ici 2031, la majorité sénatoriale a créé de nouvelles exceptions au dispositif. Une mesure désapprouvée par les écologistes, mais aussi par le gouvernement.