Narcotrafic : clash entre Eric Dupond-Moretti et le sénateur Etienne Blanc qui l’accuse de « subornation de témoin »

Les questions d’actualité au gouvernement ont été le cadre d’une joute oratoire entre le ministre de la Justice et le sénateur LR Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic. Alors qu’Eric Dupond-Moretti a recadré des magistrats marseillais pour leurs propos tenus devant la commission, le sénateur lui reproche d’avoir « voulu instrumentaliser des témoins ».
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C’est un recadrage qui ne passe pas. Dans le cadre de l’opération anti-drogue à Marseille, baptisée « place nette XXL », aux côtés d’Emmanuel Macron, le 19 mars dernier, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, s’est lancé dans une explication de texte avec les magistrats locaux. Le ministre leur a dit tout le mal qu’il pensait des propos tenus devant la commission d’enquête du Sénat sur le narcotrafic, début mars. Les magistrats avaient alors décrit une « narco-ville ». « Je crains que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille », avait notamment affirmé la vice‑présidente du tribunal judiciaire de Marseille, Isabelle Couderc.

Le sujet s’est invité aux questions d’actualité au gouvernement du Sénat, ce mercredi. Le sénateur LR Etienne Blanc, rapporteur de la commission d’enquête, a interpellé le ministre de la Justice, enchaînant les questions. « Pouvez-vous confirmer que mardi dernier, à Marseille, vous avez convoqué des magistrats du siège et du parquet, que nous avions entendus dans le cadre de la commission d’enquête sur le narcotrafic, placé sous la présidence de Jérôme Durain ? Pouvez-vous confirmer que vous leur avez reproché d’avoir tenu les propos suivants : « A Marseille, nous sommes en train de perdre la guerre contre le narcotrafic ». Pouvez-vous confirmer que vous leur avez reproché, en tenant ces propos, d’avoir fait prospérer le RN ? » lui a demandé le sénateur LR du Rhône.

« Je ne retire rien des propos que j’ai tenus », affirme Eric Dupond-Moretti

Une interpellation qui a irrité quelque peu le garde des Sceaux. « Vous avez dit que j’aurais violé la séparation des pouvoirs alors que je dois être prochainement entendu par votre commission. Vous avez un sens du contradictoire particulier. Et je vous rappelle que cette réunion entre les magistrats marseillais et moi-même était à huis clos. Et sauf erreur de ma part, vous n’étiez pas présent. On vous a rapporté des propos », a commencé Eric Dupond-Moretti. Il confirme s’être étonné « des propos » des magistrats « qui consistent à jeter la suspicion sur les policiers, agents pénitentiaires, greffiers, cabinets d’instruction, avocats… ». « S’agissant des greffiers et des juges d’instruction, il n’y a aucune procédure. Et j’ai dit au magistrat qui avait tenu ces propos, qu’il avait bien de la chance que les greffiers ne se soient pas mis en grève », souligne le ministre. Quant aux avocats, « j’ai indiqué à la magistrate qui avait tenu ces propos, que si elle avait quelque chose à reprocher à un avocat, il lui suffisait de saisir le procureur de la République pour qu’il transmette à l’ordre des avocats.

« Les magistrats sont libres, et j’ai d’ailleurs rappelé à mes homologues qu’ils étaient libres de de leur parole », a souligné Eric Dupond-Moretti, « mais le ministre l’est aussi dans son expression. Parce que j’ai la charge du bon fonctionnement du service public de la justice, je ne retire rien des propos que j’ai tenus ». Et d’ajouter :

 Certains sont allés dire dès le lendemain que c’était une véritable boucherie. Je ne suis ni boucher, ni charcutier. J’ai tenu des propos qu’un garde des Sceaux responsable peut tenir. 

Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice.

« Oui, j’ai dit que lorsqu’on exprimait l’idée qu’une guerre était perdue, on la perdait. Oui, c’est une réalité. Je l’assume totalement », a conclu le ministre de la Justice.

« Je vous apostrophe et vous êtes là pour répondre »

Pour sa réplique, le sénateur Etienne Blanc a alors attaqué fortement le ministre. « Quand le gouvernement convoque des magistrats du siège, il viole délibérément le principe de séparation des pouvoirs », a lancé le rapporteur de la commission d’enquête. « Quand le garde des Sceaux convoque des témoins, que nous avons entendus dans le cadre d’une commission d’enquête sous serment, et que vous leur demandez quoi ? De se désister ? De se parjurer ? Mais Monsieur le garde des Sceaux, cela s’appelle de la subornation de témoin, car la commission est encore en cours d’enquête », a accusé Etienne Blanc.

« Les magistrats nous ont dit qu’à Marseille, ils étaient dans des difficultés énormes », ajoute Etienne Blanc, avant que le ton ne monte encore d’un cran. « Ça vous déplaît… Mais je vous apostrophe, et vous êtes là pour répondre. Je suis désolé de vous le rappeler, comme vous serez là pour répondre à la commission d’enquête. Oui, dans les prisons qui sont les vôtres, dont vous avez la responsabilité, les délinquants poursuivent le trafic, ils peuvent même commanditer des crimes. Voilà, ce qui inquiète les Français et voilà pourquoi le Sénat a lancé cette commission d’enquête qui vous déplaît profondément. Vous avez voulu instrumentaliser des témoins, alors que la commission d’enquête est en cours. Le Sénat fera son travail jusqu’au bout pour prévenir les Français de ce phénomène de narcotrafic qui vous dépasse et qui dépassent le gouvernement », tance Etienne Blanc. Une bonne mise en jambes avant l’audition d’Eric Dupond-Moretti par la commission d’enquête, le 9 avril prochain…

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. 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Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

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