Mobilisations sociales : le Sénat retoque la proposition communiste d’amnistie des manifestants

Les sénateurs ont rejeté à une très large majorité ce mardi une proposition de loi des communistes, visant à amnistier les personnes condamnées pour certains délits commis à l’occasion d’une manifestation ou d’un mouvement de grève. Les modalités d’application du texte ont été jugées trop floues, et susceptibles de couvrir des faits graves commis sans lien direct avec un contexte social.
Romain David

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Le Sénat a retoqué ce mardi 31 octobre, en début d’après-midi, la proposition d’amnistie sociale défendue par les communistes. Les discussions autour de ce texte n’auront duré qu’une heure et demie, avant de se solder par un rejet massif : 246 voix contre et seulement 34 pour. Outre les communistes, le texte a été soutenu par les écologistes, tandis que les socialistes ont préféré opter pour une « abstention bienveillante ». Cette issue était attendue dans la mesure où la Chambre haute, dominée par une majorité de droite et du centre, avait déjà rejeté la semaine dernière la proposition de loi lors de son examen en commission.

Ce texte entendait amnistier les personnes condamnées ces dernières années pour « des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives ». Cette initiative trouve son origine dans les poursuites judiciaires engagées au cours des derniers mois contre un certain nombre de syndicalistes ou de manifestants. L’exposé des motifs évoque notamment le cas de Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale des Mines et de l’Energie de la CGT, l’une des figures de l’opposition à la réforme des retraites. La convocation par la gendarmerie en septembre dernier de ce syndicaliste, dans le cadre d’une enquête sur les coupures d’électricité en marge de la mobilisation, a été dénoncée par les partenaires sociaux comme une forme de « répression syndicale ».

« Les citoyens qui défendent leur retraite, leur outil de travail, leur niveau de vie, leur école ou leur hôpital ne sont ni des criminels ni des délinquants », indique l’exposé des motifs, selon lequel un millier de militants seraient « aujourd’hui sous la menace de licenciements, de sanctions disciplinaires, de convocations ou de poursuites judiciaires ».

Effacement des condamnations

« Jamais autant de syndicalistes n’ont subi des menaces à l’emploi, des intimidations », assure auprès de Public Sénat la sénatrice communiste du Pas-de-Calais Cathy Apourceau-Poly. « Les procédures discriminatoires, en réponse à des pratiques syndicales, aussi bien dans le public que dans le privé, ne sont pas un phénomène isolé », assure l’élue.

Dans le détail, le texte efface les condamnations prononcées pour des délits passibles de moins de dix ans de prison, commis dans le cadre de manifestations, ou de mouvement syndicaux ou associatifs « relatifs aux problèmes liés à l’éducation, au logement, à la santé, à l’environnement et aux droits des migrants ». Il met fin aux poursuites judiciaires et ordonne la suppression dans les fichiers de police de toute information relative aux faits amnistiés. Avec une exception notable pour les délits de violence commis à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique, contre un mineur de moins de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable.

Un texte trop large

Le rapporteur centriste Jean-Michel Arnaud a toutefois estimé que le champ d’application de cette amnistie était « très étendu au point d’être insaisissable, voire de poser des difficultés d’interprétation. » À la tribune, il a rappelé que la plupart des lois d’amnistie se cantonnent à une période et à une aire géographique donnée, comme celle du 10 janvier 1990 sur les violences survenues en Nouvelle-Calédonie avant le 20 août 1988. Il a également pointé la « faible » tolérance de l’opinion face aux infractions laissées impunies, et relevé que la pratique des lois d’amnisties, traditionnellement présentées après chaque élection présidentielle, était tombée en désuétude depuis 2007.

Le garde Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a également ciblé les effets de bord du texte, susceptible selon lui de profiter à des justiciables condamnés à plusieurs années de prison pour des faits particulièrement graves, ou qui auraient agi sans lien direct avec une revendication sociale. « Il n’est pas souhaitable que des personnes ayant commis des délits passibles jusqu’à dix ans d’emprisonnement soient amnistiées. Le gouvernement ne souhaite pas que l’on puisse offrir une impunité aux pilleurs, aux casseurs, aux vandales, qui ne recherchent aucune réconciliation mais qui, bien au contraire, se repaissent en permanence du désordre », a-t-il martelé.

Accrochage entre Éric Dupond-Moretti et les communistes

« Cette proposition de loi ne prévoit aucune exception pour des infractions en lien avec des motifs sexistes, homophobes ou antisémites. Votre proposition de loi permettrait d’amnistier des auteurs de cris tels que ‘mort aux juifs’ lors de certaines manifestations qui peuvent dégénérer », a encore accusé le ministre de la justice. De quoi déclencher une bronca sur les bancs communistes où il a été accusé de « dévoyer » le texte présenté.

La présidente du groupe, Cécile Cukierman, a aussitôt demandé un rappel au règlement pour pouvoir lui répondre. « Il y a deux écueils que nous ne pouvons accepter, le premier c’est un amalgame dans vos propos qui, in fine, visent à mettre sur le même plan des responsables syndicalistes avec celles et ceux qui ont cassé, qui ont pillé pendant les manifestations et les émeutes. Il y en a un deuxième qui est insupportable, c’est de laisser sous-entendre qu’avec cette proposition de loi nous serions ceux qui, demain, permettraient les propos antisémites dans notre pays. Vous le savez, ce n’est ni notre histoire, ni nos valeurs ! », a tonné l’élue de la Loire.

« Il ne s’agit pas pour nous de ne pas sanctionner les casseurs ou les black blocs. Ils se sont aussi attaqués durement aux syndicalistes dans les manifestations », a également voulu recadrer Cathy Apourceau-Poly depuis la tribune.

« Toutes les formes de militantisme sont contraintes par un certain nombre de dispositions législatives »

Bien conscients des très faibles chances d’adoption du texte, les communistes ont aussi voulu utiliser cette discussion parlementaire comme une tribune pour alerter sur ce qu’ils considèrent comme un recul des libertés. « L’objectif est de montrer combien les syndicats sont mis à l’index et combien on tente de les priver de leur droit d’intervention. Il est déjà suffisamment difficile de représenter les salariés sans en plus devoir payer pour cela », nous expliquait la sénatrice Cathy Apourceau-Poly, jointe quelques minutes avant le début de la séance.

Durant les débats, le sénateur écologiste Thomas Dossus a dénoncé un « contexte particulier de contraction des libertés publiques, au moment où toutes les formes de militantisme sont contraintes par un certain nombre de dispositions législatives mais aussi par des actions administratives et policières qui inquiètent ». Il a également pointé le rôle des forces de sécurité, avec « un schéma de maintien de l’ordre à la dérive et qui provoque un certain nombre de violences. »

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. 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