Mayotte : le Sénat adopte à l’unanimité le projet de loi d’urgence

Le Sénat a adopté mardi soir, à l'unanimité, le projet de loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte après le passage du cyclone Chido. Le texte crée un établissement public pour coordonner la reconstruction de l’archipel, prévoit des assouplissements aux règles d’urbanisme, de commande publique et quelques mesures sociales. Des mesures plus structurelles sont attendues dans un autre texte de loi, un projet de loi-programme « Mayotte Debout ».
Simon Barbarit

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Les sénateurs ont adopté, mardi soir, à l’unanimité le projet de loi de reconstruction de Mayotte par 334 voix. Le texte comprend des mesures d’urgences très attendues après le passage dévastateur du cyclone Chido, en décembre dernier.

Pour certains élus, en particulier ceux de Mayotte, le projet de loi relativement consensuel, est insuffisant. « Nous ne pouvons que regretter, à ce stade, l’impasse du champ restreint de ce projet de loi, nous empêchant d’aller plus loin », a fait part la sénatrice RDPI, Salama Ramia, précisant que son groupe votera quand même pour le texte.

Des mesures plus structurelles, en particulier celles visant à lutter contre l’immigration illégale ou encore sur l’accès à l’eau, seront portées par un autre texte, un projet de loi-programme ‘’Mayotte Debout’. « Il faut dissocier la notion de l’urgence de mesures de moyen et long terme », a souligné Manuel Valls.

L’article 1er crée un établissement public pour coordonner la reconstruction de l’archipel, en association avec l’État et les collectivités territoriales concernées. En commission, les sénateurs avaient consolidé le rôle des élus au sein de l’établissement public, en confiant la présidence du conseil d’administration, au président du conseil départemental. Sous la plume des sénateurs, le président de l’association des maires de Mayotte ainsi que les représentants des cinq établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), siégeront au sein du conseil d’administration.

En séance, un amendement du sénateur de Mayotte, Saïd Omar Oili (apparenté socialiste) a raccourci de 3 à 1 mois le délai pour prendre l’ordonnance relative à l’établissement public.

« Cet article a été mal compris »

Rare point de crispation du texte, l’article 10 autorisait l’Etat à procéder à des procédures d’expropriation, pour faciliter la réalisation d’ouvrages publics à Mayotte. Il a été supprimé par les députés, attentifs aux inquiétudes les Mahorais qui vivent sur un territoire où ont lieu beaucoup de transmissions informelles de propriétés. En commission, les sénateurs ont fait le choix de ne pas réintroduire cet article. « Je constate que cet article a été mal compris […] Je fais le choix de ne pas proposer d’amendement de rétablissement de cet article », a indiqué Manuel Valls, en introduction des débats, promettant de revenir sur ce sujet, lors de l’examen du prochain projet de loi.

Rapporteure pour avis au nom de la commission des lois, Isabelle Florennes (Union centriste) a salué « le pragmatisme » du gouvernement sur ce point. « Cette mesure nécessitait plus de concertation et une écriture plus complète sûrement dans le prochain projet de loi. Vous nous avez entendus. Nous vous en sommes reconnaissants ».

Le texte autorise l’Etat à rénover des écoles à la place des collectivités territoriales, initialement « sur avis conforme des communes concernées », jusqu’au 31 décembre 2027. Les sénateurs ont « retourné la charge », en exigeant que ce type d’opération émane d’une « demande » des communes.

Les députés ont ajouté au texte des dispositions visant à assurer que les écoles disposent de plusieurs accès à l’eau potable ou de système de ventilation, pour réduire la chaleur. Le ministre a également apporté son soutien à une proposition des sénateurs d’exonérer Mayotte, à titre exceptionnel, de la taxe générale sur les activités polluantes sur les déchets pendant deux ans.

Le texte comporte des dispositions s’assurant que les entreprises mahoraises ne seront pas évincées du processus de reconstruction. Un tiers des marchés publics devra être réservé aux PME locales.

Le texte sénatorial procède également à une série d’ajustements sur la facilitation des dons de particuliers. Le texte issu de l’Assemblée nationale prévoyait une défiscalisation à hauteur de 75 %, dans une limite de 3 000 euros. Les sénateurs ont ramené le plafond d’exonération à 1 000 euros, soit le niveau habituel retenu pour majorations exceptionnelles de réductions d’impôt comme le dispositif Coluche. Ce dispositif fiscal exceptionnel court jusqu’au 17 mai 2025.

Prêt à taux zéro

Le ministre a fait adopter, mardi en séance, un amendement qui met en place un prêt sans intérêt pour les propriétaires de logements impactés par la tempête y compris pour ceux qui n’étaient pas assurés dans la limite de 50 000 euros pour une durée maximale de 30 ans. « 6 % des ménages assurent leur logement à Mayotte […] Vous proposez une avance remboursable ne portant pas d’intérêts. Ce n’est pas ce qui est attendu à Mayotte et ça ne correspond pas aux pratiques des Mahorais. Voilà l’exemple d’une mesure totalement déconnectée », a regretté Saïd Omar Oili.

« Tout ne peut pas être des dons et des subventions publiques », a répondu Manuel Valls.

Le bilan humain au cœur des débats

L’adoption de l’article 4 bis qui prévoit de conditionner la vente de tôle à la présentation d’une pièce d’identité pour empêcher la reconstruction de bidonvilles, a indirectement remis la question du bilan humain au cœur des débats. « Le cyclone a fait de nombreuses victimes sans-papiers et dont la mort n’a pas été comptabilisée. Il a également détruit le logement de fortune de nombreuses personnes sans-papiers », a relaté la sénatrice communiste de la Réunion, Evelyne Corbière-Naminzo qui défendait un amendement de suppression de cet article.

« Apportez-moi des preuves. Vous ne pouvez pas affirmer au Sénat qu’il y aurait eu des victimes qui n’auraient pas été révélées aux uns et aux autres […] On a parlé de 60 000 morts au début […] Ce n’est pas le cas. Nous n’avons rien à cacher. Il y a une chose que je n’admettrais pas, c’est qu’on puisse laisser penser par votre affirmation, que l’on cacherait telle ou telle victime. Vous introduisez un doute. Ça fait un mois que j’entends ce débat et pour le moment, personne ne m’apporte la moindre preuve d’un type d’affirmation comme la vôtre », s’est offusqué Manuel Valls.

Un amendement rejeté du sénateur Saïd Omar Oili proposant qu’un travail soit engagé par les pouvoirs publics pour recenser le nombre de décès va relancer les échanges et l’agacement du ministre. « On cherche à voir quoi ? Que le ministre, le préfet, l’Etat ont cherché à cacher des victimes. Ce débat manque d’une certaine décence », va-t-il répondre à la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge qui demandait au gouvernement de « rétablir la confiance » avec la population.

L’automaticité du renouvellement de certains filets de protection limitée dans le temps

Concernant les mesures économiques et sociales, les sénateurs se sont employés à revenir à la version du texte initial déposé par le gouvernement. C’est le cas pour la suspension de l’obligation de paiement des cotisations et contributions sociales dues par les employeurs ou encore les travailleurs indépendants (à l’article 18). Les députés avaient prolongé la suspension de droit jusqu’au 31 décembre 2025, et permis un renouvellement par décret jusqu’au 31 décembre 2026. Les sénateurs ont ramené la date butoir dans la loi au 31 mars 2025, et la possibilité de l’étendre par décret jusqu’au 31 décembre 2025.

Il en est de même pour le renouvellement automatique des droits et prestations versés aux assurés mahorais qui expiraient au 14 décembre 2024. Le texte sorti de l’Assemblée prévoyait de fixer une date butoir au 30 juin, les sénateurs ont ramené la limite au 31 mars, pour l’aligner sur celle du renouvellement des allocations chômage des demandeurs d’emploi qui arrivent en fin de droits. En fonction de l’évolution de la situation sociale et des conditions matérielles, la période pourra néanmoins être renouvelée par décret jusqu’au 31 décembre, au plus tard.

Députés et sénateurs seront appelés à trouver un texte commun lors d’une commission mixte paritaire, probablement dès le lundi 10 février, pour permettre une entrée en vigueur au plus vite.

 

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