Maisons fissurées : le Sénat rejette la proposition de loi de Sandrine Rousseau sur l’indemnisation des sinistres liés au retrait gonflement argile

À l’occasion de la niche parlementaire du groupe écologiste, le Sénat examinait une proposition de loi sur l’indemnisation des victimes de retrait gonflement argile. Un sujet qui pourrait paraître consensuel, mais qui a suscité une forte opposition entre les membres du groupe LR et les écologistes.
Henri Clavier

Temps de lecture :

6 min

Publié le

Mis à jour le

Les sénateurs n’ont pas eu besoin de se prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi du groupe écologiste, chacun des articles ayant été rejeté lors de l’examen du texte. Si les sénateurs écologistes, qui avaient inscrit ce texte à l’ordre du jour du Sénat dans le cadre de leur niche parlementaire, s’attendaient à cette issue, ils n’ont pas manqué d’exprimer leur amertume à l’égard du groupe majoritaire (LR) et de la rapporteure du texte, Christine Lavarde.

Le texte examiné par le Sénat, initialement déposé à l’Assemblée nationale par Sandrine Rousseau, s’articule autour de deux articles principaux dont l’objectif est de faciliter l’indemnisation des victimes de sinistres liés au retrait gonflement de l’argile (RGA) en période de sécheresse ou de fortes pluies. Ce phénomène endommage fortement les logements et créer de nombreuses fissures et failles sur les murs des maisons. Ghislaine Senée, qui s’est exprimée pour le groupe écologiste lors de la discussion générale insiste sur la possibilité de « lever deux freins à l’indemnisation des victimes ». Les deux freins concernent l’indemnisation des collectivités territoriales d’une part et l’assouplissement des critères permettant d’être indemnisé par le régime CatNat en cas de sinistre d’autre part. L’issue était cependant prévisible puisque le texte avait été rejeté en commission au Sénat, la Chambre haute planchait donc sur la mouture issue du Palais Bourbon.

Duel de propositions de loi

Malgré les divergences, les sénateurs se sont accordés pour reconnaître l’ampleur du phénomène qui touche plus de 10 millions de logements. Dès le début de la séance, les sénateurs n’ont pas hésité à s’envoyer quelques banderilles. En effet, après le rejet du texte écologiste en commission au Sénat, Ghislaine Senée avait fustigé « l’opportunisme et une démarche purement politicienne » de la part de la rapporteure Christine Lavarde, qui a elle aussi déposé une proposition de loi sur le sujet. « Rejeter le texte soumis au vote cet après-midi, c’est prolonger le calvaire des sinistrés », juge Ghislaine Senée.

Pour Christine Lavarde, au contraire, la proposition de loi examinée aujourd’hui faisait courir un risque financier trop important craignant que l’assouplissement des conditions d’indemnisation n’engendre un surcoût trop important pour les assurés. « L’auteure de la proposition de loi à l’Assemblée nationale avait déclaré que j’en faisais une question d’ego. Mes connaissances en économie me font dire qu’il n’est pas possible de pouvoir adopter une telle proposition si on est attentif aux finances publiques, aux risques qu’il fait peser sur le fonctionnement du marché de l’assurance et sur l’équilibre du système d’indemnisation des catastrophes naturelles », se défend Christine Lavarde, taclant au passage Sandrine Rousseau, professeure d’économie.

« Qu’est-ce qui vous empêche de voter ce texte ? »

Sur les bancs de la gauche, ces arguments n’ont pas vraiment porté et les sénateurs écologistes ont reproché à leurs collègues de LR de négliger le phénomène. « Si nous nous projetons jusqu’en 2050, l’ensemble des coûts pourrait s’élever à 34 milliards d’euros, face à cette situation alarmante la proposition de loi se présente comme une solution pragmatique », soutient Thierry Cozic, sénateur socialiste de la Sarthe, un département particulièrement touché par le phénomène de retrait gonflement argile. Non sans ironie, le président du groupe écologiste Guillaume Gontard a « remercié LR pour leur participation nombreuse et constructive sur le texte ». « Qu’est-ce qui vous empêche de voter ce texte ? Vous ne voulez pas toucher aux assureurs, vous ne voulez pas toucher aux finances publiques, mais le réchauffement climatique ça coûte cher » s’agace le sénateur.

Le cœur des difficultés réside dans le coût généré par ces indemnisations du RGA par le régime CatNat. Le coût, estimé à 1 milliard d’euros, représente un obstacle majeur pour LR mais aussi pour le gouvernement qui souligne, par la voix de Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, que « l’absence d’étude d’impact masque l’effet incertain de certaines propositions ». Un avis partagé par Jean-Marie Mizzon (Union Centriste) qui perçoit le « risque d’aggraver la situation des sinistrés RGA en remettant en cause l’intégralité du régime CatNat ». Concrètement, les sénateurs de droite et du centre redoutent un nombre trop important d’indemnisations ce qui ferait peser une charge trop importante sur le régime CatNat et obligerait in fine l’Etat à garantir les indemnisations.

La voie réglementaire privilégiée par le gouvernement

Après le rejet du texte écologiste, le succès de la proposition de loi de Christine Lavarde, proposant une réforme plus générale du régime CatNat, n’est pas assuré. « Nous considérons que les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, au regard de leur technicité et de la nécessité de les faire évoluer régulièrement à la lumière de l’amélioration des connaissances scientifiques sur le sujet, doivent rester fixés au niveau réglementaire », affirme Marie Lebec. Le gouvernement a d’ores et déjà publié une circulaire, le 29 avril 2024, qui permet d’assouplir les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans les cas de RGA. La ministre chargée des relations avec le Parlement a également précisé qu’un projet de décret encadrant les experts d’assurance dans le cadre de sécheresse était en cours de finalisation.

Bien que le gouvernement puisse agir par voie réglementaire, Christine Lavarde a tendu la main à l’exécutif pour obtenir son soutien sur sa proposition de loi, qui ne sera pas examinée avant l’automne et la nouvelle session parlementaire. « Il convient de légiférer, mais sur un périmètre plus large que le RGA […] Nous espérons que le gouvernement dans son ensemble sera au rendez-vous », poursuit la rapporteure.

Une situation que déplorent les soutiens du texte écologiste selon lesquels le sujet est encore une fois reporté. « Cela fait 5 ans qu’on promène [les sinistrés] de propositions de loi, en décrets et en circulaires sans apporter de solutions concrètes aux victimes », regrette Ghislaine Senée. « Chaque retard que nous prenons aggrave la situation de milliers de nos concitoyens, nous perdons un temps précieux […] Toutes les initiatives sur le sujet sont opportunes », déplore le sénateur Michel Masset du groupe RDSE.

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

ISSY-LES-MOULINEAUX: France 24, press conference
3min

Parlementaire

France Médias Monde : les sénateurs alertent sur la baisse des crédits dans un contexte de guerre informationnelle

Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).

Le

Maisons fissurées : le Sénat rejette la proposition de loi de Sandrine Rousseau sur l’indemnisation des sinistres liés au retrait gonflement argile
7min

Parlementaire

Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

Le