Le Senat, Paris.

Lutte contre les discriminations : un texte visant à généraliser les « tests individuels et statistiques » largement modifié au Sénat

Saisie d’une proposition de loi, adoptée à l’Assemblée nationale visant à généraliser la pratique du « testing » pour lutter contre les discriminations, notamment à l’emploi et à l’accès au logement, la commission des lois a largement remanié le texte.
Henri Clavier

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“Le texte de l’Assemblée nationale est une usine à gaz”, déplore la rapporteure, Catherine Di Folco, sénatrice du Rhône, apparentée LR, qui insiste sur d’importantes divergences entre le texte de l’Assemblée et celui voté au Sénat. Si les amendements adoptés en commission vident le texte de sa substance en supprimant deux des trois articles principaux, Catherine Di Folco assure que son groupe est “bien conscient de l’urgence du sujet et qu’il faut régler les problèmes liés à la discrimination notamment dans l’accès au logement ou à l’emploi”. “L’idée de fond est bonne. Il n’y a pas de discussion là-dessus. Ce n’est pas acceptable d’avoir de la discrimination sur l’origine, la couleur de peau, la formation, etc. La question, ce sont les moyens pour l’empêcher”, abonde François-Noël Buffet (LR), sénateur du Rhône et président de la commission des lois. Malgré l’accord sur le principe, la majorité sénatoriale déplore un texte trop compliqué, à l’effectivité incertaine. La proposition de loi sera examinée par le Sénat le 12 mars.

 

Une proposition visant à généraliser le “testing” et le “name and shame”

 

La proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques, lancée par le député Renaissance Marc Ferracci, a pour objectif de permettre de sanctionner plus facilement les pratiques discriminatoires et s’inscrit dans le plan de lutte contre les discriminations du gouvernement pour la période 2023-2026. Composée de quatre articles, la proposition de loi, telle qu’adoptée à l’Assemblée nationale, prévoit le renforcement des moyens accordés à la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) en créant un service dédié à la lutte contre la discrimination. Ce service doit accompagner les personnes s’estimant victimes de discrimination à tester les auteurs supposés de la discrimination. Ces tests sont réalisés en ne modifiant que certaines informations de la candidature ou du dossier (comme le prénom, le nom de famille, l’âge ou l’adresse). Ces tests peuvent être individuels, lorsqu’ils répondent à une situation précise, ou statistiques, lorsque cela consiste à un envoi massif de candidatures afin d’évaluer la réaction de l’organisme ciblé. Si les tests individuels peuvent servir de preuve devant la justice et caractériser la discrimination au sens de l’article 225-1 du code pénal, l’ancienne ministre, Bérengère Couillard soulignait, au moment de l’examen du texte à la chambre basse, qu’aucun test individuel n’avait permis de condamnation en 2020.

 

Les tests statistiques, fictifs, ne peuvent être utilisés comme preuve lors d’un recours devant la justice pénale. Cependant, le texte propose de publier les résultats des tests, sur le principe du “name and shame”, lorsque l’entreprise ou l’organisme ciblé refuse de s’acquitter de l’amende. Une amende pouvant aller de 1 à 5% de la masse salariale.

 

“On a remis un peu d’ordre, on fait une distinction entre le testing individuel et collectif”

 

Si les articles sont peu nombreux, les critiques et les modifications émises par le groupe majoritaire au Sénat, le sont. Les Républicains déplorent une proposition mal délimitée. “On a remis un peu d’ordre”, explique François-Noël Buffet, “on fait une distinction entre le testing individuel et collectif”. Si la droite sénatoriale se montre favorable à ce que la Dilcrah réalise et finance des tests de discrimination de nature statistique, les sénateurs LR s’opposent à ce que la Dilcrah puisse accompagner les plaignants dans le cadre de test individuel. “Le défenseur des droits possède déjà cette compétence et peut accompagner les plaignants dans leur démarche et les aider à réaliser les démarches”, explique Catherine Di Folco. Un avis partagé par Guy Benarroche, membre de la commission des lois et chef de file du groupe écologiste sur le texte, qui estime qu’il “ne faut pas prendre le risque de faire doublon et de perdre des gens, il vaut mieux conserver la compétence du Défenseur des droits”. La Défenseure des droits, Claire Hédon, avait fait savoir son opposition à cette mesure.

 

Un consensus nettement moins visible sur les tests statistiques, en particulier sur la publication des résultats. “Il faut faire très attention au recours au “name and shame”. C’est un outil très puissant qui peut déstabiliser une entreprise. Il ne faut pas trop se lancer là-dessus”, juge François-Noël Buffet. Lors de l’adoption du texte à l’Assemblée, le 6 décembre, Marc Ferracci défendait “une logique d’accompagnement” pour les entreprises. “À partir du moment où on fait des testing statistiques, il faut pouvoir les utiliser, en tirer les conséquences, donc nous sommes favorables à des sanctions ou à la publication de la liste des organismes refusant de se mettre en conformité”, estime Guy Benarroche. La rapporteure préconise d’autres procédures “à droit constant” et souligne la possibilité de saisir l’inspection du travail.

Un comité des parties prenantes jugé “invasif”

 

Autre écueil pour la majorité sénatoriale, la création d’un comité des parties prenantes. L’article 2 prévoit de mettre en place un comité des parties prenantes, composé de parlementaires, de chercheurs, et de représentants des organisations syndicales et professionnelles. L’objectif de ce comité est d’élaborer la méthodologie des tests, de formuler des recommandations à destination des organisations testées et d’exprimer des avis.

 

“C’est un comité Théodule, encore une fois !”, s’agace Catherine Di Folco selon laquelle le comité a “un rôle invasif dans la démarche”. La sénatrice pointe notamment le rôle du comité et sa faculté à délivrer des avis sans que la nature de ces avis et leurs conséquences ne soient précisés par la proposition de loi.

“La composition du comité est trop floue et ne paraît pas répondre au problème essentiel”, affirme la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin qui partage l’avis de la rapporteure et souligne l’absence de contradictoire dans l’élaboration des avis du comité.

 

“Si le texte en reste à la version issue de la commission, il n’aura pratiquement aucun effet et on pourrait alors s’abstenir”

 

Vidé d’une grande partie de son contenu en commission, Guy Benarroche s’interroge sur l’utilité d’un tel texte. “On va essayer de modifier le texte en séance, de réintroduire les sanctions prévues par l’article 3, mais si le texte en reste à la version issue de la commission, il n’aura pratiquement aucun effet et on pourrait alors s’abstenir”. “Notre position n’est pas encore définie, les raisons d’un vote contre ont été écartées, maintenant à voir si l’on arrive à réintroduire une partie contraignante pour les entreprises”, explique Corinne Narassiguin alors que le groupe socialiste hésite encore entre abstention et vote en faveur.

Si la rapporteure ne veut évidemment pas se projeter trop rapidement sur les modifications du texte en séance, Catherine Di Folco assure qu’il “est possible de trouver un compromis satisfaisant en Commission mixte paritaire”.

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La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. 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