Lobbys : le Sénat va interdire les cadeaux de plus de 150 euros dans son règlement
Par François Vignal
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Les sénateurs vont plancher, dans la soirée de mardi, sur leur règlement intérieur. Le Sénat examine la proposition de résolution, déposée par le président LR du Sénat en personne, Gérard Larcher, qui vise à « renforcer les moyens de contrôle des sénateurs, conforter les droits des groupes politiques, et portant diverses mesures de clarification et de simplification ». Le texte, déjà adopté en commission, est cosigné par la vice-présidente centriste du Sénat, Sylvie Vermeillet, qui a travaillé depuis un an sur le sujet, et dont le groupe forme l’autre pilier de la majorité sénatoriale.
La proposition de résolution comporte de nombreuses mesures. Mais l’une d’elle suscite des émois chez certains sénateurs. Il s’agit de l’article 20, qui porte sur les cadeaux reçus par les sénateurs et les déplacements. Il précise que « les sénateurs n’acceptent aucun cadeau, don, invitation ou avantage en nature proposé par un représentant d’intérêts et dont la valeur excède un montant fixé par le Bureau ». L’exposé des motifs du texte précise le chiffre et l’objectif : « L’interdiction d’accepter un cadeau de plus de 150 euros offert par un représentant d’intérêts ». Il s’agit en réalité de retranscrire dans le règlement du Sénat une mesure déjà préconisée par le comité de déontologie du Sénat, présidé par le sénateur LR Arnaud Bazin, et validée par le bureau de la Haute assemblée.
Pour les autres cadeaux dont la valeur dépasse 150 euros, ils doivent être déclarés. La liste des cadeaux et des sénateurs concernés est consultable en ligne, comme la liste à des déplacements. L’article 20 précise qu’en revanche, « ne sont pas soumises à cette interdiction les invitations à des déplacements de travail proposées par un représentant d’intérêts ».
« On a précisé la règle des cadeaux au-dessus de 150 euros qui sont interdits s’ils viennent d’un lobbyiste »
« L’article 20 permet de clarifier les choses, essentiellement sur la notion de déplacement de travail », souligne Sylvie Vermillet, qui précise que l’article « ne fait que retranscrire » le travail du comité de déontologie.
« On a voulu un peu améliorer le fonctionnement du code de déontologie. On a précisé la règle des cadeaux au-dessus de 150 euros, qui sont interdits s’ils viennent d’un lobbyiste. Il arrive par ailleurs aux sénateurs d’être invités pour un certain nombre de déplacements, avec éventuellement un hébergement ou un repas, par des lobbys ou des pays étrangers. Dans ce cas, il fallait un peu préciser les règles pour savoir ce qu’il fallait déclarer, ce qu’on peut accepter », explique le sénateur des Ecologistes, Guy Benarroche, membre du bureau du Sénat.
En vue de la séance, Laurent Bazin et la sénatrice PS Laurence Harribey, vice-présidente du comité de déontologie, ont déposé un amendement pour aller plus loin, et « étendre l’interdiction d’accepter des cadeaux de plus de 150 euros aux personnes menant des activités d’influence pour le compte d’un mandant étranger ».
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Postes en commission : les sénateurs en perdent la « propriété »
Le texte prévoit une série de « toilettages » du règlement du Sénat, certains plus notables, comme sur la répartition des postes entre groupes au sein des commissions et du bureau. L’idée est qu’ils reviennent aux groupes et n’appartiennent plus aux sénateurs. « Quand un sénateur décide de changer de groupe, il peut conserver sa fonction. Or le fait de siéger dans une commission, c’est le groupe qui donne cette légitimité », explique Sylvie Vermeillet. Ce changement vient d’une demande du groupe écologiste, qui s’était retrouvé floué, quand l’ex-sénatrice Esther Benbassa avait quitté le groupe, tout en conservant sa fonction de membre du bureau. « Le sénateur n’est pas propriétaire du poste qui lui est attribué grâce au groupe politique », ajoute la sénatrice centriste.
Autre modification, sur le régime de sanctions contre les sénateurs. « On transfère les propositions de sanctions du président du Sénat au bureau. Ce ne sera plus le président lui-même, ce sera collégial. Le président Larcher l’a vraiment souhaité », précise Sylvie Vermeillet. Dans les faits, c’était déjà le cas, comme pour le sénateur d’extrême droite, Stéphane Ravier, dont la sanction de rappel à l’ordre a fait l’objet d’un échange au bureau.
Concernant les lectures des conclusions d’une commission mixte paritaire, le texte prévoit aussi que la parole est donnée au rapporteur de la CMP.
Le texte prévoit aussi, selon l’exposé des motifs, « la suppression du régime dérogatoire pour les déclarations des invitations à des manifestations culturelles ou sportives sur le territoire national ». « Il y a les cadeaux qui concernent les manifestations sportives et culturelles. Bien sûr, si c’est dans le cadre de la fonction sénatoriale, je peux par exemple recevoir une invitation pour voir un match de l’OM, par l’Olympique de Marseille. Je ne vais pas la refuser. Mais il peut y avoir des invitations en dehors de ce cadre, faites par une société, qui invite. On voulait préciser les règles de ce qu’on accepte ou refuse », précise le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône.
« Quand on veut des règles, on va toujours de plus en plus loin »
Toutes ces précisions ont suscité quelques interrogations chez les sénateurs, notamment au sein du groupe centriste, mais pas seulement. « Ça agite certains. Il y a de la friture sur le sujet », confie une socialiste, « j’ai l’impression que le sujet a un problème d’atterrissage ».
Un sénateur de la majorité confirme les doutes. « Quand on veut des règles, on va toujours de plus en plus loin. J’ai des collègues préoccupés par la nouvelle rédaction, car elle est mal formulée », confie ce sénateur. « On parle de groupes d’intérêts inscrits sur la liste de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Mais c’est n’importe quoi, car c’est déclaratif. Il y a des gens qui se déclarent, d’autres pas. Par exemple, si la Fédération française de foot est inscrite, on ne peut pas être invité à un match de foot. Mais si la Fédération française de rugby n’y est pas, on peut être invité au rugby… » pointe le même, qui compte sur le bureau pour « préciser les choses ».
Les interrogations émanent notamment de membres de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, qui pourront être concernés. « Ça a fait hurler un de mes collègues, qui a beaucoup écrémé la Coupe du monde », lâche une sénatrice, « un autre a beuglé à cause des places d’opéra, de foot ou les invitations au festival d’Avignon ». Mais cette élue défend le principe. « Mes chers collègues se réveillent l’avant-veille. C’est trop tard. Ce n’est pas une surprise. Ils n’avaient qu’à s’intéresser au texte plus tôt », tacle cette sénatrice.
« Certains disent que ça peut être recontraignant, car ils peuvent être invités par une fédération sportive »
« Cet article reprend un élément approuvé par le bureau du Sénat en 2022. Ça fait trois ans », confirme Sylvie Vermeillet. « Sur les manifestations sportives, ça peut être par exemple Roland Garros, ou une compétition de ski. J’ai appris qu’une épreuve de la Coupe du monde de ski coûtait plus de 150 euros. Certains disent que ça peut être contraignant, car ils peuvent être invités par une fédération sportive », explique et confirme Guy Benarroche. Mais l’écologiste estime que « les sénateurs ont intérêt à déclarer tout le temps. Ce n’est pas seulement pour la transparence, mais aussi pour éviter les risques d’erreur ». Ce membre du bureau précise qu’il ne s’agit pas d’absolument tout déclarer non plus. « J’ai reçu un pot de miel de l’ambassadeur de Slovaquie. Je n’ai pas déclaré le pot de miel. Ce n’est pas un lobby, ni une manifestation culturelle ou sportive. Ce sont des petits cadeaux de coutume ».
A l’inverse, une sénatrice d’un groupe de gauche trouve que l’une des dispositions ne va pas assez loin. Elle s’étonne du fait que les invitations à « des déplacements de travail proposées par un représentant d’intérêts » ne soient pas soumises à une interdiction. « Ce n’est pas génial. Donc dans l’absolue, ça veut dire que demain, je suis un grand groupe de BTP français, je vous invite aux Maldives, et à partir du moment où vous mettez deux réunions de travail, c’est bon… » grince cette élue. Le débat devrait continuer en séance. La présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman, a déposé un amendement pour « fixer un cadre plus précis » à ces déplacements proposés par des lobbys.
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