Législatives 2024 : les leçons de deux années de majorité relative, à l’heure de l’hypothèse d’une « grande coalition »

Législatives 2024 : les leçons de deux années de majorité relative, à l’heure de l’hypothèse d’une « grande coalition »

Au cours des deux dernières années les députés d’Emmanuel Macron ont bénéficié de forces d’appoint au Parlement, mais ces deux années de majorité relative témoignent aussi de la difficulté de satisfaire des groupes parfois diamétralement opposés.
Guillaume Jacquot

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L’idée est en train d’infuser petit à petit. Dans la perspective d’une Assemblée nationale sans majorité absolue, plusieurs responsables politiques évoquent l’idée d’une vaste coalition pour éviter un blocage institutionnel. Ce lundi, le Premier ministre Gabriel Attal a évoqué l’option d’une « Assemblée plurielle », avec « plusieurs groupes politiques de droite, de gauche, du centre, qui, projet par projet, travaillent ensemble au service de l’intérêt des Français ». « Nous aurons une obligation de résultats dans le fonctionnement de l’Assemblée nationale », a également fait savoir la présidente sortante Yaël Braun-Pivet, qui plaide pour une « grande coalition des démocrates, des républicains, de ceux qui partagent les mêmes valeurs ».

Dans les rangs du Nouveau Front populaire, plusieurs responsables ont également évoqué ce genre de scénario. La secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, a convenu sur TF1 qu’il faudrait « sûrement faire des choses que personne n’a jamais faites auparavant dans ce pays », tout en précisant que la majorité « devrait se construire autour de la formation arrivée en tête, c’est-à-dire autour du Nouveau Front populaire ». Le communiste Sébastien Jumel a estimé, quant à lui, qu’il aurait « urgence à constituer un arc du gaullisme social jusqu’aux communistes, en passant par des gens de gauche de bonne volonté ».

À droite, le président LR de la région des Hauts-de-France s’est dit en faveur d’un « gouvernement de sursaut national », voire d’un « un gouvernement provisoire de la République, comme ça existait à une époque quand il a fallu reconstruire ».

Sans connaître le rapport de force de la future Assemblée nationale qui se dessinera dimanche soir, il est prématuré d’imaginer sur quels groupes pourrait s’appuyer une telle coalition inédite dans l’histoire de la Ve République. Le retour d’expérience de deux années de majorité relative pour l’exécutif au palais Bourbon montre que l’exercice est loin d’être évident, même si sur plusieurs textes précis, des majorités assez larges se sont formées. Rappelons également que dans l’hémicycle à la veille de la dissolution, les trois groupes de la majorité présidentielle relative n’étaient qu’à 39 voix de la majorité absolue.

Les textes budgétaires, pierres d’achoppement de la culture du compromis

Les textes budgétaires sont l’exemple même par nature de la difficulté d’accepter des compromis dans la tradition parlementaire française. Il s’agit pourtant du moment le plus important de chaque session, et chaque politique publique découle en grande partie des budgets adoptés en fin d’année. Dans un contexte de dérapage du déficit public ces derniers mois, le prochain rendez-vous de l’automne risque d’être particulièrement complexe. Satisfaire toutes des sensibilités politiques relève de la gageure. Les deux lois de finances et les deux lois de financements de la Sécurité sociale qui ont suivi après les législatives de 2022 ont été adoptées par 49.3. Il en est de même pour la réforme des retraites du printemps 2023, l’un des grands moments de fracture dans la 16e législature. Illustration d’une voie de passage particulièrement étroite, près d’un tiers du groupe LR avait voté la censure. Au Sénat, le texte largement inspiré par la majorité sénatoriale de droite et du centre, a été débattu en entier et adopté.

Un seul texte budgétaire a été adopté dans des conditions classiques, sans 49.3 : la loi de finances rectificative de l’été 2022, déposée pour répondre à la crise énergétique et atténuer les effets de l’inflation sur les ménages et les petites entreprises. Le texte avait recueilli le soutien de la plupart des députés LR, et une partie du petit groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires).

La loi immigration, en décembre dernier, a illustré une convergence plus forte avec la droite. Le groupe LR a soutenu le texte, et l’ensemble du Rassemblement national a également choisi de voter en faveur du texte négocié avec le Sénat. Mais le texte final a également eu pour effet de fracturer la majorité présidentielle. Près d’une soixantaine de parlementaires Renaissance, MoDem ou Horizons se sont abstenus ou ont voté contre le projet de loi.

Des majorités de circonstances pour les projets de loi

En dehors des grands textes clivants de ces deux dernières années, les députés de la majorité présidentielle se sont souvent accordés avec des députés de l’opposition, mais ces élargissements de circonstances n’ont jamais débouché sur des ouvertures très larges, c’est-à-dire allant de la gauche à la droite. La volonté de « bâtir des majorités », comme l’avait annoncé Elisabeth Borne dès son accession à Matignon, a souvent eu pour conséquence de « saucissonner » des textes, afin d’éviter la multiplication des points de blocage au sein d’une même réforme. Dans sa méthode, le gouvernement s’assurait avant leur présentation en Conseil des ministres de l’existence d’une voie de passage au Parlement.

Cette logique de textes resserrés dans leur périmètre a surtout été frappante sur les sujets énergétiques, un domaine qui, pris dans son ensemble, ouvre la porte difficilement à des consensus. Le projet de loi sur les énergies renouvelables a été adopté grâce aux députés socialistes, mais les autres groupes de gauche étaient partagés entre opposition ou abstention. Le projet de loi de relance du nucléaire a été adopté avec les voix de LR mais aussi des communistes.

Les grandes lois de programmation budgétaire sur les grands champs régaliens ont également pu être adoptées ces deux dernières années, mais sans satisfaire à la fois les bancs de gauche et les bancs de droite de l’hémicycle. La loi de programmation militaire (LPM), la loi justice et la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (Lopmi) sont passées grâce aux voix de LR. Le RN a également voté favorablement. Les socialistes ou les écologistes se sont abstenus en majorité sur les deux premiers, ce qui témoigne d’une position médiane. Une façon de montrer son mécontentement sur plusieurs points, tout en permettant de ne pas faire obstacle au texte.

C’est ce qu’il s’est passé sur le texte de Frédéric Valletoux sur l’accès aux soins l’an dernier. Les groupes de gauche et le RN se sont abstenus, offrant ainsi une possibilité au texte d’être adopté. Les Républicains avaient voté contre, opposés à plusieurs dispositions qualifiées de repoussoir. Sur la proposition de loi grand âge, texte d’origine parlementaire, en première lecture seulement les socialistes et les écologistes ont apporté leur soutien, et LR n’a pas pris part au vote. Dernier grand vote avant la dissolution : le projet de loi agricole, réponse législative à la crise qui a secoué la profession en début d’année, a été adopté avec une courte majorité fin mai, 272 voix pour, 232 contre. Le texte a reçu très peu de soutien en dehors de la majorité présidentielle.

 Des propositions de lois qui font parfois consensus

Il arrive néanmoins que certains textes arrivent à convaincre une grande majorité de députés. C’est le cas de propositions d’origine parlementaire, débattues dans les espaces réservés des groupes qui les proposent. La proposition de loi Horizons visant à pénaliser la « fast fashion » a été ainsi été adoptée à l’unanimité en mars. Le même mois, c’est un texte porté par un binôme Renaissance-PS, visant à réguler le marché des influenceurs, qui a fait l’unanimité. Autre exemple d’union sacrée : une proposition de la loi visant à mieux protéger les enfants victimes ou témoins de violences intrafamiliales, qui a fait l’objet d’une réécriture transpartisane en novembre. Citons aussi l’exemple récent de la proposition d’un député MoDem pour « faciliter la transformation de bureaux en logements ».

Le dialogue entre les différentes forces politiques ne s’arrête au palais Bourbon, pour que la fabrique de la loi fonctionne. Ce mercredi, la présidente sortante de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, a également tenu à souligner que des majorités ont été trouvées « dans 90 % des cas avec le Sénat, qui est une chambre dans l’opposition ». Durant la session 2022-2023, hors textes financiers et conventions, une seule loi a été définitivement adoptée par le Parlement avec le « dernier mot » de l’Assemblée nationale, selon les statistiques du Sénat. Un record sous la Ve République, en l’absence de concordance des majorités entre les deux assemblées.

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Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. 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