Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).
Le texte immigration, symbole du poids politique pris par le Sénat
Par François Vignal
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Emmanuel Macron serait-il, sans le savoir, dans une forme de cohabitation d’un nouveau genre avec le Sénat ? Beaucoup a été dit sur le projet de loi immigration. Et chacun a tenté de s’arroger la victoire. Mais il y a un autre gagnant qui ressort de la séquence : c’est le Sénat. La Haute assemblée a en effet donné le « la » sur ce projet de loi au sujet sensible. La version définitive du texte est très proche de celle adoptée par les sénateurs en novembre.
« C’est une victoire collective pour la majorité sénatoriale », s’est réjoui le président LR du Sénat, Gérard Larcher, après le vote par les sénateurs des conclusions de la commission mixte paritaire, où a été conclu dans la douleur un accord. Le président du groupe LR, Bruno Retailleau, qui n’a pas ménagé ses efforts pour durcir le texte, a répété qu’il s’agissait de celui de la droite. La majorité sénatoriale, composée du groupe LR et de l’Union centriste, a d’abord envoyé aux députés une version particulièrement ferme du projet de loi. Ce n’était pas évident. Il a d’abord fallu que la majorité sénatoriale accouche elle-même d’un compromis sur la question des régularisations.
Des sénateurs qui se retrouvent en position de force
Les députés ont ensuite donné un sérieux coup de pouce au Sénat. En adoptant une motion de rejet d’emblée, l’Assemblée nationale a rendu une copie blanche. Dès lors, les sénateurs sont entrés dans la CMP en position de force, prêts à ne rien lâcher, ou presque. Emmanuel Macron a terminé le travail, en exigeant un accord, ou à défaut, le retrait du texte. La majorité présidentielle n’avait plus grand-chose à négocier. « Quand le président de la République demande à sa majorité un compromis à tout prix ou un abandon du texte, il donne les clés du camion à Bruno Retailleau », résume auprès de l’AFP le constitutionnaliste Benjamin Morel. D’autant plus qu’en CMP, la majorité se retrouve maintenant à égalité souvent avec la droite et le centre.
Cette situation favorable au Sénat, c’est avant tout la majorité relative qui prévaut à l’Assemblée depuis juin 2022, qui le permet. Les macronistes n’ont pas de majorité, seuls. Et bien souvent, c’est vers les voix des députés LR qu’ils se tournent. On comprend mieux pourquoi le gouvernement ne peut plus se permettre, comme lors du premier quinquennat où les relations étaient par moment très tendues, de se mettre à dos le Sénat, dirigé par la droite.
Le calcul de l’exécutif
C’est pourquoi l’exécutif a commencé le parcours du texte immigration par la Chambre haute, plutôt que la Chambre basse, comme habituellement. Le calcul : laisser le Sénat adopter le texte à sa sauce, en général en le durcissant, pour espérer s’attirer ensuite les bonnes grâces des députés LR, amenés à soutenir un texte qui leur ressemble et voté par les leurs. Mais ce plan, qui tient la route sur le papier, se passe parfois différemment dans la réalité. Car pour le président des LR, Eric Ciotti, l’enjeu est de continuer à paraître comme un opposant à Emmanuel Macron, et non comme sa béquille. Il sait bien que le RN risque d’en profiter.
On l’a vu lors des retraites, où les députés LR, divisés, n’ont pas été le partenaire fiable qu’attendait l’exécutif, quitte à se mettre en porte à faux avec les sénateurs LR. L’histoire s’est terminée à coup de 49-3, permettant au gouvernement de passer en force, sauf à ce qu’une motion de censure soit adoptée. Ce qui n’a jamais été le cas jusqu’ici, Emmanuel Macron pouvant ensuite dissoudre l’Assemblée. Or c’est l’extrême droite qui pourrait alors rafler la mise.
Des LR partagés entre opposition farouche et opposition constructive
Sur le fond de la réforme des retraites, reste que c’est déjà le Sénat qui a eu dans les grandes lignes gain de cause. En présentant sa réforme, l’exécutif s’était tout simplement inspiré de l’amendement que défendait chaque année l’ex-sénateur LR René Paul Savary, qui mêlait report de l’âge légal et accélération de la réforme Touraine sur le passage à 43 annuités de cotisations. La réforme des retraites d’Emmanuel Macron doit donc beaucoup à la majorité sénatoriale.
Résultat, un an demi après la réélection d’Emmanuel Macron, les deux principales réformes du gouvernement ont été inspirées ou en grande partie définie par la ligne du Sénat. Ce qui renforce la Haute assemblée. Mais cela met en revanche en difficultés les LR, sous pression du RN, et coincés entre leur volonté d’incarner une opposition forte, mais aussi une opposition « constructive », c’est-à-dire capable de voter des textes, pour laquelle Gérard Larcher pousse depuis l’avènement au pouvoir d’Emmanuel Macron.
C’est au moment où le Sénat n’a jamais été aussi fort, que la majorité sénatoriale se retrouve parfois divisée
Ironie de l’histoire : c’est peut-être au moment où le Sénat n’a jamais été aussi fort, face à l’Assemblée, que sa majorité se retrouve parfois ébranlée. Car on l’oublie, mais les LR n’ont, eux aussi, qu’une majorité relative à la Haute assemblée. Sans les 56 voix du groupe Union centriste, pas de majorité pour adopter les textes. La différence avec l’Assemblée, c’est que les LR et l’UC ont un accord de majorité. Cet accord se retrouve dans la répartition des postes clefs au sein de l’institution.
Mais de plus en plus, on voit la majorité sénatoriale se diviser. Les centristes ont toujours fait entendre leur voix. Rien de vraiment nouveau en soi. Mais en général, un compromis se dégage. Or ces derniers mois, et surtout depuis le second quinquennat d’Emmanuel Macron, le groupe présidé par Hervé Marseille n’hésite plus à voter différemment que les LR, quitte à mettre le groupe de Bruno Retailleau en minorité. On l’a vu sur la proposition de loi constitutionnelle sur l’immigration déposée par le président du groupe LR. C’est alors que la majorité sénatoriale tremble.
Les centristes peuvent ainsi jouer le rôle de groupe pivot. La majorité présidentielle l’a bien compris, et sait s’appuyer sur le sénateur UDI des Hauts-de-Seine et son influence. Le groupe UC lui-même est marqué par la diversité. On y trouve des opposants à la politique d’Emmanuel Macron et, en même temps, des sénateurs Macron compatibles, pour ne pas dire des soutiens. De quoi rendre un peu plus baroque le Palais de Marie de Médicis.
Le dernier mot reste à l’Assemblée et le 49.3 éclipse le travail du Sénat
Autre limite, qui tempère ce renouveau du Sénat : le dernier mot revient toujours à l’Assemblée, comme le veut la Constitution, et le 49.3 permet au gouvernement d’imposer ses textes sur le budget et le budget de la Sécu. Alors que les députés se sont ainsi retrouvés sans débat sur le projet de loi finances, le gouvernement n’a retenu qu’une faible part des amendements votés au Sénat. Les sénateurs ont pourtant examiné eux l’ensemble du texte, pendant près de trois semaines…
Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, a dénoncé le « mépris » du gouvernement pour un Parlement « piétiné ». On comprend que les bonnes manières du gouvernement à l’égard du Sénat n’existent que lorsque l’exécutif n’a pas le choix. Principe de réalité.
L’affaire Benalla, la commission d’enquête où l’image du Sénat bascule
Reste que la Haute assemblée a su trouver une place nouvelle dans le jeu politique. Un nouvel essor qui a commencé grâce aux commissions d’enquête. Pour le Parlement, c’est l’outil de prédilection pour contrôler l’action du gouvernement. L’Assemblée en dispose, comme le Sénat. Mais là encore, c’est grâce, ou depuis Emmanuel Macron, que les sénateurs ont su s’emparer de cette faculté, qui n’est pas nouvelle, pour permettre au Sénat de jouet un véritable rôle de contre-pouvoir.
La commission d’enquête où tout a changé au Sénat, c’est évidemment celle sur l’affaire Benalla. Elle a engendré un haut niveau de tension avec l’exécutif. Puis il y eut celle sur la gestion de l’épidémie de covid-19. Ou encore la commission d’enquête sur les médicaments, sur les autoroutes, ou plus récemment, sur les cabinets de conseil, avec la communiste Eliane Assassi à la manœuvre, et le sénateur LR Arnaud Bazin. Ses conclusions ont fait l’effet d’une petite bombe lors de la dernière campagne présidentielle, mettant à mal Emmanuel Macron. Sans oublier la commission d’enquête sur le Fonds Marianne, qui a contribué à la chute de Marlène Schiappa.
« Ce qu’a gagné le Sénat, ces dernières années, c’est un vrai travail du point de vue de l’image »
On est loin de l’époque où le Sénat se voyait critiqué, épinglé. Aujourd’hui, ce « Sénat bashing » est derrière. « Ce qu’a gagné le Sénat, ces dernières années, c’est un vrai travail du point de vue de l’image, de la médiatisation de l’institution. On ne considère plus que le Sénat est une maison de retraite dorée de la République, tous ces vieux clichés », nous expliquait en septembre Benjamin Morel.
D’ici la fin du quinquennat, le Sénat continuera certainement à jouer ce rôle qui le place, par moment, au centre du jeu. Parfois pour accompagner l’exécutif, à bonne distance, quitte à jouer l’équilibriste, parfois pour lui mettre des bâtons dans les roues. Les deux facettes d’une même chambre. Emmanuel Macron a dû apprendre à faire avec la majorité relative. Il devra continuer à faire avec ce bicamérisme renforcé.
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