Paris, Senat, Jardin du Luxembourg

Le Sénat adopte le rétablissement de la réserve parlementaire

Supprimée en 2017, avec les lois pour la confiance dans la vie politique, la réserve parlementaire est une enveloppe laissée à la discrétion d’un député ou d’un sénateur pour aider au financement d’associations ou aider les communes de leur choix. Ces dernières semaines, les initiatives parlementaires en faveur de son rétablissement se sont multipliées. Une proposition de loi en ce sens a été adoptée aujourd'hui au Sénat.
Romain David

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Six ans après sa disparition, la réserve parlementaire pourrait  faire son retour. Le Sénat examinait en séance publique, ce jeudi 14 décembre, la proposition de loi du sénateur centriste Hervé Maurey, visant à rétablir cette dotation budgétaire destinée au financement de projets locaux, et dont l’usage était laissé à la discrétion des parlementaires. La commission des finances du Sénat a déjà adopté mardi 5 décembre, après modification, ce texte déposé dans le cadre de la niche parlementaire du groupe centriste. Prêtant le flanc aux critiques du fait de l’opacité de son fonctionnement, en un temps de transparence et de moralisation de la vie politique, la réserve parlementaire avait été supprimée au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

Un dispositif plus transparent

Dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, le sénateur Hervé Maurey évoque « une suppression particulièrement préjudiciable aux communes et aux associations », d’autant que le gouvernement, contrairement aux engagements pris en 2017, n’a jamais mis en place de fonds d’aides destiné à compenser la disparition de ce levier budgétaire, présenté comme salutaire en milieu rural. Son texte propose donc la remise en place de la réserve parlementaire. Il prévoit également que « la liste des bénéficiaires, le montant versé, la nature du projet financé et le parlementaire, ou groupe politique, attributaire » soit rendue publique. En outre, seules les associations ayant souscrit au contrat d’engagement républicain créé en 2021, par la loi « confortant le respect des principes de la République », pourront bénéficier d’une subvention.

Dans sa première mouture, le texte présenté par Hervé Maurey prévoyait également de limiter les subventions aux communes de moins de 3 500 habitants, afin « de cibler la réserve parlementaire sur celles qui en ont le plus besoin : les communes rurales. » Mais à l’initiative du rapporteur LR Vincent Capo-Canellas, le dispositif a finalement été élargi à « l’ensemble du bloc communal ».  « Lorsque l’on parle de seuil, la question est toujours de savoir où l’on fixe la barre. Plutôt que de discuter à l’infini du bon seuil, on s’est dit qu’il valait mieux laisser à chaque parlementaire la liberté d’agir selon les spécificités de son territoire », explique Hervé Maurey.

Le rapporteur a également souhaité plafonner le montant des subventions accordées à 20 000 euros par bénéficiaire, de manière à favoriser un fléchage vers les micro-initiatives aux impacts locaux. « On constate qu’il existe du côté des collectivités et des associations un champ que les dispositifs actuels de soutien ne touchent pas, celui des petits projets. La réserve parlementaire remplit une fonction de souplesse, elle apporte un coup de pouce qui permet de débloquer rapidement certains dossiers », plaide Vincent Capo-Canellas.

Le risque de clientélisme

Historiquement, la réserve parlementaire n’a pas d’assise juridique. Il s’agit d’une pratique budgétaire qui a permis aux parlementaires, sous la Ve République, de disposer d’une enveloppe dont il faisait généralement profiter leur circonscription. Avant sa disparition, son montant moyen par élu tournait autour de 130 000 euros, pour un budget global de 80 millions d’euros du côté de l’Assemblée nationale et 50 millions d’euros au Sénat. Ces sommes étaient réparties entre chaque groupe politique par les commissions des finances respectives des deux assemblées, puis de nouveau redistribuées au sein des groupes à chaque parlementaire, selon certains critères d’attribution, généralement liés aux postes occupés et à l’assiduité. Ainsi, au Palais Bourbon un président de commission pouvait toucher jusqu’à 260 000 euros, et le président de l’Assemblée nationale 520 000 euros. À rebours, certains élus ne recevaient rien. En 2013, sur 348 sénateurs, une soixantaine seulement s’était vue répartir près de la moitié de la réserve parlementaire de la Chambre haute. « Fut une époque où il fallait aller baiser la babouche du président de la commission des finances pour obtenir quelque chose, mais la répartition était devenue plus égalitaire les dernières années », se souvient un élu.

Longtemps, cette pratique budgétaire est restée inconnue du grand public. Dans les années 2000, elle est dénoncée comme un dispositif opaque, échappant à tout contrôle, et susceptible de favoriser le clientélisme au sein des fiefs électoraux, certains élus pouvant être tentés de monnayer l’attribution d’un coup de pouce financier à tel ou tel organisme contre des voix. Les lois relatives à la transparence de la vie publique, adoptées en 2013 dans le sillage de l’affaire Cahuzac, imposent la publication de la liste des bénéficiaires. En septembre 2017, après une campagne présidentielle chamboulée par l’affaire Fillon, l’une des premières mesures d’Emmanuel Macron, dans le cadre des lois pour la confiance dans la vie politique, consiste à supprimer définitivement la réserve parlementaire, ce qui n’est pas sans susciter un certain émoi chez de nombreux élus.

Offensive parlementaire

« La réserve parlementaire est un outil clientéliste que nous n’avons plus », reconnaît un sénateur du camp présidentiel auprès de Public Sénat. « Mais si demain on m’annonce que je vais avoir 140 000 euros, évidemment que je ne vais pas cracher dessus. » Fin octobre, 300 parlementaires de tous bords ont adressé une lettre ouverte à Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, et à Gérard Larcher, le président du Sénat, demandant le rétablissement de la réserve parlementaire. « Les parlementaires sont des décideurs nationaux de proximité, ils ont une connaissance fine des besoins de leurs territoires. Nous voulons rétablir ce financement de proximité tout en corrigeant les défauts de l’ancienne version : le manque de transparence qui a nourri un soupçon de clientélisme », écrivent-ils. Une première proposition de loi portée par les sénateurs LR Laurence Muller-Bronn et Alain Houpert est née de cette initiative, mais c’est finalement celle d’Hervé Maurey qui a été inscrite à l’ordre du jour. Un texte similaire a été déposé à l’Assemblée nationale par le député LR Dino Cinieri.

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La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. 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