Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Le Sénat « siffle la fin de la partie » et supprime un « cadeau fiscal scandaleux » pour la Fifa
Par François Vignal
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Un partout, la balle au centre. Le Sénat a supprimé ce samedi, dans le cadre de l’examen du budget, les mesures fiscales très avantageuses qui visent à attirer en France le siège de la Fifa (Fédération internationale de football association). Le gouvernement les avait retenues à l’Assemblée nationale, lors du recours au 49.3.
Les sénateurs de tous les bancs, de droite comme de gauche, ont en effet adopté, à la quasi-unanimité, plusieurs amendements identiques de suppression de cette mesure visant à attirer les fédérations sportives internationales. Les sénateurs du groupe RDPI (Renaissance) se sont abstenus ou n’ont pas pris part au vote. Il est cependant fortement possible que la mesure fasse son retour à l’Assemblée, les députés ayant le dernier mot, ou à la faveur d’un nouveau recours, très probable, au 49.3 par le gouvernement.
« C’est vu comme une forme de provocation pour le monde sportif »
C’est Francis Szpiner, sénateur LR de Paris, qui a lancé la contre-attaque. « C’est un cadeau fiscal démesuré, incompréhensible, scandaleux, et pour tout dire, obscène », a pointé du doigt le sénateur LR. « Donc la Fifa, qui est comme chacun sait un organisme particulièrement pauvre, n’a pas les moyens de payer l’impôt, […] obtient du gouvernement français un cadeau fiscal démesuré », a regretté celui qui est à l’origine avocat.
« Cette disposition est incompréhensible. Elle est perçue comme une forme de provocation », a ajouté le rapporteur général du budget, le sénateur LR Jean-François Husson, qui a déposé aussi un amendement de suppression. Il rappelle la (longue) liste des cadeaux fiscaux prévus : « Exonération d’impôt sur les sociétés, de TVA, de CFE, de CVAE… Et comme ça ne suffit pas, une exonération d’impôt sur le revenu pour le personnel pendant 5 ans. C’est scandaleux, c’est inique. Il faut siffler la fin de la partie, car c’est également vu comme une forme de provocation pour le monde sportif, notamment le monde sportif amateur », dénonce le rapporteur du budget au Sénat.
La mesure fait l’unanimité contre elle, autant à droite qu’à gauche. « C’est quand même une idée incroyable », s’étonne ainsi le communiste Eric Bocquet, « les fédérations sportives brassent des millions d’euros. […] Ce régime concernerait 34 fédérations sportives internationales, […] particulièrement la très lucrative Fédération internationale de l’automobile, […] dont le siège est à Paris, la Fédération internationale de football américain et surtout la Fifa, qui a une annexe à l’hôtel de la marine, à la Concorde, rénovée grâce aux fonds du Qatar », relève le sénateur PCF du Nord. Eric Bocquet donne au passage un chiffre :
« C’est scandaleux, inique, tous les mots ont été utilisés »
« C’est scandaleux, inique, tous les mots ont été utilisés », a renchérit le sénateur PS Eric Jeansannetas. La sénatrice des Ecologistes (nouveau nom d’EELV), Mathilde Ollivier, ajoute que « se pose la question de l’égalité du traitement à l’égard des charges publiques, voire le respect de la Constitution ».
Mathilde Ollivier relève la contradiction entre cette dépense et un gouvernement qui signale que « l’urgence est de réduire le déficit ». La sénatrice écologiste ajoute, face à ce qui a été qualifié de « paradis fiscal » pour la Fifa : « Alors que la France évoque régulièrement la concurrence fiscale dommageable de certains pays européens, le gouvernement prend le même chemin ».
« Il n’est pas question d’exonérer la Fifa sur les activités lucratives », assure le ministre Thomas Cazenave
Face à un hémicycle très opposé, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, a tenté de défendre « une disposition fiscale qui s’inscrit dans une stratégie globale qui est de faire de notre pays une nation sportive ». Regardez :
« Dans le cadre de cette ambition, on souhaite attirer sur notre territoire des fédérations sportives », soutient le ministre, qui souligne qu’« une fédération internationale a deux objets : elle a le rôle d’une organisation internationale et une vocation lucrative. En fait, ce sont deux hémisphères », explique Thomas Cazenave, qui assure « que ce sont des dispositions qui ne visent que les missions non lucratives », comme « animer les relations entre fédérations, l’activité de réglementation, l’organisation de compétitions, la promotion d’activités sportives. Ce n’est pas là-dessus que la Fifa fait beaucoup d’argent. C’est sur les droits télés, le sponsoring, les marques et produits dérivés. Il n’est pas question d’exonérer la Fifa sur les activités lucratives », « c’est sur ce qui relève au fond des activités d’une organisation internationale ».
« Quand sur tous les bancs, ça pense la même chose, vous devriez commencer à vous demander si vous n’avez pas tort »
« C’est merveilleux, au Sénat, on en apprend tous les jours, que l’Unesco et la Fifa, c’est quasiment pareil », a ironisé en réponse Francis Szpiner, qui continue : « Que fait la Fifa ? Elle organise des compétitions. C’est là que tombe la manne. Pour le reste, elle ne fait pas grand-chose. Donc je souhaite bien du plaisir à l’administration fiscale pour essayer de déterminer si le bureau de Paris travaille uniquement sur les activités marchandes de la Fifa, ou les activités non marchandes, qui je dois dire, m’échappent… »
« Vous n’hésitez pas à faire le grand écart. Je vous sais jeune. Je ne sais pas si vous êtes sportif, mais si vous l’êtes, soignez vos adducteurs, car le grand écart pourrait être douloureux. De l’Unesco à la Fifa, c’est incroyable le dispositif dérogatoire que vous feriez, ce serait unique », a raillé à son tour Jean-François Husson, qui dénonce encore cette volonté de « faire un pont d’or, déplacé et scandaleux, à la Fifa ». La conclusion pour Christian Bilhac, sénateur PRG (groupe RDSE) : « Quand sur tous les bancs, ça pense la même chose, vous devriez commencer à vous demander si vous n’avez pas tort… »
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