Budget 2024 : ce qu’il faut retenir du texte modifié et adopté au Sénat

Le Sénat adopte une proposition de loi pour une meilleure reconnaissance des juristes d’entreprise

Présentée ce mercredi 14 février en séance publique, la proposition de loi visant à « garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise » déposée par Louis Vogel, sénateur Horizons de Seine-et-Marne, a été adoptée quelques mois seulement après la censure de dispositions similaires insérées dans le cadre de la loi de programmation pour la Justice 2023-2027 et que le Conseil Constitutionnel avait qualifié de « cavalier législatif ». Retour sur les contours d’un sujet a priori confiné au secteur juridique, mais qui emporte en réalité également des enjeux économiques, financiers et de souveraineté qui ne sont pas négligeables.
Alexis Graillot

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« Pour une pleine reconnaissance du rôle des juristes d’entreprise » : ce sont par ces mots que le sénateur, auteur de la proposition de loi visant à « garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise » et avocat de profession Louis Vogel, intitulait sa tribune chez nos confrères des Echos le 3 juillet 2023. Sujet débattu dans le milieu juridique depuis le début des années 1990, le statut du juriste d’entreprise fait aujourd’hui son retour sur les bancs du législateur afin d’étendre le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques rédigées par les juristes d’entreprise. Quelles sont les objectifs de cette proposition de loi ? Que contient-elle précisément ? Quelles oppositions suscite-t-elle ? Autant d’interrogations que d’enjeux pour un sujet qui s’inscrit dans un contexte international pressant.

 

« Un élément de réponse à trois défis auxquels est confronté l’environnement juridique national »

 

Les dispositions contenues dans la proposition de loi s’inscrivent en réponse à un environnement juridique qui s’y prête.

Le premier défi a trait à des considérations économiques, en l’espèce, « l’application extraterritoriale par certaines autorités étrangères de leur droit national », à savoir la capacité pour un Etat à exercer ses normes juridiques au-delà de son propre territoire en raison des intérêts qu’elle peut avoir dans le pays concerné. Pour les auteurs de la loi et dans la continuité du rapport « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », de l’ex-député Raphaël Gauvain, la différence de protection de la confidentialité entre les juristes d’entreprise française et de leurs homologues étrangers, place les structures françaises dans une situation très défavorable et plus sujettes aux poursuites judiciaires : « Au total, les juristes d’entreprise français ne disposent pas des mêmes armes que leurs homologues dans d’autres pays. Ils se retrouvent dans une situation très défavorable dans laquelle leurs avis juridiques ne bénéficient d’aucune protection, alors que les avis émis par la quasi-totalité de leurs homologues à l’étranger sont protégés par des règles de confidentialité strictes ». En effet, la France est aujourd’hui un des seuls – si ce n’est le seul – pays de l’OCDE à ne pas avoir reconnu la confidentialité des consultations juridiques au juriste d’entreprise.

Cette absence de reconnaissance pose un deuxième défi aux considérations davantage financières, celui de « l’attractivité de la place de Paris ». Pour les auteurs de la proposition de loi, cette capacité à attirer les investisseurs à la fois français et étrangers est clairement posée en l’absence de protection de la confidentialité de ces consultations juridiques face à l’émergence des principes de « compliance » auxquelles les entreprises doivent se soumettre.

Ces principes de « compliance » — ou « conformité » en bon français – correspondent au troisième défi de nature plus normative et qui s’inscrit dans le contexte d’une augmentation croissante de la demande d’éthique à la fois dans les pratiques internes et externes des entreprises, comme le rappelle le rapport Gauvain précédemment cité : « Les entreprises sont désormais soumises (…) à des exigences légales de conformité très fortes ». Dès lors, ses auteurs estiment que « la protection de la confidentialité des avis juridiques va immanquablement favoriser la réflexion juridique au sein de l’entreprise et créer un champ de confiance qui permettra de détecter en amont des éventuels faits/comportements de nature à enfreindre les lois et bonnes pratiques ».

 

La reprise d’un dispositif déjà adopté l’an dernier … mais censuré par le Conseil Constitutionnel pour vice de procédure

 

Tout d’abord, la proposition de loi a largement repris le dispositif prévoyant l’octroi de la confidentialité aux consultations juridiques des juristes d’entreprise du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027.

Ce dispositif comportait 4 critères : la qualification, autrement dit, l’obligation pour le juriste d’entreprise d’être titulaire d’un master de droit ou équivalent (critère de « qualification ») ; la formation, en d’autres termes, le devoir pour le juriste d’avoir suivi des formations initiale et continue en matière de déontologie ; la destination, à savoir que seuls certains membres de l’entreprise peuvent se voir adresser ces consultations ; la matérialité, que l’on peut définir comme l’apposition obligatoire d’une mention écrite disposant que la consultation est soumise à confidentialité.

Cette confidentialité n’était cependant pas opposable dans le cadre de procédures pénales ou fiscales. Pour le dire plus simplement, la saisie de documents confidentiels dans le cadre de ces procédures spécifiques ne peut pas être contestée en justice.

Enfin, le dispositif prévoyait une procédure particulière de levée de la confidentialité d’un document confidentiel saisi.

Ce dispositif avait cependant été censuré « à juste titre » selon la rapporteure de la nouvelle proposition de loi, par le Conseil Constitutionnel fin 2023 pour méconnaissance de l’article 45 de la Constitution qui stipule : « Tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». En l’espèce, les Sages avaient estimé que ce dispositif, inclus par le biais d’un amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice, « ne présent[ait] pas de lien même indirect » avec celui-ci.

 

Un dispositif renforcé puis « sécurisé » après son passage en Commission

 

La nouvelle proposition de loi, désirant encadrer le plus possible les contours du dispositif, y a intégré plusieurs nouveautés, la plus importante d’entre elles étant sans nul doute la définition de la consultation juridique, considérée comme étant « une prestation intellectuelle personnalisée tendant, sur une question posée, à la fourniture d’un avis ou d’un conseil fondé sur l’application d’une règle de droit en vue, notamment, d’une éventuelle prise de décision ».

Le travail en Commission a également permis de clarifier certains points du texte suscitant des inquiétudes. Tout d’abord, la nouvelle proposition de loi a vocation à « renforcer les conditions » évoquées ci-dessus. Ainsi, le critère de qualification a été élargi, la Commission ayant adopté une forme de « clause du grand-père » s’adressant aux juristes d’entreprise « ayant déjà achevé leur formation initiale ». En vertu de cet amendement, sont considérés comme juristes d’entreprise les personnes « titulaires d’une maîtrise et de 8 ans d’expérience ».

En outre, en réponse aux inquiétudes concernant la création d’une éventuelle nouvelle profession réglementée, le critère de formation a été modifié par la suppression du terme « déontologie », pouvant prêter à ambiguïté avec le métier d’avocat : « Nous avons entendu ces craintes et avons rectifié ce point : la confidentialité doit être attachée à l’avis et non pas à la personne qui donne cet avis » nous explique Dominique Vérien.

Enfin, la proposition de loi a cherché à « consolider la procédure de contestation ou de levée de la confidentialité » en prévoyant un dispositif de saisie adapté à savoir « le placement sous scellé et la conservation de celle-ci par un commissaire de justice ».

 

« Les missions d’avocat et de juriste sont complémentaires »

 

Même si de nombreux parlementaires ont « salué » ces modifications et clarifications, il n’en reste pas moins que des inquiétudes subsistent toujours que ce soient du côté des sénateurs de gauche mais également de la part de certains élus centristes à l’image de Philippe Bonnecarrère, sénateur du Tarn, qui s’interroge sur un éventuel rapprochement entre les métiers de juriste d’entreprise et d’avocat : « Je me demande si l’adoption de la proposition de loi conduira à la convergence entre les deux professions ou si, à l'inverse, les juristes d’entreprise ayant obtenu le bénéfice de la confidentialité, le sujet du rapprochement sera maintenant clos ». « Tous les pays disposant du legal privilege (ou confidentialité des consultations juridiques) ne sont pas des défenseurs d’un Far-West de la vie économique » répond de son côté Dominique Vérien, qui met en avant la mise en place du dispositif de saisie supervisé par un commissaire de justice.

Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice socialiste de Paris, s’inquiète quant à elles de la limitation de la capacité de contrôle par les autorités administratives indépendantes (AAI) à l’image de l’Autorité des marchés financiers (AMF) ou de l’Autorité de la Concurrence (AdlC), que l’octroi du bénéfice de la confidentialité aux juristes d’entreprise constituerait, dans un contexte où la France se pose comme le fer de lance de la lutte anti-corruption : « Alors que notre pays a candidaté pour accueillir la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent, il est paradoxal de vouloir réduire les pouvoirs de contrôle de l’ACPR (NDLR : Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) ». Argument balayé par Louis Vogel : « La seule chose qui changera pour les AAI, c’est qu’elles ne pourront pas saisir les mises en garde des juristes pour incriminer l’entreprise ».

« Il faut permettre aux juristes d’attirer l’attention sur les fragilités des entreprises, et pour cela la confidentialité est nécessaire. Sinon, les AAI prennent tout dans leur filet lorsqu’elles cherchent une pratique délictueuse… » abonde Dominique Vérien, rapporteure de la loi, qui conclut : « Les missions d’avocat et de juriste sont complémentaires : l’avocat intervient ponctuellement pour une mission spécifique, alors que le juriste travaille en continu dans l’entreprise ».

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