Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
L’activité parlementaire du Sénat 2022-2023 : une année de (quasiment) tous les records
Par Alexis Graillot
Publié le
Comme chaque année, le Sénat a publié son rapport d’activité pour la session 2022-2023. Un rapport de plus de 200 pages particulièrement complet qui illustre une nouvelle fois une activité parlementaire fournie marquée par la réforme des retraites, un contrôle parlementaire renforcé mais également une place plus importante de la chambre haute dans la fabrique de la loi.
Une activité parlementaire indéniable
Le dernier rapport annuel sur la séance plénière et de l’activité du Sénat permet de constater un rôle accru de la chambre haute dans le processus législatif. Ainsi, plus de 93 % des textes ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux chambres (Assemblée Nationale + Sénat), soit par le biais de la navette parlementaire (41%), soit en commission mixte paritaire (52%) en cas de désaccord entre les deux chambres. Selon le rapport, « il s’agit du plus faible taux de « dernier mot » depuis 1958 en l’absence de concordance des majorités entre les assemblées ». En d’autres termes, seulement 7% des textes ont été adoptés via l’article 45 alinéa 4 de la Constitution qui stipule : « Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun (…), le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement ».
Cette activité parlementaire du Sénat est également visible à travers une initiative sénatoriale dans l’élaboration de la loi largement accrue par rapport aux précédentes années. Ainsi, près de 30% des lois définitivement adoptées sont issues de propositions de sénateurs, ce qui constitue un record depuis le début de la Ve République. Ce chiffre est supérieur de 10 points à celui de l’année 2021-2022, année d’élection présidentielle et six fois plus élevé que lors de la dernière session post-élection (2017-2018).
Autre chiffre éloquent pour la chambre haute : 9 projets de loi (c’est-à-dire les textes déposés par le gouvernement) sur 11 définitivement adoptés au cours de l’année parlementaire, ont été déposés en premier au Sénat.
Enfin, sur les amendements, 72 % des amendements adoptés par la chambre haute ont été repris par les députés, un chiffre de 6 points plus élevé par rapport à la session précédente (66%). En incluant les textes financiers, ce taux s’effrite quelque peu, s’établissant à 63 %, stable par rapport à l’année précédente (64%), mais en augmentation constante depuis 2019-2020 où il n’était qu’à 45%.
Un renforcement du contrôle parlementaire
Cette dernière session répertoriée a également été l’occasion pour le Sénat de renforcer son contrôle parlementaire, amorcée dès le début de l’année 2022 par le président de l’institution Gérard Larcher et Pascale Gruny, vice-présidente du Sénat, afin d’« améliorer l’efficacité du contrôle de l’action du Gouvernement ». Articulées autour de « 4 mots d’ordre : clarifier, coordonner, densifier et communiquer », les principales mesures ont comme objectif pour la chambre haute « d’exercer son rôle de contrepouvoir » des mots mêmes de son Président.
A la lumière des chiffres, ce renforcement du contrôle parlementaire peut s’observer de plusieurs manières. Tout d’abord, quant au questionnement, le rapport d’activité 2022-2023 fait état d’une explosion du taux de réponse aux « questions écrites » à la suite de la publication du « palmarès des ministres », à savoir le taux de réponse par ministre aux questions posées par les sénateurs. D’après les données, ce taux s’élève à 103%, un record depuis 1958. « Véritable instrument du contrôle parlementaire » selon le constitutionnaliste Michel Ameller, ce taux avait fortement diminué depuis plusieurs années. Ce dépassement de la « limite » des 100% s’explique quant à lui par un nombre de réponses plus élevé que le nombre de questions posées, fait particulièrement inédit. En comparaison aux deux précédentes sessions, ce chiffre est supérieur de 51%. De plus, toujours selon le rapport, la nouvelle organisation des séances de questions orales a permis la discussion d’un nombre record de questions orales avec 588 questions posées en séance, soit une augmentation de 82 % par rapport à la moyenne constatée au cours des dix dernières années. Ces nouvelles modalités d’organisation, entrées en vigueur fin 2021, ont débouché sur deux modifications majeures : d’une part, « la possibilité pour la Conférence des Présidents d’organiser des séances de questions orales supplémentaires, lors des semaines de contrôle, le jeudi matin à 10 h 30 ; d’autre part, « la réduction, de 2 minutes 30 à 2 minutes du temps accordé à l’auteur de la question, réplique comprise, et à la réponse du Gouvernement », qui a permis « d’inscrire jusqu’à 45 questions orales, contre 36 antérieurement, lors des séances du mardi matin, et jusqu’à 30 lors des séances du jeudi matin qui débutent à 10 h 30.
En outre, les débats ont été rendus plus interactifs grâce à la mise en place de deux nouvelles formules de débat. La première est articulée autour d’un format questions/réponses : « le ministre concerné peut répondre, s’il le souhaite, pendant une minute maximum à l’éventuelle réplique du sénateur (ouverte s’il lui reste du temps sur les deux minutes de sa question initiale), celui-ci pouvant ensuite, si le ministre a répondu, reprendre la parole pour un dernier mot d’une même durée d’une minute ». La deuxième fait écho à un format plus conventionnel : « : le ministre peut répondre à chaque orateur (pendant deux minutes), qui peut à son tour éventuellement répliquer (pendant une minute). Ces nouvelles formules ont permis une augmentation substantielle de réponses immédiates du ministre après l’intervention des sénateurs, qui se chiffre désormais à 70%.
Une session marquée par la place importante du Sénat dans la fabrique de la loi … mais également par la réforme des retraites et le recours systématique à la procédure accélérée pour les projets de loi
Le dernier rapport met également l’accent sur certains records établis cette année parlementaire. Ainsi, 265 propositions de lois ont été déposées par les sénateurs, dépassant largement le record établi lors de la précédente session (213), un chiffre par ailleurs en constante augmentation depuis 2016-2017 où seulement 119 propositions de loi avaient été proposées.
De la même manière, la session sénatoriale a été marquée par un nombre record d’amendements déposés : 18 561 en séance publique, plus de 22 000 si l’on intègre ceux déposés en commission dont presque la moitié concerne le projet de loi de finances rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) (47.5%), soit 10% au-dessus du précédent record de la session 2020-2021. Cette part particulièrement importante du PLFRSS dans le nombre total d’amendements s’explique par la réforme des retraites qui a été adoptée via ce véhicule législatif. Les groupes de gauche ont été les plus gros pourvoyeurs d’amendements, représentant à eux 3 plus de 2/3 des amendements en séance. A ce titre, cette réforme a consacré 10 jours et 110 heures de séance parmi lesquels 23 heures en session de soir et de nuit.
En revanche, le nombre de textes définitivement adoptés est à la baisse, se portant pour cette session à 44, soit 17 de moins qu’au cours de la session précédente. Néanmoins, 2/3 de ces textes sont d’origine parlementaire (17 propositions de loi émanant des députés et 12 pour les sénateurs) pour seulement 1/3 provenant du gouvernement (projets de loi). Selon le rapport du Sénat, « jamais la part des propositions de loi dans les lois promulguées n’a atteint un niveau aussi élevé que lors des deux dernières sessions ». Pour remettre ce chiffre en perspective, 35% des textes pour la session 2020-2021 étaient des propositions de loi, et seulement 20% pour 2008-2009. Parmi les 12 propositions de loi sénatoriales précédemment évoquées, on peut citer la loi du 24 janvier 2023 portant soutien aux édiles victimes d’agression, déposée par Nathalie DELATTRE (RDSE), la loi du 28 février 2023 portant sur le versement d’une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, déposée par Valérie Létard (UC), ou encore la loi du 20 juillet 2023 portant sur les objectifs de « Zéro artificialisation nette » au cœur des territoires et déposée par Jean-Baptiste Blanc (LR) et Valérie Létard (UC).
Enfin, si des efforts ont été observés dans la fabrique de la loi, une tendance à la réduction des débats au Parlement ne peut être occultée. Ainsi, la procédure accélérée est désormais devenue incontournable dans l’examen des projets de loi. Cette procédure, consacrée à l’article 45 alinéa 2 de la Constitution, prévoit qu’un projet de loi peut ne faire l’objet que d’une seule lecture par chambre parlementaire, réduisant par-delà même la navette parlementaire. Dans les chiffres, ce sont ainsi 100% des projets de loi qui ont été examinés via cette procédure contre 76,2%, la session dernière et 85% en 2020-2021. Selon le rapport du Sénat, « ces chiffres illustrent la tendance à faire de cette procédure la procédure de droit commun d’examen des projets de loi. De la même manière, le délai moyen d’adoption des textes s’est lui aussi effondré, atteignant 179 jours, soit 118 jours de moins que la session précédente, au plus bas depuis 2017-2018, avant-dernière session post-élection.
Pour aller plus loin