Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
IVG dans la Constitution : les six enseignements d’un parcours législatif réussi
Par François Vignal
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Un vote historique, de nombreux journalistes présents en tribune et une atmosphère particulière après le vote, Salle des conférences, au Palais du Luxembourg. Le vote du Sénat, mercredi soir, sur la constitutionnalisation de l’IVG, restera comme un moment fort. Un vote conforme, c’est-à-dire dans les mêmes termes que l’Assemblée, qui ouvre la voie à la convocation du Congrès, dès ce lundi 4 mars. Une dernière étape, par un vote à la majorité des 3/5, nécessaire pour inscrire dans le marbre du texte de 1958 la modification. Son issue positive ne fait pas de doute.
Ce vote conforme n’était pourtant pas acquis. L’incertitude planait dans les jours précédant la séance dans l’hémicycle, en raison d’un amendement, déposé par le sénateur LR Philippe Bas, pour revenir à la version que les sénateurs avaient adoptée il y a un an. De quoi rallonger les discussions. Finalement largement rejeté, la Haute assemblée a bien voté conforme le texte. Le succès de cette révision constitutionnelle nous donne plusieurs enseignements.
Une révision de la Constitution adoptée malgré deux chambres de couleur politique opposée
Réussir une réforme de la Constitution, c’est un peu comme vouloir se garer au centre de Paris ou faire pousser des tomates en hiver. Un pari hasardeux. Une révision de la loi fondamentale est en effet souvent semée d’embûches. Il faut que les députés et les sénateurs votent dans les mêmes termes le texte. En matière de révision de la Constitution, les députés n’ont pas le dernier mot. Il faut que les sénateurs votent conforme, puis qu’une majorité des 3/5 des députés et des sénateurs réunis en Congrès, à Versailles, adopte le texte, à moins de passer par référendum. C’est compliqué, et c’est fait exprès. On ne modifie pas la Constitution de 1958 tous les quatre matins.
Dans le contexte actuel, rien n’était évident sur le papier. D’un côté, une assemblée où Renaissance et ses alliés n’ont qu’une majorité relative, avec un groupe LR charnière, un groupe RN important et en face une gauche, marquée par sa diversité. De l’autre, un Sénat solidement ancré à droite et au centre. La majorité sénatoriale de Gérard Larcher repose en effet sur deux piliers, d’abord le groupe LR, mais aussi le groupe Union centriste, sans qui la droite n’a pas de majorité. Des LR qui sont en opposition à Emmanuel Macron, tout en votant, au cas par cas, ses réformes, comme les retraites ou le texte immigration, après modifications.
C’est pourtant avec ces deux assemblées très différentes, aux couleurs politiques opposées, qu’un vote conforme a bien eu lieu. Des gens que parfois tout oppose se sont mis d’accord, dans un contexte de polarisation exacerbée de la vie politique. Tout arrive.
Chez les LR et les centristes du Sénat, un décalage entre les chefs et les troupes
Ils avaient donné le la. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, était opposé à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Tout comme Bruno Retailleau, très actif président du groupe LR, qu’on sait conservateur sur les sujets de société. Il était opposé à la PMA pour toutes, tout comme au mariage entre personnes de même sexe. Du côté de l’autre jambe de la majorité sénatoriale, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, était également opposé à la constitutionnalisation de l’IVG.
Gérard Larcher, Bruno Retailleau et Hervé Marseille contre un texte. En général, on connaît l’issue : le Sénat rejette. Et pourtant, leurs troupes n’ont pas suivi les chefs à plumes, dans leur majorité. Il faut dire que sur les questions de société, la liberté de vote est la règle à droite et au centre. Chacun vote en son âme et conscience, ou selon ses enjeux politiques locaux aussi. Résultat, chez les LR, on compte 72 votes pour, face à 41 votes contre et 13 abstentions. A l’Union centriste, l’écart est encore plus grand, avec 41 pour, 7 contre et 7 abstentions.
Un Sénat de droite qui fait mentir les clichés
Le Sénat, cette assemblée âgée – forcément – composée d’hommes blancs, ne peut être que conservateur voire réactionnaire. En décalage des mouvements de société, qu’il ne comprend pas, coupé des réalités. Et bien non. Si les clichés ont parfois la vie dure (l’âge moyen est en réalité passé sous les 60 ans, à 59 ans et 11 mois), la réalité sait aussi les faire mentir. C’est un Sénat, à majorité de droite et du centre, qui a voté en faveur de l’inscription de la Constitution de l’IVG, avec aussi les voix de la gauche socialiste, écologiste et communiste, sans qui ça ne passait pas.
Pour certains élus de droite, c’est aussi une question d’image renvoyée, qui a pu jouer. Celle du Sénat, car c’est bien l’image de la Haute assemblée, qui était en jeu, comme pour eux. Certains qui étaient tentés par un vote contre ont fait part aussi de pressions émanant de leurs familles, de leur entourage. De quoi les faire réfléchir. Et au-delà, le sentiment et la prise de conscience que l’IVG est profondément inscrite dans la société a pu être moteur. Alors que la droite est souvent divisée sur les sujets de société, beaucoup d’élus, qui ont évolué parfois, pensent maintenant que la droite ne peut pas être en résistance sur ces questions.
Une victoire pour Emmanuel Macron, qui a sa réforme constitutionnelle
Il l’a, sa réforme constitutionnelle. Même si le sujet a été d’abord porté par la gauche, il l’a été aussi par son camp, avec Aurore Bergé. Et c’est un projet de loi déposé par le gouvernement qui va au bout. Lors du premier quinquennat, un autre projet de réforme constitutionnelle, beaucoup plus large, avait échoué. Après des mois de réflexion, discussions, négociations, palabres et tensions entre l’exécutif et le Sénat, la révision s’était conclue par un échec cuisant. Cette fois, celle sur l’IVG ira au bout. Cette réforme sera à mettre à l’actif d’Emmanuel Macron.
Une victoire aussi pour la gauche
Alors que l’Assemblée est à majorité relative macroniste, que le Sénat est à droite et au centre, ce vote sur l’IVG est aussi une victoire de la gauche. Car c’est bien de son camp qu’a été défendue, à l’origine, l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse. La première proposition de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution date de 2017 et avait été déposée par Laurence Cohen, ex-sénatrice communiste du Val-de-Marne. Elle a ouvert la voie.
Suivront les textes de Mathilde Panot, à la tête des députés LFI, de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel et de la sénatrice PS Laurence Rossignol. Toutes des femmes, de gauche, qui ont fait avancer le droit à l’IVG.
Un seul sujet plutôt qu’un texte fourre-tout : plus simple pour trouver une majorité pour réviser la Constitution
Sau-ci-sson-nage. C’est un autre enseignement de l’inscription réussie de l’IVG dans la Constitution : il vaut mieux se concentrer sur un seul et unique sujet. Un texte portant sur un seul thème aura logiquement beaucoup plus de chances d’aller au bout qu’une révision constitutionnelle fleuve, qui cumul les questions, souvent clivantes. Autant de risques d’empêcher sa réussite.
C’est ce qui est arrivé à la révision proposée par Emmanuel Macron, lors de son premier quinquennat. Le chef de l’Etat voulait réduire le nombre de parlementaires, le non-cumul des mandats dans le temps, une dose de proportionnelle, un encadrement du droit d’amendement, ou encore suppression de la Cour de justice de la République, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, ou encore l’entrée du statut particulier de la Corse dans la Constitution. Entre les désaccords politiques, l’affaire Benalla qui avait stoppé net l’examen de la première mouture de la réforme, et les blocages politiques avec le Sénat, la réforme a fini aux oubliettes.
A noter que la question Corse est toujours dans la course aujourd’hui. Un consensus se dégage entre le gouvernement et les élus corses pour donner à l’Île de Beauté une autonomie. Un texte qui ne porte que sur la Corse…
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