IVG dans la Constitution : les six enseignements d’un parcours législatif réussi

Après le vote conforme du Sénat, le Congrès va pouvoir adopter définitivement l’inscription de l’IVG dans la Constitution lundi 4 mars. Entre un vote conforme, malgré deux chambres politiquement opposées, des sénateurs qui n’ont pas forcément suivi leurs chefs, un Sénat qui fait mentir les clichés, une victoire pour Emmanuel Macron, mais aussi la gauche, on fait le point sur les enseignements de cette révision réussie.
François Vignal

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

Un vote historique, de nombreux journalistes présents en tribune et une atmosphère particulière après le vote, Salle des conférences, au Palais du Luxembourg. Le vote du Sénat, mercredi soir, sur la constitutionnalisation de l’IVG, restera comme un moment fort. Un vote conforme, c’est-à-dire dans les mêmes termes que l’Assemblée, qui ouvre la voie à la convocation du Congrès, dès ce lundi 4 mars. Une dernière étape, par un vote à la majorité des 3/5, nécessaire pour inscrire dans le marbre du texte de 1958 la modification. Son issue positive ne fait pas de doute.

Ce vote conforme n’était pourtant pas acquis. L’incertitude planait dans les jours précédant la séance dans l’hémicycle, en raison d’un amendement, déposé par le sénateur LR Philippe Bas, pour revenir à la version que les sénateurs avaient adoptée il y a un an. De quoi rallonger les discussions. Finalement largement rejeté, la Haute assemblée a bien voté conforme le texte. Le succès de cette révision constitutionnelle nous donne plusieurs enseignements.

  • Une révision de la Constitution adoptée malgré deux chambres de couleur politique opposée

Réussir une réforme de la Constitution, c’est un peu comme vouloir se garer au centre de Paris ou faire pousser des tomates en hiver. Un pari hasardeux. Une révision de la loi fondamentale est en effet souvent semée d’embûches. Il faut que les députés et les sénateurs votent dans les mêmes termes le texte. En matière de révision de la Constitution, les députés n’ont pas le dernier mot. Il faut que les sénateurs votent conforme, puis qu’une majorité des 3/5 des députés et des sénateurs réunis en Congrès, à Versailles, adopte le texte, à moins de passer par référendum. C’est compliqué, et c’est fait exprès. On ne modifie pas la Constitution de 1958 tous les quatre matins.

Dans le contexte actuel, rien n’était évident sur le papier. D’un côté, une assemblée où Renaissance et ses alliés n’ont qu’une majorité relative, avec un groupe LR charnière, un groupe RN important et en face une gauche, marquée par sa diversité. De l’autre, un Sénat solidement ancré à droite et au centre. La majorité sénatoriale de Gérard Larcher repose en effet sur deux piliers, d’abord le groupe LR, mais aussi le groupe Union centriste, sans qui la droite n’a pas de majorité. Des LR qui sont en opposition à Emmanuel Macron, tout en votant, au cas par cas, ses réformes, comme les retraites ou le texte immigration, après modifications.

C’est pourtant avec ces deux assemblées très différentes, aux couleurs politiques opposées, qu’un vote conforme a bien eu lieu. Des gens que parfois tout oppose se sont mis d’accord, dans un contexte de polarisation exacerbée de la vie politique. Tout arrive.

  • Chez les LR et les centristes du Sénat, un décalage entre les chefs et les troupes

Ils avaient donné le la. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, était opposé à l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Tout comme Bruno Retailleau, très actif président du groupe LR, qu’on sait conservateur sur les sujets de société. Il était opposé à la PMA pour toutes, tout comme au mariage entre personnes de même sexe. Du côté de l’autre jambe de la majorité sénatoriale, le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, était également opposé à la constitutionnalisation de l’IVG.

Gérard Larcher, Bruno Retailleau et Hervé Marseille contre un texte. En général, on connaît l’issue : le Sénat rejette. Et pourtant, leurs troupes n’ont pas suivi les chefs à plumes, dans leur majorité. Il faut dire que sur les questions de société, la liberté de vote est la règle à droite et au centre. Chacun vote en son âme et conscience, ou selon ses enjeux politiques locaux aussi. Résultat, chez les LR, on compte 72 votes pour, face à 41 votes contre et 13 abstentions. A l’Union centriste, l’écart est encore plus grand, avec 41 pour, 7 contre et 7 abstentions.

  • Un Sénat de droite qui fait mentir les clichés

Le Sénat, cette assemblée âgée – forcément – composée d’hommes blancs, ne peut être que conservateur voire réactionnaire. En décalage des mouvements de société, qu’il ne comprend pas, coupé des réalités. Et bien non. Si les clichés ont parfois la vie dure (l’âge moyen est en réalité passé sous les 60 ans, à 59 ans et 11 mois), la réalité sait aussi les faire mentir. C’est un Sénat, à majorité de droite et du centre, qui a voté en faveur de l’inscription de la Constitution de l’IVG, avec aussi les voix de la gauche socialiste, écologiste et communiste, sans qui ça ne passait pas.

Pour certains élus de droite, c’est aussi une question d’image renvoyée, qui a pu jouer. Celle du Sénat, car c’est bien l’image de la Haute assemblée, qui était en jeu, comme pour eux. Certains qui étaient tentés par un vote contre ont fait part aussi de pressions émanant de leurs familles, de leur entourage. De quoi les faire réfléchir. Et au-delà, le sentiment et la prise de conscience que l’IVG est profondément inscrite dans la société a pu être moteur. Alors que la droite est souvent divisée sur les sujets de société, beaucoup d’élus, qui ont évolué parfois, pensent maintenant que la droite ne peut pas être en résistance sur ces questions.

  • Une victoire pour Emmanuel Macron, qui a sa réforme constitutionnelle

Il l’a, sa réforme constitutionnelle. Même si le sujet a été d’abord porté par la gauche, il l’a été aussi par son camp, avec Aurore Bergé. Et c’est un projet de loi déposé par le gouvernement qui va au bout. Lors du premier quinquennat, un autre projet de réforme constitutionnelle, beaucoup plus large, avait échoué. Après des mois de réflexion, discussions, négociations, palabres et tensions entre l’exécutif et le Sénat, la révision s’était conclue par un échec cuisant. Cette fois, celle sur l’IVG ira au bout. Cette réforme sera à mettre à l’actif d’Emmanuel Macron.

  • Une victoire aussi pour la gauche

Alors que l’Assemblée est à majorité relative macroniste, que le Sénat est à droite et au centre, ce vote sur l’IVG est aussi une victoire de la gauche. Car c’est bien de son camp qu’a été défendue, à l’origine, l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse. La première proposition de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution date de 2017 et avait été déposée par Laurence Cohen, ex-sénatrice communiste du Val-de-Marne. Elle a ouvert la voie.

Suivront les textes de Mathilde Panot, à la tête des députés LFI, de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel et de la sénatrice PS Laurence Rossignol. Toutes des femmes, de gauche, qui ont fait avancer le droit à l’IVG.

  • Un seul sujet plutôt qu’un texte fourre-tout : plus simple pour trouver une majorité pour réviser la Constitution

Sau-ci-sson-nage. C’est un autre enseignement de l’inscription réussie de l’IVG dans la Constitution : il vaut mieux se concentrer sur un seul et unique sujet. Un texte portant sur un seul thème aura logiquement beaucoup plus de chances d’aller au bout qu’une révision constitutionnelle fleuve, qui cumul les questions, souvent clivantes. Autant de risques d’empêcher sa réussite.

C’est ce qui est arrivé à la révision proposée par Emmanuel Macron, lors de son premier quinquennat. Le chef de l’Etat voulait réduire le nombre de parlementaires, le non-cumul des mandats dans le temps, une dose de proportionnelle, un encadrement du droit d’amendement, ou encore suppression de la Cour de justice de la République, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, ou encore l’entrée du statut particulier de la Corse dans la Constitution. Entre les désaccords politiques, l’affaire Benalla qui avait stoppé net l’examen de la première mouture de la réforme, et les blocages politiques avec le Sénat, la réforme a fini aux oubliettes.

A noter que la question Corse est toujours dans la course aujourd’hui. Un consensus se dégage entre le gouvernement et les élus corses pour donner à l’Île de Beauté une autonomie. Un texte qui ne porte que sur la Corse…

Dans la même thématique

ISSY-LES-MOULINEAUX: France 24, press conference
3min

Parlementaire

France Médias Monde : les sénateurs alertent sur la baisse des crédits dans un contexte de guerre informationnelle

Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).

Le

IVG dans la Constitution : les six enseignements d’un parcours législatif réussi
7min

Parlementaire

Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

Le