Le Sénat

Ingérences : un rapport du Sénat veut interdire aux étrangers non-résidents de financer les partis politiques

Rendu public ce jeudi 25 juillet, un rapport sénatorial préconise une mobilisation globale des pouvoirs publics, mais aussi de la société civile, pour lutter contre les « influences étrangères malveillantes ». Face à ce qu’ils qualifient de « néo-guerre froide », les sénateurs déroulent 47 préconisations.
Romain David

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Les Jeux olympiques de Paris risquent fort d’être durant les prochaines semaines la cible privilégiée des fake news et des tentatives de déstabilisation étrangères. Mercredi soir, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a mis en garde contre une vidéo circulant sur les réseaux sociaux, et dans laquelle un prétendu militant du Hamas menace la France en brandissant une tête de Marianne décapitée. « Les services secrets français et leurs partenaires n’ont pas pu authentifier la véracité de cette vidéo », a indiqué le locataire de la Place Beauvau sur BFM TV, alors que la séquence en question a été relayée par de nombreux comptes pro-russes.

« Il est certain que la moindre erreur, le moindre échec dans l’organisation des Jeux olympiques sera instrumentalisée et amplifiée pour mettre en avant l’image d’une France fragilisée », relève le sénateur socialiste Rachid Temal, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur les ingérences étrangères, ou plus exactement les « influences étrangères malveillantes », selon la terminologie retenue par le Sénat.

Hasard du calendrier, cette commission présentait ses conclusions ce jeudi 25 juillet. Fruit de six mois de travaux, qui ont donné lieu à l’audition de 120 personnalités dont 5 ministres, le rapport d’enquête formule 47 préconisations pour permettre à la France de construire une réplique cohérente et efficace face à ce que les élus qualifient de « néo-guerre froide ».

« Nous avons besoin d’une révolution copernicienne »

« L’influence et la désinformation ne sont pas des phénomènes nouveaux dans les relations entre Etats. Ce qui est nouveau, c’est le recours au numérique et son amplification », relève le sénateur Les Républicains Dominique de Legge qui a présidé cette commission d’enquête parlementaire. « L’ingérence russe est celle que nous retrouvons dans le plus grand nombre d’évènements. Globalement, les ingérences sont pilotées par des dictatures vers les démocraties. La Russie est une dictature, mais il n’y a pas qu’elle. »

Si l’influence fait partie du jeu traditionnel des relations entre puissances, l’ingérence est « un moyen plutôt qu’une fin », explique le rapport du Sénat, avec la volonté de nuire aux intérêts du pays ciblé. « Bien souvent, les puissances étrangères ne créent pas l’événement, mais surfent dessus pour en tirer le pire et créer le chaos », explique Rachid Temal. « Nous avons besoin d’une révolution copernicienne de notre démocratie. Sommes-nous dans une logique de guerre informationnelle ? La réponse est oui. Devons-nous y répondre ? La réponse est encore oui ! »

Outre la Russie, la commission d’enquête identifie parmi les principaux « compétiteurs » engagés dans une guerre d’influence contre la France, la Chine, la Turquie ou encore l’Azerbaïdjan.

Plus de transparence sur le financement de la vie politique

La réponse proposée par la commission d’enquête s’articule autour de trois piliers : sensibiliser la population au risque, construire une politique interministérielle et mettre en place une « bataille des narratifs ». « Il ne s’agit pas de développer à notre tour une logique d’ingérence dans différents Etats, mais d’expliquer que l’on est mieux en démocratie que sous certains régimes autoritaires. Je crois que c’est une bonne chose », détaille le rapporteur.

Proposition la plus marquante : l’interdiction pour une personnalité politique ou un parti de souscrire un prêt auprès d’une personnalité étrangère ne résidant pas en France. Le Sénat souhaite également empêcher les étrangers non-résidents de cotiser aux partis politiques. Le cas du prêt russe accordé en 2014 au Rassemblement national, qui a nourri des soupçons de complaisance à l’égard du régime de Vladimir Poutine, a laissé des traces. Globalement, les parlementaires veulent renforcer le traçage du financement de la vie politique, en musclant les prérogatives de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques.

Il est également question de renforcer le « sourçage » des amendements et des questions parlementaires au Gouvernement, lorsqu’ils sont susceptibles de présenter un lien avec une autre puissance. Cette mesure fait directement écho à la mise en examen pour corruption de l’ancien député écologiste Hubert Julien-Laferrière, suspecté notamment d’être intervenu à l’Assemblée nationale à la demande d’un lobbyiste.

» LIRE AUSSI – Ingérences étrangères : quelles sont les règles qui s’appliquent aux élus ?

Créer un observatoire des influences étrangères

Alors que différents outils de lutte ont été mis en place ces dernières années, la commission d’enquête souhaite accorder un rôle central à Viginum, instrument de veille des ingérences numériques, rattaché au secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale. Les élus réclament un renforcement de ses moyens financiers, humains, matériels mais aussi juridiques. Il s’agit d’autoriser la collecte automatisée de données et d’allonger leur délai de conservation.

Les sénateurs évoquent aussi la création d’un observatoire des influences étrangères, sorte d’outil de suivi des tentatives de déstabilisation, dont le pilotage ne serait pas gouvernemental mais plutôt académique. « Nous avons vraiment besoin d’améliorer les études sur l’impact réel de ces ingérences sur les populations », souligne le sénateur Temal.

Vieux serpent de mer : imposer un statut d’éditeur aux plateformes numériques. « On ne peut pas leur laisser dire qu’elles ne sont concernées en rien par ce qui passe dans leurs tuyaux, alors qu’elles pratiquent un travail d’editing en faisant remonter certains contenus », tempête le rapporteur.

Une mobilisation à tous les étages

Les sénateurs insistent sur la nécessité d’élaborer une « stratégie globale ». Une première mouture du rapport prévoyait la création d’un secrétariat dédié, mais il est finalement apparu aux rédacteurs que l’ensemble du gouvernement devait être mobilisé. « Je sais avec certitude que les bonnes volontés ne manquent pas, mais leur adition ne fait pas une politique », observe Dominique de Legge. « L’objectif est de faire en sorte qu’au plus haut sommet de l’Etat, il y ait une impulsion pour irriguer l’ensemble des ministères. » Si les ministères régaliens que sont l’Intérieur, les Affaires étrangères et la Défense paraissent plutôt en pointe sur ce sujet, les sénateurs estiment que certains champs ont en revanche été délaissés par les pouvoirs publics, comme les médias, l’éducation ou la culture.

Le rapport évoque ainsi la création d’une « Pléiade d’influence », regroupant des écrivains, scénaristes et autres artistes « au service de la politique d’influence et de la diplomatie publique ». Il est également question de créer un « pass média », sur le modèle du pass jeune, pour financer des abonnements à la presse à partir de 15 ans.

En revanche, le chiffrage de ces différentes mesures n’est pas mentionné par le rapport. À dessein : « Si l’on commence à donner des montants, la première réaction sera de dire : c’est trop ou pas assez… au détriment du fond », balaye Rachid Temal.

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