Ingérences étrangères : une cinquantaine d’entreprises stratégiques ont été ciblées par des attaques « physiques » en 2023, précise Sébastien Lecornu

Auditionné au Sénat dans le cadre de la commission d’enquête sur les influences étrangères, le ministre des Armées a souligné la vulnérabilité de l’industrie de la défense. Exposées à un risque de cyberattaques, elles sont aussi visées par des tentatives d’espionnage, de cambriolage, voire de sabotage.
Rose Amélie Becel

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Avec ses neuf grands groupes, ses 4 000 PME et ses plus de 200 000 emplois, la base industrielle et technologique de défense (BITD) est une cible de choix pour les opérations d’ingérence. Ces entreprises, qui produisent des équipements stratégiques pour l’armée française, peuvent être visées par des cyberattaques, mais elles sont aussi visées physiquement par des tentatives d’espionnage, de cambriolage et même de sabotage.

« C’est quelque chose qui est très “guerre froide”, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », alerte le ministre des Armées devant le Sénat ce 25 juin. Dernier auditionné de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères, Sébastien Lecornu a tenu à sensibiliser les élus sur la vulnérabilité de l’industrie de la défense face à ces opérations d’ingérence en leur révélant des chiffres inédits.

80 % des attaques visent des sous-traitants

En 2021, ces entreprises ont été la cible d’une « quarantaine » d’attaques « physiques », c’est-à-dire des « intrusions, cambriolages, tentatives d’approches », énumère Sébastien Lecornu. En 2022 et en 2023 le chiffre monte à une « cinquantaine », affirme le ministre. « On n’est pas sur une petite opération de cyberattaque, mais bel et bien sur une opération beaucoup plus structurée de gens qui – au gré d’une visite, au gré d’un cambriolage qui paraît quelconque – tentent une intrusion dans une industrie de défense et dont il nous est clairement apparu que ça n’avait rien de domestique, que c’était bel et bien commandité par un acteur étranger », détaille-t-il.

Face à ces opérations, les entreprises les plus vulnérables restent les sous-traitants, ciblés par 80 % de ces attaques physiques, annonce le ministre. « C’est sûr que Dassault, Thales, Safran ont développé des capacités internes importantes de protection. Mais le petit sous-traitant en province, qui produit le composant majeur ou connexe mais clé, est le plus violement exposé à ces risques d’ingérences », constate-t-il.

La France « beaucoup plus épargnée que ses voisins » par le sabotage

Outre l’espionnage et les cambriolages, ces opérations physiques prennent aussi la forme de tentatives de sabotage, pour lesquelles la France est « beaucoup plus épargnée que ses voisins », estime Sébastien Lecornu. Des attaques « clairement » liées à la guerre en Ukraine, affirme le ministre, contre lesquelles la France se protège notamment en dupliquant ses outils de production : « Sur la chaîne de montage du canon Caesar, vous aviez des morceaux critiques parce qu’uniques, on a donc demandé à KNDS France [le fabriquant du canon, ndlr] de dupliquer ses outils au cas où l’un soit saboté. »

Si le ministre des Armées affirme avoir déjà « bien avancé » pour sécuriser ces entreprises vulnérables, il estime que le secteur doit aussi « investir pour sa propre protection ». Cela passe avant tout par la formation des salariés, demande Sébastien Lecornu, pour qui « il n’y a pas assez de sensibilisation ». « Si les gens ne respectent pas les règles, il faut les punir. On ne peut pas demander à un militaire de respecter les règles et le punir quand il ne le fait pas, et s’en accommoder lorsqu’il s’agit d’un salarié d’une boîte de défense », réclame-t-il.

Sur les questions de sécurité informatique, une formation plus poussée est d’ailleurs envisagée pour l’ensemble des lycéens, à l’occasion de leur Journée de défense et de citoyenneté (JDC). « Sur une journée, je pense que plutôt que de s’éparpiller sur pas mal de sujets, quelques règles de vigilance numérique trouveraient leur place dans une JDC durcie », affirme le ministre, qui annonce avoir « amorcé » cette transformation de la JDC.

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Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

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