Ingérences étrangères : « La désinformation est devenue une véritable arme de guerre », alerte Jean-Noël Barrot

Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur les influences étrangères, le ministre de l’Europe a dénoncé une « brutalisation des relations internationales » depuis une dizaine d’années, notamment à l’initiative de la Russie, dont il a pointé les « moyens sans commune mesure », dans la propagation de fausses informations.
Alexis Graillot

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Les auditions de ministres s’enchaînent au sein de la commission d’enquête sénatoriale sur les influences étrangères. Après le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, ce mardi 29 mai, c’était au tour de Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe, de faire part de ses inquiétudes sur un phénomène, qui ne touche pas seulement la France, mais une large partie des démocraties occidentales.

« La Russie se distingue par des moyens sans commune mesure »

« Depuis 2014, les ingérences étrangères sont de plus en plus courantes », note d’emblée, Jean-Noël Barrot, qui rappelle des « événements importants » à l’image des « MacronLeaks », survenus lors de la campagne présidentielle de 2017, au cours de laquelle l’équipe du candidat En Marche ! s’était vue interceptée environ 20 000 mails, publiés deux jours avant le second tour de l’élection, opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen.

« La désinformation est devenue une véritable arme de guerre », souligne ainsi le ministre, pour qui « lorsqu’elle vise la France, elle contribue à instiller le doute, à dénigrer notre image et notre politique étrangère, et à affaiblir notre cohésion sociale ». A ce titre, Jean-Noël Barrot souhaite alerter tout particulièrement sur les ingérences provenant de la Russie, expliquant que celle-ci « se distingue par des moyens sans commune mesure », tels des « think tanks », mais aussi « des centaines de milliers de comptes inauthentiques », visant essentiellement à « amplifier les rejets » contre la France.

Une menace qui vient de Russie, mais pas seulement, le ministre citant également « la Chine, la Turquie et l’Iran ». On se souvient par exemple des cyberattaques chinoises, ayant touché en 2022, sept parlementaires français, parmi lesquels Olivier Cadic, qui s’en était particulièrement ému lors d’une question au gouvernement, fin avril dernier (lire notre article). L’Azerbaïdjan se trouve également dans le viseur des autorités françaises, en raison des ingérences supposées du régime de Bakou dans les émeutes ayant eu lieu en Nouvelle-Calédonie.

« Nous sommes sortis de la naïveté »

Pour autant, Jean-Noël Barrot ne souhaite pas faire preuve d’une inquiétude plus que nécessaire, notant que « nous sommes sortis de la naïveté », et que la France bénéficie désormais de plusieurs « outils de riposte ». Le ministre note par exemple la loi visant à réguler l’espace numérique, dont il explique qu’elle inclut « une extension de la capacité de l’ARCOM à faire cesser la diffusion de médias visés par les sanctions européennes, lorsqu’ils sont diffusés en ligne ». Mais c’est aussi la toute récente loi visant à lutter contre les ingérences, votée au Sénat dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, qui crée registre où devront s’inscrire les représentants d’intérêts (lobbies) étrangers, mais également une très controversée disposition autorisant les services de renseignements à utiliser des algorithmes pour détecter les opérations d’ingérences. Une mesure qui avait fait bondir les sénateurs de gauche, au premier rang duquel le sénateur communiste Pascal Savoldelli : « Nous sommes en train de sacrifier notre état de droit sur l’autel de la lutte contre les ingérences étrangères », s’était-il ému en séance.

Tous ces éléments conduisent le ministre à dire, que « les enseignements ont été tirés » des MacronLeaks, en réaction à une question du rapporteur PS de la commission d’enquête, Rachid Temal. « Il fallait se doter d’une capacité de détection et d’attribution des ingérences étrangères en période électorale », pointe Jean-Noël Barrot, pour qui cette affaire a permis la création de Viginum, service numérique de l’Etat pour lutter contre les ingérences en ligne. « Ce service est inédit en Europe », salue le ministre, qui indique que, grâce à cet organisme, « 60 manœuvres soupçonnées d’être attribuées à des intérêts étrangers » ont été repérées, pour « 6 identifiées comme telles ». Les ingérences numériques, constituant « une forme nouvelle » d’ingérences, « il faut pouvoir s’appuyer sur une expertise nouvelle ». S’il note qu’ « on peut toujours faire mieux », il loue la « montée en puissance rapide » du service, « qui est devenu un service remarqué sur le plan international ».

« La volonté est là, l’ambition aussi, nous n’en doutons pas », appuie de son côté Rachid Temal, qui regrette cependant l’absence d’une « stratégie globale ». Un reproche dont le sénateur se fait le porte-parole à la suite de plusieurs auditions des différents services de l’Etat, qui ont fait état de ces mêmes carences. Un reproche que ne conteste qu’à moitié le ministre : « La démocratie ne fonctionne que lorsque les citoyens sont correctement éclairés », signale Jean-Noël Barrot, qui pointe que « lorsque ce n’est plus le cas, la démocratie vacille sur ses bases ». « Nos ennemis semblent avoir mieux compris cela que les démocraties elles-mêmes », se désole-t-il.

 Nous devons nous abstenir quand on est la puissance publique, de prescrire le vrai et le faux, pour se concentrer sur le comportement des acteurs malveillants 

Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe

Détecter, traiter, développer l’immunité

Pour l’ex-ministre délégué chargé du Numérique, la « meilleure stratégie globale » est analogue à celle qui serait menée dans le cadre de la lutte contre un virus. « Comment résister ? En le détectant, le traitant, et en développant l’immunité », énonce-t-il en triptyque. Sur le volet « détection », le ministre souligne qu’il s’agit de l’étape « la plus difficile », puisque la France, comme toute démocratie, se situe sur une « ligne de crête ». « Nous devons nous abstenir quand on est la puissance publique, de prescrire le vrai et le faux, pour se concentrer sur le comportement des acteurs malveillants », explique Jean-Noël Barrot, pour qui la vérification des faits « passe par une presse pluraliste et indépendante ».

Sur le volet « traitement », il souligne que « nous avons progressé avec le DSA (NDLR : Digital Services Act (lire notre article)) qui a permis pour la première fois, de confier aux plateformes, des responsabilités importantes sur la lutte contre la désinformation en leur intimant d’analyser et d’atténuer le risque que le fonctionnement de leurs services fait peser sur le discours civique ». « Pour la première fois, des sanctions ont été prises à l’encontre des médias utilisés par le pouvoir russe pour faire ingérence dans le débat public », détaille encore Jean-Noël Barrot, faisant notamment référence à l’interdiction de Russia Today, accusé de faire la propagande du régime du Kremlin.

Sur le volet du « développement de l’immunité collective », le ministre centre son propos sur la capacité dont doit faire preuve chaque citoyen, pour « résister à la contamination des fake news en étant mieux capable de différencier les sources authentiques de celles inauthentiques ». Cela passe selon lui par une plus grande « éducation aux médias ». A cet égard, il met en valeur la mise en place du passeport numérique », un dispositif qui « sensibilise les jeunes collégiens aux risques et aux attitudes à adopter en ligne ». « Nous devons développer notre capacité à faire rayonner les contenus français et européens », martèle Jean-Noël Barrot, qui souhaite lancer une « plateforme européenne de référence sur le modèle d’Arte », chaîne franco-allemande, diffusée sur le canal 7.

« Le DSA n’est qu’une étape »

Conscient cependant des lacunes persistances du dispositif législatif actuel, au niveau français et européen, le ministre de l’Europe se montre ouvert à l’idée d’aller plus loin : « Le DSA est un pas historique », avec « une phase de mise en œuvre qui suppose de notre part, une vigilance absolue », alerte-t-il, relevant que le règlement européen « n’est qu’une étape ». « Avec mon homologue allemand et polonais, nous avons rédigé une déclaration visant à prendre 20 mesures, destinées à mieux protéger la démocratie et le débat public ».

Pour n’en citer que deux d’entre elles, le ministre dégage notamment de ces recommandations, la mise en place d’un « nouveau régime de sanctions visant les opérations russes de manipulation de l’information ». En outre, il propose que la Commission européenne puisse « rendre obligatoire le code de bonne conduite sur la lutte contre la désinformation », qui n’est aujourd’hui contenu que dans l’annexe du DSA, et ne revêt ainsi que d’un caractère non contraignant. Cette déclaration a été soutenue par 16 Etats membres (sur 27), preuve pour Jean-Noël Barrot, de « l’intérêt porté à ce sujet ».

Le ministre s’inquiète également d’éventuelles ingérences dans le scrutin européen à venir, alors qu’une vague de députés d’extrême-droite devrait rejoindre les bancs du Parlement européen, le 9 juin prochain : « J’ai interpellé la Commission européenne, pour qu’elle se saisisse de toutes les facultés dont elle dispose depuis le DSA pour garantir la sincérité du scrutin européen », assure-t-il.

Avant de conclure : « Il y a plus d’utilité pour le prebunking que le debunking ». En d’autres termes, le travail sur la désinformation doit s’opérer en amont de la fausse information, plutôt qu’après que celle-ci soit révélée. Car le mal est déjà fait…

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Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

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