Ingérences étrangères : « Je suis pour la levée de l’anonymat et la responsabilité éditoriale » des plateformes, déclare Gérald Darmanin

Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur les influences étrangères, le ministre de l’Intérieur et des Outremer a reconnu une coopération « difficile » et « inégale » avec les plateformes, se réjouissant cependant que la France ne soit « pas naïve » sur le sujet.
Alexis Graillot

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Programme chargé pour la commission d’enquête sénatoriale sur les influences étrangères, qui lance cette semaine, sa vague d’auditions de plusieurs ministres. Avant Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l’Europe, auditionné ce mercredi 29 mai, et Stéphane Séjourné, ministre des Affaires étrangères le 18 juin prochain, c’est le ministre de l’Intérieur et des Outremer, Gérald Darmanin, qui s’est présenté, ce mardi, devant les élus du palais du Luxembourg.

Alertant d’entrée de jeu sur la « menace de sécurité intérieure », que constituent les ingérences étrangères, le locataire de la place Beauvau a mis l’accent, tout au long de son intervention, les difficultés que peuvent connaître les services de renseignement, dans la lutte contre ces ingérences au regard de la multiplicité des formes qu’elles peuvent revêtir.

Le ministre s’est cependant voulu rassurant, rappelant que « la France n’est pas naïve », et « dispose d’un arsenal complet, technique, humain et législatif », tout en se montrant « très favorable », à une amélioration de la stratégie. Et ce, alors qu’une proposition de loi luttant contre les influences étrangères a été votée jeudi dernier au Sénat, venant percuter quelque peu les travaux de la commission d’enquête.

 75 % des contenus signalés pendant les émeutes et les crimes du 7 octobre proviennent de X avec très peu de retraits de X lui-même 

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer

« Les plateformes amplifient les ingérences »

Rappelant au début de son intervention que « les ingérences étrangères peuvent être étatiques ou non étatiques », le ministre de l’Intérieur explique que ces dernières sont « difficiles à caractériser », la plupart étant inspirées par des « proxys » ou encore des « ONG ». « Nous devons d’abord regarder cette nouvelle forme d’action », invite-t-il, qui passe régulièrement « par les nouveaux modes de communication ».

A propos de ces nouveaux médias, Gérald Darmanin rappelle le rôle de Pharos, dont il explique qu’elle « vise essentiellement à lutter contre la pédocriminalité », mais qui constitue de manière plus large, une plateforme de police judiciaire, qui sert à signaler les contenus et comportements illicites en ligne. Un outil cependant insuffisant, la responsabilité de la suppression du contenu appartenant aux plateformes, et non pas à l’outil lui-même.

Ce qui nécessite une coopération avisée avec les réseaux sociaux, qui n’est pas toujours aisée, à en croire le ministre : « La coopération est difficile avec les plateformes », concède-t-il, relevant également son caractère « inégal » selon l’interlocuteur. A cet égard, si Gérald Darmanin veut « saluer le travail avec Meta [ex-Facebook] qui montre un certain entrain depuis plusieurs mois à répondre à la loi française », la donne est totalement différente en ce qui concerne TikTok et X (ex-Twitter). « 75 % des contenus signalés pendant les émeutes et les crimes du 7 octobre proviennent de X avec très peu de retraits de X lui-même », déplore le ministre, qui pointe « une sauvagerie en ligne qui attire l’œil ».

Sans pour autant se prononcer sur l’opinion de l’entièreté de l’exécutif, Gérald Darmanin se déclare, « à titre personnel », favorable à la levée de l’anonymat et à la responsabilité éditoriale des plateformes. D’autant plus que si les plateformes ne sont pas directement responsables des ingérences, elles les « amplifient », note-t-il, via « l’utilisation des bots » (NDLR : logiciels utilisés pour effectuer certaines tâches), mais aussi des « deep fakes » (images détournées) par l’utilisation de l’intelligence artificielle.

Ainsi, le locataire de la place Beauvau distingue trois cas de figure : « dans l’ingérence, il n’y a pas seulement la révélation de quelque chose qui serait vrai, mais également du faux qu’on essaye de propager et du « faux faux » qui n’est même pas appuyé sur une base réelle ».

« On repère, on caractérise et on entrave »

Face à ces défis, les services de sécurité du ministère se veulent proactifs pour lutter contre ces menaces, dans un contexte notamment marqué par plusieurs campagnes d’ingérences étrangères, à l’image des « mains rouges », des émeutes en Nouvelle-Calédonie amplifiées par l’Azerbaïdjan, mais également l’ombre de la Russie planant sur les élections européennes.

« L’influence en soi n’est pas répréhensible », remarque en premier lieu Gérald Darmanin, qui prend soin de la distinguer de l’ingérence, qui constitue une « menace de sécurité intérieure », « marquée par le sceau de la malveillance […] tendant à infléchir ou à déstabiliser l’Etat, sa politique, les forces vives de cet Etat ou son positionnement sur la scène internationale ». A ce titre, le ministre note que « la France n’est pas démunie », disposant en la matière d’un « cadre juridique assez renforcé ».  « Lorsque les faits sont établis, il nous convient de riposter : on repère, on caractérise et on entrave », énonce-t-il de manière triptyque.

A propos d’entraves, le ministre énumère un ensemble de sanctions administratives, citant par exemple l’ « interdiction d’accès au territoire national », ou encore « l’exclusion du territoire pour menaces graves à l’ordre public ou aux intérêts fondamentaux de la nation », qui peuvent intervenir en complément d’éventuelles mesures judiciaires.

Des « points d’alerte » et des angles morts

Pour autant, Gérald Darmanin pointe 2 « points d’alerte », d’une part autour des Jeux Olympiques et Paralympiques, au regard notamment de la fausse information sur les punaises de lits, et d’autre part, « une activité extrêmement forte de ceux qui veulent nuire à la France dans les outremers, par chantage ou par rétorsion parce que la France a pris des positions ». Un cas de figure valable pour l’ensemble des territoires ultramarins, et « pas uniquement la Nouvelle-Calédonie », avertit le locataire de la place Beauvau. Néanmoins, pas question pour le « premier flic de France » d’évacuer ce sujet néo-calédonien, hautement inflammable. « Entre le 15 et le 18 mai, nous avons eu énormément de messages sur les réseaux sociaux et de fake news », note-t-il. « Il a fallu qu’on hausse le ton ».

En outre, le ministre a souhaité souligner deux angles morts, facteurs d’ingérence. Le premier d’entre eux relève de « la place des think tanks » ou encore « des instituts linguistiques et culturels », qui peuvent se faire des relais d’intérêts étrangers. Plus étonnant, Gérald Darmanin soulève comme deuxième point, un risque quant à des ingérences provenant de l’intérieur même de l’appareil d’Etat, même s’il est négligeable : « J’ai toujours été étonné que les ministres eux-mêmes ne subissent pas de classification et d’entretien de confidentialité », regrette-t-il, soulignant qu’ « un ministre n’en est pas moins un homme ou une femme avec ses faiblesses ». « Une grande démocratie devrait y regarder de plus près », déclare-t-il, proposant un système de « déclaration sur l’honneur ».

« Sensibiliser » les élus et les Français

Non moins important, Gérald Darmanin s’est vu questionner sur la présence (ou non) d’une stratégie nationale en matière de lutte contre les ingérences. A cet égard, il constate « un travail à faire dans les collectivités locales », en trouvant « un moyen de sensibiliser et d’entraver sans que l’Etat puisse limiter leur pouvoir d’action ». De fait, il se prononce clairement en défaveur de la possibilité pour les maires de connaître le nom des fichés S au sein de leurs communes, étant donné que les élus locaux ne disposent « pas des mêmes réflexes du secret par nature ».

Un travail de sensibilisation également à faire en direction des Français, comme le note la sénatrice centriste de l’Aube, Evelyne Perrot, qui s’alarme d’une « population qui doute de tout », et qui appelle de ses vœux à « avoir une information et une communication plus simple mais vraie ». « Il est plus facile de croire une mauvaise nouvelle qu’une bonne », répond le ministre de l’Intérieur, qui regrette une « société paranoïaque », n’évacuant cependant pas la responsabilité de l’Etat et une « communication qui n’est pas comprise ».

En plus du service national universel, que l’exécutif propose de généraliser très prochainement, et qui pourrait notamment constituer « un endroit qui relève de la sécurité de la nation », Gérald Darmanin estime que « les attachés de sécurité intérieure pourraient tout à fait avoir comme mission d’éduquer et d’informer ».

Une proposition de loi votée jeudi 23 mai au Sénat

Enfin le locataire de la place Beauvau a été interrogé par le rapporteur PS de la commission, Rachid Temal sur des propositions en complément des dispositifs existants, parmi lesquels le Digital Services Act (DSA) au niveau européen (lire notre article), ou encore la proposition de loi votée jeudi 23 mai au Sénat (lire notre article).

S’il affirme « se réjouir de toute initiative européenne », il pointe cependant le manque de dissuasion économique à l’encontre des plateformes. « Le plus simple serait que des amendes extrêmement fortes puissent être prononcées à la société, afin de lutter contre ce modèle économique, qui ne répondrait pas aux demandes administratives documentées », soutient-il, ajoutant vouloir « faire périr là où ça pêche ».

Reste à savoir jusqu’où la loi peut aller en matière de répression, sans trop faire peser un risque sur les libertés fondamentales. A cet égard, le texte débattu la semaine dernière au Sénat, propose notamment la création d’un registre où devront s’inscrire les représentants d’intérêts étrangers. Il autorise également les services de renseignements à utiliser des algorithmes pour détecter les opérations d’ingérences. Une disposition qui avait fait bondir les sénateurs de gauche, qui avait accusé le texte d’être « en train de sacrifier notre état de droit sur l’autel de la lutte contre les ingérences étrangères ».

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. 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