Ingérences étrangères : « Des risques importants sur les processus démocratiques nationaux », alerte le président de la HATVP

Auditionné par la commission d’enquête sur les influences étrangères, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, Didier Migaud, alerte sur un « enjeu de souveraineté », et réclame davantage de « moyens humains et informatiques », qu’il estime comme n’étant « absolument pas à la hauteur des enjeux ».
Alexis Graillot

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Les ingérences étrangères sont au cœur de l’activité sénatoriale. Après le vote tard dans la nuit d’une proposition de loi en la matière, qui propose notamment la création d’un registre où devront s’inscrire les représentants d’intérêts étrangers, la commission d’enquête poursuit en parallèle ses auditions.

Quoique largement adoptée, la proposition de loi n’est pas exempte de critiques à gauche comme à droite. Du côté des premiers cités, on critique notamment l’autorisation accordée aux services de renseignements à utiliser des algorithmes pour détecter les opérations d’ingérences. Du côté des deuxièmes, on questionne l’efficacité même du dispositif, le président de la commission d’enquête LR, Dominique de Legge, déplorant un « texte pas à la hauteur ».

Un « bilan décevant » de la mise à jour des règles de l’autorité

« La multiplication des influences directes ou indirectes, leur manque de traçabilité et complexité, font peser des risques importants sur les processus démocratiques nationaux », rappelle d’emblée Didier Migaud, qui prend bien soin au préalable de distinguer « influence » et « ingérence ». Dans ce dernier cas, l’ingérence revêt un « caractère dissimulé et malveillant ».

Cependant, les moyens mis en œuvre par ces acteurs « malveillants », endossent régulièrement un caractère plus subtil, puisque ces derniers peuvent « se servir des canaux de l’influence de la représentation d’intérêts ». Pour lutter contre ces ingérences, l’autorité administrative indépendante possède sous la main plusieurs dispositifs, allant de « l’encadrement de la représentation d’intérêts », en passant par « le contrôle des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêt des responsables publics », mais également via « le contrôle des mobilités professionnelles entre les secteurs public et privé ».

Au regard de la multiplication du phénomène, la Haute autorité a décidé d’actualiser ses lignes directrices, puisque « les représentants d’intérêt doivent désormais déclarer les administrations étrangères qui font appel à leurs services ». Un bilan jugé comme « décevant » par Didier Migaud, étant donné que « seules deux entités » ont opéré une telle déclaration, et « aucune fiche d’activité ne cite une administration étrangère comme bénéficiaire ».

 Les think-tanks doivent être considérés comme des vecteurs d’influence possibles, voire au-delà 

Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

Moyens insuffisants

Même si ce dispositif est tout récent, force est de constater que la transparence n’est pas toujours légion, d’autant plus que « certains canaux officiels peuvent contribuer à exercer une influence sur un certain nombre d’activités ». La loi Sapin II, votée en 2016, et telle qu’actuellement rédigée trouve ainsi des limites, pour lesquelles le président de la HATVP souhaite trouver des réponses : « Il est très important que les cercles de réflexion soient soumis aux mêmes règles, mais aussi de connaître leurs financements », explique-t-il, ajoutant : « Les think-tanks doivent être considérés comme des vecteurs d’influence possibles, voire au-delà », défend le haut fonctionnaire.

Le président de la HATVP souhaite ainsi que la future proposition de loi englobe une « définition plus large » des représentants d’intérêts (ou lobbyistes). Pour autant, élargir cette définition implique en parallèle un élargissement des moyens de l’autorité actuelle. « La HATVP, c’est 75 agents, et sur le dispositif Sapin II, seulement 10 agents. Si je compare avec les autres pays, je suis gêné quand on me pose la question [sur les effectifs] », regrette-t-il.

« Nous manquons de personnels pour faire vivre concrètement ce répertoire », martèle Didier Migaud, qui estime nécessaire « 6 à 10 personnes supplémentaires », mais également « des moyens informatiques ». « Nous ne disposons d’aucun outil d’intelligence artificielle », déplore-t-il, rappelant que cela « fait partie des demandes en termes de moyens de fonctionnement ». Expliquant que la Haute autorité possède une « cellule de veille », son président tance un dispositif « assez artisanal », qui peut néanmoins « être efficace sur un certain nombre de sujets ».

Mettre en place « un système gradué » de sanctions

Enfin, interrogé par le rapporteur de la commission, Rachid Temal (PS) sur le barème de sanctions administratives de la HATVP, Didier Migaud s’est déclaré favorable à « un système gradué de sanctions extrêmement utile ». « Nous n’avons pas idée de nous substituer au juge pénal », rassure-t-il, expliquant que les sanctions qui peuvent être décidées par la Haute autorité, englobent « tout ce qui n’engage pas d’appréciation », que ce soit « un défaut ou un retard de déclaration », « un manquement à des obligations déontologiques », ou encore « un défaut de respect aux obligations déclaratives ».

Pour cela, Didier Migaud invite à se baser sur le dernier rapport de l’OCDE, dont la directrice des affaires publiques, était auditionnée il y a quelques semaines au Sénat. Souhaitant la création d’un « dispositif ad hoc pour renforcer la transparence », le président de la HATVP estime que « plus la transparence existe, mieux cela peut permettre d’identifier les mesures d’ingérence étrangère ».

Reste à savoir l’efficacité éventuelle d’un tel dispositif, au regard notamment de divergences au niveau européen sur le sujet. Sur ce point, Didier Migaud lance une alerte : « les représentants d’intérêts sont parfois plus influents que les parlementaires ».

La commission poursuit ses travaux, avant la remise de son rapport, fin juillet.

Dans la même thématique

ISSY-LES-MOULINEAUX: France 24, press conference
3min

Parlementaire

France Médias Monde : les sénateurs alertent sur la baisse des crédits dans un contexte de guerre informationnelle

Dans un communiqué, la commission des Affaires étrangères du Palais du Luxembourg déplore le « désarmement informationnel » engagé par le budget 2025 avec une réduction de 10 millions d’euros à l’audiovisuel extérieur. En conséquence, les élus ont voté un amendement de transfert de crédits de 5 millions d’euros de France Télévisions à France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya).

Le

Ingérences étrangères : « Des risques importants sur les processus démocratiques nationaux », alerte le président de la HATVP
7min

Parlementaire

Narcotrafic : face à un « marché des stupéfiants en expansion », le directeur général de la police nationale formule des pistes pour lutter contre le crime organisé 

« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Des réserves renouvelées par Jérôme Durain pendant l’audition. « En un an les services de la DGPN ont initié 279 opérations de cette nature qui ont conduit à l’interpellation de 6 800 personnes, la saisie de 690 armes, de 7,5 millions d’euros d’avoirs criminels et plus d’1,7 tonne de stupéfiants », avance Louis Laugier. « Le fait d’avoir une opération où on affiche un effet ‘force’ sur le terrain est important », poursuit le directeur général de la police nationale qui dit avoir conscience que ces opérations « ne se suffisent pas à elles-mêmes ».   Plusieurs pistes absentes de la proposition de loi   Au-delà de l’approche matérielle, Louis Laugier insiste sur le besoin de renforcement des moyens d’enquêtes et de renseignement, notamment humains ainsi que l’adaptation du cadre législatif. Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. J’ai transmis des consignes dès que je suis entré en fonction », affirme Louis Laugier en réponse à une question de la sénatrice Corinne Narassiguin (PS).   Enfin, le directeur général de la police nationale plaide pour la création d’un nouveau cadre juridique et « d’une technique spéciale de captation des données à distance, aux fins de captation d’images et de sons relevant de la criminalité ou de la délinquance organisée ». Dans une décision du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel avait néanmoins jugé inconstitutionnelle l’activation à distance des téléphones portables permettant la voix et l’image des suspects à leur insu. 

Le