« Un désaveu cinglant », « une impasse » : au Sénat, des présidents de groupes effarés après le rejet du projet de loi immigration

Immigration : négociations difficiles entre LR et majorité présidentielle, en vue de la commission mixte paritaire

Les discussions ont commencé, autour de la première ministre, sur la recherche d’un éventuel compromis sur le texte immigration. Les sénateurs LR restent pour l’heure sur une ligne de « fermeté », appelant les députés à s’aligner sur l’essentiel de leur texte. Revenir sur la suppression de l’aide médicale d’Etat, ligne rouge pour les macronistes, semble cependant être l’une des voies de sortie vers un accord. Mais « on est loin du compte », prévient le centriste Hervé Marseille.
François Vignal

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Y aura-t-il de la neige à Noël… et un accord en CMP ? Le projet de loi immigration est à la croisée des chemins. Après l’adoption de la motion de rejet à l’Assemblée, qui a mis un coup d’arrêt d’emblée à l’examen du texte, Emmanuel Macron joue quitte ou double. En convoquant la commission mixte paritaire (CMP) dès lundi, à 17 heures, le chef de l’Etat a décidé, lors d’un dîner à l’Elysée mardi soir, de ne laisser que deux options possibles : soit la majorité présidentielle trouve un accord avec Renaissance, soit, en cas d’échec de la CMP, le projet de loi sera tout bonnement retiré, a-t-il fait savoir. On arrête les frais.

Il faut avoir en tête qu’une CMP ne se joue pas le jour J, mais avant. Beaucoup se négocie dans les jours et heures qui précédent, en réalité. Et on sait parfois avant même la réunion de la CMP s’il y a accord. C’est ce travail préparatoire qui a commencé ce mercredi, avec Elisabeth Borne, qui a reçu à Matignon les présidents de groupe LR, celui du groupe Union centriste du Sénat, Hervé Marseille, et les présidents de la majorité dans l’après-midi.

« On n’y est pas, les conditions ne sont pas réunies », souligne Hervé Marseille

Au premier abord, les choses semblent mal parties. Bruno Retailleau a montré hier un visage pour le moins intransigeant. « Il faut le texte du Sénat » à l’issue de la CMP, nous soutenait le président du groupe LR du Sénat. « Je n’assumerai pas que le texte soit détricoté une fois de plus en CMP, et que le gouvernement tente de faire passer par la fenêtre de la CMP, ce qui a été mis à la porte de l’Assemblée », a ajouté hier soir sur BFM TV le patron des sénateurs LR, qui « espère que la CMP sera conclusive sur la base de notre texte ». Manière de faire monter la pression, pour mieux lâcher ? Ou volonté politique d’aboutir, dans tous les cas, à un échec d’une réforme d’Emmanuel Macron ?

Après un premier round de discussion, ce mercredi – la première ministre revoit les responsables LR jeudi matin – on voit que tout n’est pas cependant figé. Mais les deux partis sont loin d’avoir « topé ». « On n’y est pas, les conditions ne sont pas réunies. On est loin du compte », explique dans l’après-midi Hervé Marseille, à un petit groupe de journalistes, Salle des conférences, au Sénat. Il résume ensuite l’enjeu au micro de Public Sénat :

 On peut aboutir à un accord mais les conditions ne sont pas encore réunies pour qu’il y ait un accord parce que ce sont des sujets qui sont difficiles. 

Hervé Marseille, président du groupe Union centriste du Sénat.

« Il y a des points abrasifs et répulsifs pour la majorité présidentielle »

La difficulté vient qu’« il faut satisfaire les deux assemblées », en plus de l’accord en CMP, ajoute le président de l’UDI. « On va dialoguer avec nos collègues du groupe LR. Chacun va évaluer jusqu’où il est prêt à aller pour trouver un accord, et on reverra certainement la première ministre », ajoute encore Hervé Marseille, qui avait joué un rôle pivot dans l’accord trouvé au Sénat.

A droite, les LR comptent se montrer durs en affaire. Ils veulent « moins de régularisations, moins d’aides sociales, plus d’expulsions », résume-t-on du côté LR, où on ne semble pas prêt à trop lâcher. On évoque juste quelques « bricoles à laisser ». De l’autre, « il y a des points abrasifs et répulsifs pour la majorité présidentielle, avec la suppression de l’Aide médicale d’Etat, les allocations familiales et le code de la nationalité », explique Hervé Marseille. Mais pour l’heure, « on n’est pas rendu », résume le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui souhaite qu’un accord soit conclu.

« Si les LR disent c’est le texte du Sénat ou rien, là c’est 10 minutes, « au revoir » et c’est fini »

Plusieurs hypothèses sont mises sur la table. « Il y a trois scénarios : si les LR disent c’est le texte du Sénat ou rien, là c’est 10 minutes, « au revoir » et c’est fini. Echec ; soustraire de chaque côté les irritants et trouver un point d’accord ; ou un texte réduit à l’essentiel, au nécessaire, pour être utile aux Français », confie un responsable de la majorité présidentielle, présent mardi soir au dîner à l’Elysée.

Une « hypothèse » de travail que confirme Hervé Marseille : « Segmenter une partie du texte, on conservant le titre II », soit celui pour « améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public », et quelques autres articles. Mais le président du groupe centriste n’y tient pas. « Une politique migratoire ne peut être à la découpe par textes successifs », soutient Hervé Marseille.

« Sur ce qui pourrait être des cavaliers législatifs, qui donneront une censure, on pourrait, côté majorité sénatoriale, faire une concession », avance Marc-Philippe Daubresse

La droite peut-elle s’y retrouver ? « Côté LR, hors de question de céder le moindre pouce de terrain sur le droit opposable pour régulariser. Déjà, les LR ont fait des concessions aux centristes avec l’article 4 bis. On a accepté des régularisations, par exception, au cas par cas, par le préfet », souligne ce matin le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse. Sur ce point, « pas de compromis possible » selon le sénateur.

Mais « à titre personnel », le sénateur LR du Nord pense que « les irritants pour la majorité présidentielle, comme la réforme de l’AME, le droit du sol, ce sont des mesures qui peuvent faire l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel. Donc sur ce qui pourrait être des cavaliers législatifs, qui donneront une censure, on pourrait, côté majorité sénatoriale, faire une concession », avance Marc-Philippe Daubresse, pour qui « le compromis » pourrait se faire ainsi.

Une autre source LR confirme que le retrait de la suppression de l’AME pourrait être éventuellement accepté par les LR – rien de sûr encore – « à condition qu’il y ait un engagement d’une inscription d’un texte sur l’AME » ensuite, au mois de janvier. « Mais s’il y a un texte plus tard, ce n’est pas lâcher… » fait-on remarquer en fin de journée… De quoi y voir peut-être l’un des points sur lequel LR sera prêt, à la fin des courses, à lâcher, ou plutôt à remettre le débat à plus tard, selon l’habillage voulu.

« Mais celui qui doit faire le plus de concessions, c’est celui qui a la page blanche », souligne Marc-Philippe Daubresse, autrement dit les députés. L’ancien ministre sait bien que les discussions vont encore durer, à coups de rencontres et de coups de fil. Il résume ainsi ce qui peut se passer dans une CMP :

 Vous êtes comme face à une partie de poker. Vous avez les annonces, les surenchères, les coups de bluff, et le fait que tout le monde veut faire tapis à la fin, c’est-à-dire ramasser tous les jetons. 

Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord.

« Pas question d’aller vers un texte tronqué, dénaturé, saucissonné »

En fin d’après-midi, après les questions d’actualité, Bruno Retailleau rassemble ses troupes, Chambre des paires, salle tout en longueur, sous les toits du Palais de Marie de Médicis. A la sortie, c’est une ligne de « fermeté » qui se dégage chez les sénateurs. « A ce stade, le groupe LR du Sénat n’a pas changé de positon. Nous souhaitons que soit évoqué en CMP bien sûr le texte du Sénat, qui est le seul texte qui a la légitimité, car il a été voté », soutient Dominique Estrosi Sassone, présidente LR de la commission des affaires économiques du Sénat. « Nous ne voulons pas que soit porté atteinte à l’équilibre. En CMP, il peut y avoir des points amendés, mais à 98 %, il faut rester sur le texte du Sénat », insiste la sénatrice LR.

« Les sénateurs se sont exprimés avec beaucoup de fermeté, en disant qu’il n’était pas question d’aller vers un texte tronqué, dénaturé, vers un texte saucissonné. L’idée, c’est de ne pas donner d’accord sur un petit bout de texte », ajoute-t-on dans l’entourage de Bruno Retailleau, « on ne va pas se faire harakiri ». Dans la version a minima, serait retoqué « tout ce qui concerne la maîtrise et l’arrivée sur le territoire, le débat annuel au Parlement, le regroupement familial, le délit de séjour irrégulier, etc », explique-t-on. Ça c’est niet.

« On n’est pas là pour baisser notre pantalon ! »

Même son de cloche, quand on interroge le sénateur Laurent Duplomb, un proche de Laurent Wauquiez : « Pour moi, on ne lâche rien du tout. On n’est pas là pour baisser notre pantalon ! » « On est en position de force », ajoute un des cadres du groupe LR. Une sénatrice LR se fait quand même un peu moins jusqu’au-boutiste, et tempère la fermeté ambiante : « C’est une négociation, on ne peut pas dire c’est notre texte ou rien. Sinon, ce n’est pas une négociation », lâche cette membre du groupe, mais qui sur le fond, dit cependant « qu’on va faire en sorte qu’on garde 97 % du texte ».

Ce breuvage sénatorial risque d’être difficile à avaler par une partie des macronistes, à commencer par l’aile gauche. « Le texte initial du Sénat n’est pas acceptable » prévenait hier sur publicsenat.fr la députée apparentée Renaissance, Stella Dupont, l’une des figures de cette aile gauche. Comme dit un sénateur, « il y a loin de la coupe aux lèvres ».

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. 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