Projet de loi immigration : l’examen de l’article sur les métiers en tension pourrait être reporté en fin de semaine

Immigration : les dessous de l’accord entre les sénateurs LR et les centristes

Les sénateurs LR et centristes, les deux piliers de la majorité sénatoriale, ont trouvé un compromis sur les régularisations dans les métiers en tension. Selon la lecture de l’accord, les LR avalent « leur chapeau » quand d’autres voient plutôt les centristes avaler des couleuvres… Au Sénat, il faut parfois avoir l’estomac bien accroché. Entre dîner au sommet et lecture juridique, on vous raconte les dessous de l’accord.
François Vignal

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Fin du psychodrame. La majorité sénatoriale était en pleine division, certains diront près de la rupture, du moins sur ce texte. Elle conserve au final sa cohésion, au prix de quelques contorsions. Les sénateurs LR et ceux de l’Union centriste ont trouvé un accord sur la question des régularisations des travailleurs étrangers sans-papiers dans les milieux en tension, dans le cadre du projet de loi immigration.

Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, garant de sa majorité LR/UC comme de l’institution, a pesé pour un accord. « Il ne pouvait pas imaginer qu’il n’y ait pas de texte du Sénat », raconte un sénateur, alors que « les LR, depuis janvier, avec Eric Ciotti, avaient dit qu’ils ne voteraient pas le texte immigration, après avoir voté les retraites ». Question d’existence, pour le parti qui tente de se dépêtrer de l’étau, entre le RN et Emmanuel Macron, dans lequel il est coincé.

Dîner à trois et conciliabules dans la bibliothèque

Si les discussions avaient commencé il y a plusieurs mois en réalité – le texte étant passé en commission en mars – tout s’est débloqué, comme souvent, dans la dernière ligne droite. Un dîner, lundi soir, a rassemblé Gérard Larcher et les deux présidents de groupe LR et Union centriste, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. « Ça a alors considérablement avancé », confie une source parlementaire. Il fallait encore faire accepter l’accord par tous les sénateurs LR, en réunion de groupe, mardi matin.

Tout s’est définitivement conclu mardi soir, lors d’un dernier conciliabule entre Bruno Retailleau, Hervé Marseille, le président LR de la commission des lois, François-Noël Buffet et le rapporteur centriste, Philippe Bonnecarrère (la rapporteure LR, Muriel Jourda, étant alors en séance), dans la bibliothèque du Sénat située derrière l’hémicycle, avec vue imprenable sur le Jardin du Luxembourg. Les convives n’ont peut-être pas eu le temps de profiter de la coupole, ornée d’une peinture d’Eugène Delacroix. Le site du Sénat nous indique que « la composition est inspirée du chant IV de l’Enfer de Dante et représente, selon les termes de Delacroix, “une espèce d’Elysée, où sont réunis les grands hommes qui n’ont pas reçu la grâce du baptême” et qui ne peuvent donc accéder au Paradis ». Le célèbre peintre romantique a aussi réalisé, au-dessus de la fenêtre centrale, le « cul-de-four », qu’Eugène Delacroix décrit ainsi : Alexandre « est représenté assis sur un siège et près d’un vaste trophée élevé sur le champ de bataille. (…) La Victoire, les ailes déployées, couronne le vainqueur »…

Critères « pas normatifs » ?

La suite, on la connaît. C’est l’accord : toujours la suppression de l’article 3 sur les métiers en tension, comme Bruno Retailleau le demandait, les « marqueurs » LR, qui durcissent le texte en de nombreux points, et l’amendement de compromis, qui durcit la circulaire Valls. Un pas vers les centristes, car le sénateur LR de Vendée ne voulait pas, à l’origine, rappeler dans le « dur » de la loi le principe du pouvoir discrétionnaire du préfet en matière de régularisation au cas par cas.

Les LR obtiennent en échange un durcissement de la circulaire Valls, par une série de critères. Mais un observateur relève qu’ils dépendent de la « faculté d’appréciation » du préfet, terme qu’il juge « pas normatif », donc sans réel portée juridique… De quoi limiter ce durcissement. Mais un autre défend une autre grille de lecture, y voyant au contraire bien un durcissement qui « contraint » le préfet (voir notre article sur l’amendement pour plus de détail).

« Les LR ont avalé en partie leur chapeau »

Les centristes peuvent se satisfaire d’avoir « inscrit dans le marbre » le renvoi à une circulaire, même durcie, « et les LR n’en voulaient pas. Ils ont abandonné leur refus d’une accroche législative ». « De ce point de vue, ils ont avalé en partie leur chapeau. Mais ils en ont profité pour charger la mule pour montrer aux troupes qu’ils ont musclé », selon un centriste. Les LR répétaient en effet que toute évocation de régularisations serait synonyme d’appel d’air…

Une lecture qu’on ne partage pas, évidemment, côté LR, où « on ne veut pas faire de provocation, en disant on a un gagnant, un perdant ». Mais « ce n’est pas tout à fait mon sentiment (que les LR mangent leur chapeau). Je pense que c’est l’inverse. Mais si ça convient aux centristes, c’est très bien, ça nous convient », confie-t-on, avant d’ajouter :

 Les centristes ont lâché le cœur du réacteur quand même. On est passé d’un droit opposable, à une faculté du préfet, plus encadrée qu’aujourd’hui. 

Un observateur du côté des LR.

« Il y a des choses où on est un peu réservé », reconnaît un centriste

Il faut regarder aussi l’équilibre d’ensemble du projet de loi. Et pour les centristes, certaines dispositions du texte, durci tous azimuts, sont autant de couleuvres plus ou moins difficiles à avaler. « Il y a des choses où on est un peu réservé », reconnaît un centriste, « mais ça fait partie du compromis global. Il y a des choses bonnes et de moins bonnes ».

Le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, qui a regardé cela depuis les bancs socialistes, tranche de son côté : « C’est une capitalisation en rase campagne de la part des centristes », qui défendaient l’article 3 et se retrouvent avec un durcissement du droit actuel.

« Le Sénat et son intérêt a pris le pas sur la politique »

A la fin des courses, tout le monde gagne un peu, tout le monde perd un peu, et c’est Gérard Larcher qui a eu gain de cause. La semaine dernière, le sénateur des Yvelines avait mis en garde en réunion de groupe LR : « Il ne faut pas casser toute la vaisselle ». « Le Sénat et son intérêt a pris le pas sur la politique », résume un poids lourd de la majorité sénatoriale, qui ajoute : « Il n’y a plus de majorité à l’Assemblée, manquerait plus qu’il n’y en ait plus au Sénat ! » Interrogé au micro de Public Sénat, ce mercredi, pour savoir si Gérard Larcher a « dit stop, maintenant, vous vous mettez d’accord », François-Noël Buffet répond, avec un sourire : « En tous les cas, il a fait passer des messages… » Un autre poids lourd de la majorité sourit, quand il évoque la position de Gérard Larcher, lors de la dernière réunion de groupe LR : il mime un signe de croix, tel un prêtre. Comprendre, il a donné sa bénédiction à l’accord.

Reste à voir si l’épisode ne laissera pas des traces. Les divergences, les désaccords voire les tensions ne sont pas une première, entre LR et centristes, qui savent les gérer. Elles sont plus récurrentes depuis la réélection d’Emmanuel Macron. Mais elles ont rarement atteint un tel niveau avec cet épisode. La suite dira si c’est le sujet, l’immigration, très identitaire pour les LR, qui en était la seule cause, conjoncturelle. Ou si le malaise est plus profond.

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« On va de la cage d’escalier à l’international », explique le nouveau directeur général de la police nationale, Louis Laugier, devant la commission des lois du Sénat lorsqu’il évoque la lutte contre le narcotrafic. Si la nomination de Louis Laugier a fait l’objet de négociations entre Bruno Retailleau et Emmanuel Macron, l’audition portait essentiellement sur la proposition de loi relative au narcotrafic qui sera examinée à partir de janvier au Sénat. Le texte fait suite à la commission d’enquête présidée par Etienne Blanc (LR) et dont le rapporteur était Jérôme Durain (PS). Un texte particulièrement attendu alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, a multiplié les gages de fermeté dans la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.   Comme les sénateurs, le Directeur général de la police nationale décrit un phénomène en hausse, un « marché des stupéfiants en expansion, une forte demande des consommateurs et une offre abondante ». La criminalité organisée connaît d’ailleurs un certain nombre d’évolutions comme la multiplication des violences liées au trafic y compris dans des villes moyennes, ou encore le rajeunissement des acteurs.  « Je souhaiterais préciser que la France n’est pas dans une situation singulière. En effet, tous les Etats de l’UE sont confrontés à des situations identiques », prévient néanmoins Louis Laugier. Néanmoins, les chiffres présentés sont vertigineux avec notamment 44,8 tonnes de cocaïne saisies en 2024 (contre 23,2 tonnes en 2023). Le directeur général rapporte également que 434 000 amendes forfaitaires délictuelles ont été dressées depuis septembre 2020 pour stupéfiants.   « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères »   Pour répondre à ce phénomène massif, l’Office anti-stupéfiants (Ofast) a été mis en place en 2019. Cette agence regroupe des effectifs issus de différents services, notamment des douanes et de la police judiciaire. Alors que le rapport sénatorial propose de revoir le fonctionnement de l’Ofast pour en faire une « DEA à la française », Louis Laugier défend l’efficacité de l’agence. « Certaines observations du rapport relatif à l’action de la police nationale me paraissent un peu sévères […] le rôle de coordination de l’Ofast est réel, grâce à son caractère interministériel et son maillage territorial dense », avance le directeur général de la police nationale. Ce dernier souligne également le doublement des effectifs depuis 2020 et la présence des services sur tout le territoire grâce aux 15 antennes de l’Ofast et aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (CROSS) présentes dans chaque département. Louis Laugier a également défendu la souplesse de ce dispositif, affirmant qu’il n’était pas nécessaire d’inscrire les CROSS dans la loi.   Le sénateur Jérôme Durain regrette néanmoins la faible implication des services de Bercy dans l’Ofast et souligne la nécessité de les mobiliser pour continuer de développer les enquêtes patrimoniales. « L’aspect interministériel de l’Ofast, est déjà pris en compte avec les douanes, mais on peut continuer à renforcer la coopération avec les services de Bercy », reconnaît Louis Laugier. Toutefois, le directeur général de la police nationale met en exergue la progression des saisies d’avoirs criminels. « 75,3 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2023. Il y a eu une hausse de 60 % entre 2018 et 2023, traduisant une inflexion profonde de la stratégie de la police en ce domaine avec un développement des enquêtes patrimoniales », argumente Louis Laugier. Interrogé par la présidente de la commission des lois, Muriel Jourda (LR), sur les améliorations législatives à apporter, Louis Laugier évoque la possibilité de recourir à des confiscations provisoires tout en prenant soin d’insister sur la difficulté juridique d’une telle évolution et notamment son risque d’inconstitutionnalité.   Le directeur général de la police nationale défend l’utilité des opérations « place nette »   Dans leur rapport, les sénateurs Jérôme Durain et Etienne Blanc mettaient en avant la nécessité de renforcer la lutte contre la criminalité en augmentant la capacité de saisies des avoirs plutôt qu’en démantelant les points de deal. Les sénateurs n’avaient pas manqué d’égratigner l’efficacité des opérations « places nettes » déplorant les faibles niveaux de saisies (moins de 40 kg de cocaïne et quelques millions d’euros) au regard des effectifs mobilisés (50 000 gendarmes et policiers) entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. 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Devant la commission des lois, le directeur général de la police nationale a tenu à saluer l’intérêt d’une réforme du statut de repenti, proposée par les sénateurs, pour élargir son périmètre aux crimes de sang. Le fonctionnaire détaille plusieurs mesures, absentes de la proposition de loi qui, selon lui, peuvent favoriser la lutte contre la criminalité organisée. Il souhaite notamment augmenter la durée des gardes à vue en matière de crime organisé pour les faire passer à 48 heures au lieu de 24, généraliser la pseudonymisation des enquêteurs ou encore faire entrer la corruption liée au trafic dans le régime de la criminalité organisée. Des propositions qu’il lie à une meilleure capacité d’écoute des policiers sur le terrain. « Il faut parler avec les personnes, vous avez entièrement raison. Ce travail-là peut avoir été occulté par l’action immédiate en réponse à la délinquance. Et donc oui je crois qu’il faut créer un lien. 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