L’épisode avait été marquant à plus d’un titre. Entérinant l’impossibilité pour les parlementaires LR et macronistes de légiférer ensemble sous la précédente législature, le projet de loi Immigration avait été un premier pas vers la dissolution prononcée par le chef de l’Etat quelques mois plus tard. Voté par le Rassemblement national, il avait aussi brouillé des marqueurs jusqu’ici fondamentaux du bloc central et avait fait tanguer sa majorité déjà relative (voir le récapitulatif des principales mesures votées). Mais la censure d’une large partie du texte, et notamment des apports de la droite sénatoriale considérés comme des cavaliers législatifs, avait aussi laissé des traces dans la vie parlementaire.
« Tirer les conséquences de la jurisprudence constitutionnelle »
La phrase du président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, rappelant que celui-ci « n’était pas une chambre d’appel des choix du Parlement », avait notamment refroidi les relations entre la rue de Montpensier et l’Elysée (voir notre article). Mais la droite n’a jamais compté en rester là. Il y a un peu moins d’un an, les Républicains avaient déjà tenté de passer par la procédure du RIP (référendum d’initiative partagée) pour soumettre à vote l’une des victimes des fourches caudines du Conseil constitutionnel : le conditionnement de certaines prestations sociales à une résidence sur le territoire d’au moins cinq ans pour les étrangers en situation régulière.
Sans succès, puisque les Sages avaient à nouveau censuré la proposition de loi, arguant cette fois non d’une question de forme, mais d’un problème de proportionnalité de la durée de résidence nécessaire (cinq ans de résidence ou 30 mois d’activité professionnelle, voir notre article). Une demi-victoire pour la droite, qui y voit aujourd’hui une « reconnaissance que des règles spécifiques aux étrangers [peuvent] être prises en matière de droits sociaux », selon les mots du rapport de la sénatrice Florence Lassarade (LR) à propos de la nouvelle proposition de loi remettant la mesure sur la table, que le Sénat examinera demain.
Cette proposition de loi entend ainsi « tirer les conséquences de la jurisprudence constitutionnelle », toujours selon le même rapport, en réduisant la condition de résidence sur le territoire à deux ans au lieu de cinq, et en la supprimant pour les réfugiés, les apatrides, les étrangers en activité professionnelle ou bénéficiant d’un titre de séjour pour études dans le cas des APL. La gauche a déposé deux motions de rejet ainsi que des amendements de suppression de tous les articles de la proposition de loi, au nom « des graves atteintes aux libertés publiques qu’elle porte, et notamment aux droits et libertés que la Constitution garantit », selon les mots de la motion socialiste. Même si le texte était adopté par le Sénat, il devrait être adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale pour s’appliquer.
De 90 à 210 voire 380 jours de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière ?
Sur la question de l’allongement de la rétention des étrangers en situation irrégulière également, la droite cherche la bonne formule pour échapper à la censure du Conseil constitutionnel. Cette mesure ne faisait pas partie du projet de loi Immigration, mais la proposition de loi portée notamment par Jacqueline Eustache-Brinio (LR) se frotte aussi à l’encadrement du régime juridique de rétention administrative des étrangers. Afin de s’attaquer aux « difficultés relevées dans la mise en œuvre des prolongations de la rétention administrative de droit commun », la proposition de loi tente d’harmoniser les différentes périodes de prolongation de ces délais.
Le but de la manœuvre est d’étendre le régime actuellement en vigueur pour les étrangers condamnés au titre d’activité terroristes aux étrangers condamnés pour faits graves, soit de 180 à 210 jours de rétention administrative potentiels, au lieu de 90 jours. En commission, le Sénat a précisé le dispositif. Seraient concernés les étrangers en situation irrégulière condamnés à une peine d’interdiction de territoire français, à une peine dépassant cinq ans d’emprisonnement ou dont le comportement « constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. »
Là aussi la gauche a déposé deux motions de rejet et des amendements de suppression des articles, la motion écologiste relevant notamment que « l’appel d’air » auquel est censée répondre la proposition de loi « [relevait] du mythe ». Le sénateur RN Christopher Szczurek a de son côté déposé des amendements alourdissant le dispositif, en proposant de rabaisser à trois ans le seuil de la peine permettant d’allonger les délais de rétention (au lieu de cinq), et d’augmenter la durée de rétention maximale pour les « cas exceptionnels » à 380 jours. Précurseur de ces deux textes, l’ancien président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau a estimé qu’il fallait « aller au-delà » de la version du texte examiné au Sénat, « donc au maximum, c’est-à-dire 18 mois [soit 540 jours] », a précisé le ministre de l’Intérieur.
De même que pour la proposition de loi précédente, son adoption au Sénat ne signifiera une entrée en vigueur des mesures que si la proposition de loi est mise à l’agenda de l’Assemblée nationale et adoptée dans les mêmes termes, ou bien si un accord est trouvé en commission mixte paritaire, dans le cas où le gouvernement déciderait de la convoquer.