Ce matin, Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste, était l’invitée de la matinale de Public Sénat. Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé sa volonté qu’une loi spéciale soit déposée dans les prochains jours au Parlement, quelles seront les modalités de son examen devant les deux assemblées parlementaires ? Les élus pourront-ils déposer des amendements sur le texte ? Un gouvernement démissionnaire peut-il défendre un tel texte ? Explications.
Immigration : après l’examen au Sénat, quelle « voie de passage » à l’Assemblée ?
Par François Vignal
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Et maintenant, que vont-ils faire ? Les sénateurs ont terminé la semaine dernière l’examen du projet de loi immigration, avec à la clef un fort durcissement. Après le vote solennel ce mardi, où LR et centristes voteront à l’unisson, après la conclusion d’un accord sur le sujet des régularisations dans les métiers en tensions, le texte va être transmis aux députés. Pour le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a su habilement se montrer conciliant avec les sénateurs LR, cette première étape est plutôt réussie. Il ressort de la Haute assemblée avec un texte adopté et c’était loin d’être gagné. Mais la suite s’annonce encore plus périlleuse. Si vous avez aimé les désaccords entre sénateurs LR et l’Union centriste, vous allez adorer la recherche d’une majorité (introuvable ?) à l’Assemblée nationale.
Avec une majorité relative, la majorité présidentielle a en effet besoin d’aller chercher au-delà. Et bien sûr chez les LR. C’est loin d’être évident. Les députés LR, menés par Olivier Marleix, sont dans leur majorité sur une position dure sur ce texte. Ils ne sont pas prêts à faire de cadeau au gouvernement sur ce sujet identitaire pour le parti d’Eric Ciotti.
De l’autre, la majorité présidentielle n’est pas unanime, entre une volonté de parvenir à un accord, et le souhait de conserver le texte d’origine. Alors que Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, a déjà prévenu que « ce sera niet », en commission mixte paritaire, si le texte est « détricoté » à l’Assemblée, le rapporteur du projet de loi au Palais Bourbon, le macroniste Florent Boudié, assure ce lundi ne pas vouloir faire table rase des ajouts des sénateurs.
« Je ne pars pas du principe qu’il faut dénaturer, détricoter » assure le rapporteur Renaissance à l’Assemblée, Florent Boudié
« Je ne pars pas du principe qu’il faut dénaturer, détricoter. Ce n’est pas mon principe. La question c’est, est-ce qu’il y a une efficacité dans ce qui est proposé au Sénat ? Et est-ce qu’on est dans des dispositions conformes à la Constitution, est-ce qu’il y a des cavaliers législatifs ? » cadre le rapporteur Renaissance. « On ne s’interdira pas de débattre. Le Sénat a beaucoup débattu. Nous même, allons beaucoup discuter. Il y a des points où nous avons déjà fait savoir des réticences, voire des rejets sur l’opportunité de traiter de certains sujets. Je pense à l’Aide médicale d’Etat », ajoute Florent Boudié.
Sur ce point, le ministre de l’Intérieur est resté étonnamment silencieux dans l’hémicycle du Sénat, laissant sa collègue Agnès Firmin-Le Bodo énoncer un avis de « sagesse » sur la suppression de l’AME. « Ce n’est pas totalement un manque d’habilité que de ne pas leur rentrer dans le lard systématiquement. Ça ne servait à rien de leur rentrer dans le lard sur AME, quand on attendait la solution sur l’article 3 », décrypte un parlementaire de la majorité.
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Sur BFM TV, Gérald Darmanin s’est fait un peu plus clair sur ses intentions. « Nous pensons que c’est un cavalier législatif. Quand on va aller au Conseil constitutionnel, il va censurer ce dispositif », avance Gérard Darmanin, qui reconnaît qu’il y a « des questions qui se posent sur l’AME. (…) On peut regarder ». Renvoyant au rapport Stefanini/Evin qui fera des « propositions de modifications », le ministre, qui s’était d’abord dit favorable à la suppression de l’AME, explique que la place du sujet est « dans un document budgétaire. On vote le budget en ce moment ». « Le rapport sera rendu le lundi 4 décembre, je pense », nous glisse Florent Boudié, qui confirme que le sujet « est un cavalier législatif colossal. Ça ne passera pas les fourches caudines du Conseil constitutionnel ».
Le rapport Stefanini/Evin a déjà fuité début novembre, avec l’idée que l’AME est « utile ». Le rapport pourrait aussi souligner qu’il n’y pas « pas de fraude massive », mais que le dispositif est « un des plus favorables à l’échelle européenne », selon une source parlementaire.
« Avec l’amendement du Sénat, je vois une difficulté car le dispositif proposé remet l’employeur au cœur du dispositif »
Sur l’article 3 sur les métiers en tension, qui est devenu l’article 4 bis, passant d’un droit opposable à un pouvoir discrétionnaire du préfet, avec régularisations au cas par cas, Florent Boudié, pour l’heure, « consulte chacun au sein de la majorité. Il n’y a pas de fracture irréductible ». « Il y a des éléments qui nécessitent probablement des réécritures », pense le sénateur de la Gironde, qui cite « la procédure de régularisation, qui dans le texte initial se fait sans le concourt de l’employeur. Avec l’amendement du Sénat, je vois une difficulté car le dispositif proposé remet l’employeur au cœur du dispositif. Là, il faut vraiment garder en tête qu’on veut répondre à des besoins économiques, et avoir aussi des parcours d’intégration renforcés », souligne le député Renaissance.
Mais il ne faut pas s’attendre à ce que le rapporteur propose un retour à l’article 3 d’origine, prévient Florent Boudié :
Le rapporteur note au passage que « l’article 4 bis voté par les sénateurs, c’est une politique de régulation, bien plus ciblée que la nôtre ». Autrement dit, la droite sénatoriale a accepté le principe qu’elle refusait jusqu’ici. Il attend de voir maintenant quelle sera la position des députés LR. « Est-ce qu’ils seront d’accord avec le président du groupe au Sénat ? Ou seront-ils toujours sur la position, qui est peut-être une posture, de régularisation zéro ? » demande Florent Boudié.
Dans la majorité, on peut compter sur le soutien du groupe Liot, qui a hérité d’un des co-rapporteurs du texte sur la partie Outre-Mer, et aussi, peut-être, sur l’abstention, voire quelques votes pour d’une « minorité » de députés LR pour atteindre la majorité.
La députée (apparentée Renaissance) Stella Dupont « sidérée du débat des LR au Sénat »
Mais ce qui complique l’équation pour Gérard Darmanin, qui aimerait se passer d’un 49.3, c’est l’aile gauche de la majorité. Elle n’entend pas tout lâcher aux LR sur l’équilibre du texte, sous prétexte de trouver une majorité. « À l’Assemblée, nous rétablirons le texte ambitieux de l’exécutif, tout le texte de l’exécutif. Y compris le volet sur les régularisations », a déjà prévenu le président Renaissance de la commission des lois, Sacha Houlié, l’une des figures de l’aile gauche. Il est cependant « prêt à soutenir une levée plus large des protections contre les expulsions, comme l’ont proposé les sénateurs. Tout comme l’ajout d’une exigence de connaissance du français sur le regroupement familial », a-t-il expliqué au Figaro.
Stella Dupont, députée apparentée Renaissance, autre figure de l’aile gauche, se dit quant à elle « extrêmement sidérée du débat des LR au Sénat. C’est vrai que les LR ont choisi de reprendre nombre de thèmes de l’extrême droite. Et du coup, de modifier l’esprit du projet de loi en profondeur. Et à titre personnel, quand on supprime l’AME, quand on revient sur le groupement familial, qu’on touche au droit du sol, je ne vois pas comment je peux trouver un compromis avec une ligne aussi dure, droitière, de droite extrême », lance Stella Dupont, qui « veu(t), comme beaucoup de collègues, revenir à l’esprit du texte tel que présenté par le gouvernement ». Si elle ne cherche pas forcément à revenir à la lettre au texte initial sur l’article 3, la sénatrice du Maine-et-Loire prévient :
Stella Dupont a déjà prévenu qu’elle « ne votera pas n’importe quoi », reste à voir si l’aile gauche pèse suffisamment dans ce texte pour être entendue. Selon une députée du groupe, la majorité sera in fine derrière le texte. « Il ne faut pas se tromper entre une partie de la majorité qui est très vocale, représentée par Sacha ou Stella, mais qui est très minoritaire, et la majorité du groupe, qui veut réussir. Ils représentent 10 voix maximum », selon cette membre du groupe Renaissance.
« C’est une loi qui nous emmène très loin à l’extrême droite », attaque Olivier Faure
Pour porter l’estocade contre la mouture sénatoriale du texte, l’aile gauche macroniste ne sera pas la seule. La gauche va bien sûre batailler contre le projet de loi. A commencer par le Parti socialiste. Olivier Faure, premier secrétaire du PS, entouré de sénateurs PS et du chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud, a tenu ce lundi une conférence de presse au Sénat pour dire tout le mal qu’il pense de ce texte. « Il se passe quelque chose d’extrêmement grave et nous voulons alerter l’opinion publique », commence le numéro 1 du PS, qui attaque :
« Toute cette droite-là est contaminée par ces idées et finit par rassembler étrangement au RN, sur ce thème-là. Il y a un tas d’exemples de revendications portées par le RN (…) et qui sont aujourd’hui devenu le texte, sur lequel le gouvernement a été extrêmement bienveillant », pointe encore le député de Seine-et-Marne, qui insiste : « C’est une loi qui nous emmène très loin à l’extrême droite ». Regardez (images de Flora Sauvage) :
« On est passé du compromis à la compromission », selon la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie
Concrètement, la majorité sénatoriale « a repris les propositions du RN sur l’AME, le regroupement familiale, l’aide aux étudiants, l’aide au développement supprimée s’il n’y a pas assez de coopération sur les laisser-passer consulaires, sur le droit de la nationalité, sur la déchéance de nationalité. Il y a une trentaine de propositions où ce sont les positions du RN », détaille la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie, l’une des oratrices PS sur le texte. Elle y voit, au fond, une « clarification ». « On est passé du compromis à la compromission », lance la sénatrice de Paris, qui vise notamment « les centristes ».
« C’est un texte qui trahit les valeurs fondamentales de la République. (…) Il y a une dérive. Avec une droite qui court après l’extrême droite et des libéraux qui courent après la droite. Résultat, la bataille culturelle entre les droites est en train de se gagner à l’extrême droite. C’est le grand danger de ce texte », alerte encore le numéro 1 du PS.
« C’est pourquoi nous allons nous battre, comme les sénateurs se sont battu ici », assure Olivier Faure, qui prévient déjà qu’« évidemment, il y aura une saisine du Conseil constitutionnel par les députés et sénateurs socialistes », une fois le texte adopté. Il insiste : « Maintenant, nous allons nous battre pied à pied pour que le moins possible rentre dans ce texte (…) et que nous puissions, à notre tour, engager une bataille culturelle ».
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